Vous l’avez dit, monsieur le ministre des affaires étrangères, et c’est une évidence, le Brexit doit créer un choc, voire un électrochoc ! Pas pour punir nos amis Anglais, car on ne punit pas un peuple sous prétexte que son vote ne nous convient pas, mes chers collègues ! §
Je le disais : il s’agit d’un électrochoc pour les Anglais, parce que le risque de désunion existe. Après tout, Douvres n’est jamais qu’à trente-cinq kilomètres de Calais. C’est également un électrochoc pour l’Europe, parce que le Brexit est la dernière chance pour notre continent. C’est une deuxième chance qui ne sera pas suivie d’une troisième ! On s’oriente soit vers la refondation de l’Europe, soit vers sa dislocation.
N’imaginez pas un seul instant que le résultat britannique soit l’expression d’un particularisme insulaire, mes chers collègues. L’euroscepticisme nous concerne aussi. Il y a quelques semaines seulement, un institut de sondage réalisait une étude qui montre que le peuple français est, après le peuple grec, l’un des peuples où l’euroscepticisme a le plus progressé. Ce résultat doit évidemment nous questionner et contribuer à refonder l’Europe, c’est-à-dire à redonner du sens à ce projet pour nos concitoyens, pour les peuples européens et les nations européennes.
Redonner du sens au projet européen, c’est avant tout redonner à l’Europe son histoire, sa géographie et une ambition.
Premièrement, son histoire : il y a une dizaine d’années, le nouveau théoricien du djihad, M. Abou Moussab al-Souri, avait jugé que l’Europe était sans doute le ventre mou de l’Occident. Pourtant, cette Europe ne doit pas être le continent de la « désidentification » ! Elle doit au contraire conserver son identité et ne peut pas faire éprouver à chaque peuple le regret d’être lui-même – il me semble que vous avez d’ailleurs employé à peu près la même phrase, monsieur le ministre.
Nos concitoyens, les peuples européens attendent que l’on reconnaisse une identité qui puise ses racines dans plusieurs sources : Athènes, bien sûr, Rome, Jérusalem, l’ Épître aux Galates, la Renaissance, les Lumières. Ce sont autant d’origines et de valeurs qui ont défini et dessiné notre conception de l’homme, une conception d’être au monde, une égale dignité ontologique, qui font notre civilisation.
Dans les décennies précédentes, on a tenté de construire l’Europe par le commerce, par le marché ou par le droit, mais cela n’a pas fonctionné. Le philosophe allemand Jürgen Habermas avait proposé un « patriotisme constitutionnel ». En réalité, l’Europe doit aussi se construire par la civilisation.
L’Europe doit être un projet de civilisation, avec son histoire mais aussi sa géographie. En effet, ce qui définit une communauté politique, c’est un territoire. Aucune communauté politique au monde n’existe sans territoire, c’est-à-dire sans limites, sans frontières. Ces frontières nous disent tout autant ce que nous sommes que ce que nous ne sommes pas.
Vous savez parfaitement, mes chers collègues, que les critères de Copenhague n’ont jamais projeté les frontières du territoire européen sur la carte. Il faudrait bien autre chose, à la fois la carte et le territoire, d’une certaine façon, comme l’a écrit Michel Houellebecq !
Cette notion de géographie doit nous inspirer un certain nombre de réflexes : la Turquie n’est pas européenne ! Le général de Gaulle voulait une Europe européenne. Or la Turquie n’a que 5 % de son territoire en Europe. Nous devons cette clarification aussi bien aux Européens qu’à ce grand peuple et cet ami qu’est le peuple turc !