Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Commission des affaires sociales — Réunion du 29 juin 2016 à 9h30

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Je vous remercie pour votre invitation à cette réunion, et suis honoré que la situation de Mayotte fasse l'objet des travaux de votre commission dont le champ de compétence la rend particulièrement qualifiée pour se pencher sur la situation de ce département bien éloigné de l'hexagone.

Même si vous n'avez pas pu vous rendre sur place, je crois que le constat que vous avez formulé est dans le vrai, et qu'il retrace fidèlement les principaux enjeux relatifs à la situation sanitaire de Mayotte. Vous avez notamment raison de souligner que l'on ne peut utilement se préoccuper de tel ou tel aspect des politiques publiques menées sur l'île sans prendre en considération sa situation globale, et en particulier sa situation au regard de l'immigration. Sur ce sujet, je suis au regret de constater que bien des analyses formulées depuis la métropole relèvent de la caricature, ou témoignent d'une méconnaissance abyssale de ce territoire. Le territoire de Mayotte, je veux vous l'affirmer, est plus riche de possibilités et de perspectives pour l'avenir qu'il ne recèle de difficultés.

Permettez-moi, à titre d'illustration, d'insister sur une particularité de mon département. Si sa population est à 90 % musulmane, on n'y constate pas pour autant de problèmes relatifs à la laïcité ; je dirais même que la coexistence entre l'islam et la République est un non-sujet à Mayotte. L'évolution de notre société au fil de son histoire, qui s'est notamment enrichie de l'influence des sociétés matriarcales africaines, a en effet permis de régler ces matières tout à fait naturellement. Ce n'est que dans le cas où des solutions aux problèmes actuels, tel que celui de l'immigration, ne pourraient être trouvées que nous risquerions, à mon avis, de voir se manifester des dérives telles que celles qui apparaissent ailleurs, en lien avec l'islam radical. Je pense par ailleurs que les politiques françaises menées en la matière auraient tout à gagner à s'inspirer de l'exemple mahorais.

Mayotte souffre en effet, comme vous l'avez souligné, d'un problème d'attractivité. Pour reprendre la formule du rapport de la Cour des comptes de janvier 2016, il est patent que la départementalisation n'a pas été bien préparée. La responsabilité est ici collective, et relève tant des collectivités locales que de l'Etat. Il est aujourd'hui urgent de réparer les erreurs commises dans le cadre de ce processus.

Il me semble que l'instauration de la CMU-C à Mayotte, que vous avez préconisée, constituerait un minimum. Que l'on ne vienne pas me dire que cette mesure pourrait constituer un appel d'air : l'appel d'air est évidemment déjà là.

La République, le Parlement doivent aujourd'hui tirer toutes les conséquences du processus de départementalisation. Si Mayotte est devenue le 101e département français, ce n'est pas le fruit du hasard, mais le résultat d'une volonté politique - certes réclamée de longue date par les Mahorais. Je suis persuadé que les problèmes de mon territoire ne sont pas liés à son statut, comme le disent un certain nombre d'observateurs en toute méconnaissance de cause. L'enjeu est aujourd'hui de se préoccuper des problèmes réels qui secouent ce jeune département. Vous n'avez pas pu vous y rendre en raison des émeutes qui avaient éclaté : je ne suis pas fier de le dire, mais une partie de la population, excédée par l'inaction des pouvoirs publics en ce domaine, a décidé de s'emparer elle-même de la question de l'immigration clandestine, et de la régler de manière parfois violente. Il faut se rendre compte que plus de 45 % de la population est clandestine ! Dans ces conditions, comment le système sanitaire, conçu pour la population mahoraise telle qu'elle est officiellement évaluée, pourrait-il effectivement répondre aux besoins ? Il existerait pourtant des solutions, notamment par la voie de la coopération avec les Comores ; je tiens cependant à dire que la diplomatie française ne s'est jamais emparée de cette question à la hauteur des enjeux. On évoque beaucoup dans l'hexagone le problème de Calais, ou les naufrages qui ont lieu en Méditerranée ; comment, cependant, ne réalisons-nous pas que nous faisons face à la même situation entre Anjouan et Mayotte ? Nous devons prendre ce sujet à bras-le-corps, tant que des solutions peu coûteuses sont encore possibles, et surtout avant qu'il ne soit trop tard.

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