Intervention de Audrey Azoulay

Réunion du 29 juin 2016 à 14h30
Liberté de la création architecture et patrimoine — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication :

Madame la présidente, Madame, Monsieur les rapporteurs, Madame la présidente de la commission de la culture, Mesdames, Messieurs les sénateurs, votre assemblée est saisie, après le vote exprimé par l’Assemblée nationale le mardi 21 juin dernier, jour de la fête de la musique, des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

Je voudrais ici me réjouir du travail que nous avons collectivement su conduire au cours des derniers mois. Au terme de débats particulièrement constructifs, dans le respect des convictions de chacun, un consensus s’est dégagé entre vos deux assemblées.

Après deux lectures, certains sujets, et c’est bien normal, faisaient encore débat, mais, après cinq heures de discussion en commission mixte paritaire, vous êtes parvenus à élaborer un texte équilibré sur les dispositions du projet de loi restant en discussion, c’est-à-dire une quarantaine d’articles sur un peu plus de cent trente.

Au fur et à mesure de nos discussions, le projet de loi s’est enrichi de dispositions nouvelles, le volume du texte initial s’accroissant de près d’une centaine d’articles après un débat sur plus de 2 800 amendements, dont un peu plus de 1 200 ont été discutés au Sénat.

J’ai eu l’occasion de le dire à l’Assemblée nationale, derrière ce chiffre, on décèle l’appétence et l’intérêt du Parlement pour les sujets culturels, preuve qu’un tel texte était nécessaire. Cette commission mixte paritaire conclusive illustre la relation toute particulière que la France et sa représentation nationale entretiennent avec la culture.

Ce projet de loi a permis de travailler autour de cinq axes majeurs et riches : encourager la création par les politiques publiques ; protéger la diversité artistique ; adapter notre droit aux nouveaux enjeux du numérique ; établir de nouvelles perspectives pour l’enseignement artistique ; préserver notre patrimoine et améliorer la qualité de notre cadre de vie.

S’agissant de la création et de la diffusion artistiques, un accord a été trouvé dès la première lecture sur l’article 1er, qui dispose que la création artistique est libre. Chacun a pu mesurer la force du symbole et la portée de cette affirmation, alors que cette liberté fondamentale peut être bafouée, aujourd’hui encore et parfois non loin de nous.

Son pendant, l’affirmation de la liberté de diffusion, a quant à lui fait l’objet de discussions jusqu’au soir de la commission mixte paritaire. Il est vrai que, à l’évocation de ce principe, chacun peut avoir en tête une situation dans laquelle il a été malmené, et mesurer combien la protection de la loi est nécessaire. Je vous remercie de vos conclusions sur ce point.

Vos travaux ont également permis de trouver un accord sur la mission de service public intrinsèque à la politique publique en faveur de la création artistique. Sans diminuer le rôle joué par le secteur associatif ou privé, cette mission viendra conforter le caractère d’intérêt général de leurs missions, tout en reconnaissant la diversité des acteurs qui y contribuent.

De la même manière, l’affirmation d’une politique ambitieuse formulée à l’article 3, au travers de l’agrément et de la délivrance des labels, vient concourir à cet objectif de dynamisation de la création et de la diffusion.

Vous avez consolidé le principe du conventionnement, en lien, bien sûr, avec les collectivités territoriales pour les structures qui ne bénéficient pas d’un label. A également été conservé l’agrément de l’État pour ce qui concerne la validation du choix des dirigeants proposés par le jury, auquel vous avez ajouté la nécessité d’une décision motivée en cas de refus d’agrément. Enfin, vous avez confirmé l’attention portée au renouvellement des générations et à la diversité, ce qui était tout à fait nécessaire.

Le projet de loi vient aussi sécuriser le régime juridique et le statut des fonds régionaux d’art contemporain, les FRAC, par la mise en place d’un label permettant de renforcer la place de ces fonds pour la création contemporaine.

La vitalité de la création et de sa diffusion s’incarne également dans les pratiques artistiques amateurs, qu’il convenait de sécuriser et d’encadrer. Il était grand temps de reconnaître la richesse de ces pratiques, qui concernent plus de 12 millions de Français et des dizaines de milliers d’associations sur tout le territoire.

Pour les jeunes, c’est souvent l’occasion d’un premier contact décisif avec le chant, la danse, le théâtre et la musique. Pour tous, il s’agit d’une approche de la création et du répertoire sensible, bref, d’une appropriation de l’art.

Pour autant, bien sûr, il n’était pas question de porter atteinte à la présomption de salariat. Nous avons trouvé ici même, en deuxième lecture, une rédaction qui permet de concilier à la fois le développement de la pratique amateur et la reconnaissance de la place des professionnels.

S’agissant de l’encouragement donné à la production et à la diversité artistique, nous avons travaillé sur plusieurs chantiers autour de la musique, du livre, du cinéma et de l’audiovisuel.

Concernant la musique, deux grandes mesures ont fait l’objet d’un débat stimulant jusqu’à la conclusion de vos travaux, même si l’adoption de l’une était acquise dès le départ : la rémunération minimale garantie des artistes-interprètes prévue à l’article 5. Cette mesure majeure trouve son origine dans la mission confiée par le Gouvernement à Marc Schwartz. En cohérence avec cette disposition, qui va dans le sens de la protection que la loi de 1985 accorde aux artistes-interprètes, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord interdisant la pratique des cessions de créances.

Le texte prévoit donc désormais les conditions d’un développement pérenne de la musique en ligne au bénéfice des artistes par la création non seulement d’une garantie de rémunération minimale, mais aussi d’un Médiateur de la musique. C’est fondamental, alors que le développement actuel des modèles économiques de la musique passe par cette offre en ligne.

De la même manière, les positions de votre assemblée et de l’Assemblée nationale ont su se rapprocher autour de la proposition du Gouvernement d’un nouveau dispositif de soutien ambitieux à la scène musicale française et francophone.

En renforçant les quotas radiophoniques par un plafonnement des rotations prises en compte dans les quotas, cette mesure assurera une meilleure exposition de la diversité musicale. Elle sera bénéfique à terme pour les radios, qui bénéficieront aussi de la diversité offerte à leur public dans leur développement. La diversité éditoriale des radios sera prise en compte, des engagements forts en matière de diversité et de nouvelles productions permettant une modulation strictement encadrée des quotas. La filière musicale, y compris de très nombreux artistes, s’est réjouie de ce signal fort envoyé par la représentation nationale.

S’agissant de l’adaptation de notre droit aux nouveaux enjeux du numérique, il ne faut pas sous-estimer l’importance pratique des mesures concernant la transparence des comptes d’exploitation dans le cinéma et l’audiovisuel, ainsi que celles relatives à l’exploitation suivie des œuvres.

Pour ces secteurs, le développement de l’exploitation sur de nouveaux supports numériques ne peut pas se faire sans un partage de la valeur équitable, qui ne peut passer que par un partage d’information transparent entre les acteurs.

En matière d’adaptation aux nouveaux usages numériques, je me félicite également de l’adoption d’une évolution consensuelle de la copie privée afin de couvrir les nouveaux usages, et notamment les possibilités d’enregistrement d’émission « dans le nuage », cette forme de magnétoscope virtuel mise à disposition par certains éditeurs et distributeurs de services audiovisuels.

Je souscris entièrement à l’objectif de l’article 10 quater, qui vise à apporter une réponse aux bouleversements du partage de la valeur dans l’environnement numérique, mais nous savons bien que nous devons mener cette bataille aussi et surtout au niveau européen. Pour ce faire, vous pouvez compter sur la détermination du Gouvernement pour défendre au mieux les auteurs des arts visuels.

Je veux aussi dire un mot sur l’ambition du texte en matière d’enseignement artistique, cher à la présidente de la commission de la culture du Sénat.

Ce domaine a vu la mise en place d’un conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche artistique et culturelle, mais également la reconnaissance du statut d’étudiant pour les élèves des classes préparant à l’entrée dans les établissements d’enseignement supérieur de la création artistique, ce qui leur ouvre de nouveaux droits sociaux.

Dernier sujet sur lequel vos deux assemblées ont dû intensifier leurs efforts pour trouver une issue : l’article 17 A, qui porte sur l’implication des régions dans l’enseignement préparant à l’entrée dans les établissements supérieurs dans le domaine du spectacle vivant, avec un principe de transfert des moyens de l’État vers les régions qui décideront de s’y investir. L’État, de son côté, vous le savez, se réengage financièrement dans le fonctionnement des conservatoires.

Enfin, j’en viens au dernier axe, qui n’est pas le moindre de ceux que j’évoquais en introduction de mon propos : la préservation de notre patrimoine et la qualité de notre espace de vie.

Le sujet sensible de l’archéologie préventive restait en discussion au stade de la commission mixte paritaire. Sur ce point, nous avons beaucoup travaillé ensemble, lors de la première lecture et, plus encore, lors de la seconde, comme j’en avais pris l’engagement devant vous.

Vous avez réussi à trouver une rédaction désormais consensuelle, qui a contribué à la conclusion favorable de la commission mixte paritaire. L’article 20 contient toujours, et je m’en réjouis, les objectifs visés par le Gouvernement : la « maîtrise scientifique » des opérations d’archéologie, exercée par l’État ; la spécificité des collectivités territoriales et leur place de partenaires privilégiés de l’État, consolidée par une convention bipartite.

Vous avez également élargi le champ d’intervention des services d’archéologie des collectivités à la région dont dépendent ces dernières, principe que défendait le Sénat, tout en prévoyant la possibilité, dans les autres cas, que le représentant de l’État puisse autoriser la collectivité ou le groupement habilité à réaliser tout ou partie d’une fouille en dehors de ce territoire.

Du côté des opérateurs privés, vous avez trouvé un accord sur la délivrance des agréments au regard du respect par les opérateurs des exigences qui leur sont fixées en matière sociale, financière et comptable, et vous vous êtes accordés sur une réforme majeure de la procédure proposée par le Gouvernement et défendue par l’Assemblée nationale : la transmission par l’aménageur de toutes les offres reçues aux services de l’État, qui devront d’abord les évaluer au regard de l’ensemble des critères nécessaires. Cette nouvelle procédure fera gagner en transparence et en temps.

Pour ce qui concerne les espaces protégés, abordés à l’article 24, les lectures successives du texte avaient permis un rapprochement entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur la question des « sites patrimoniaux remarquables », nouvelle appellation validée par vos deux assemblées.

Les sites patrimoniaux remarquables répondent à l’objectif que nous nous étions collectivement fixé, à savoir rendre plus compréhensibles les outils de protection des espaces, unifier les méthodes et encourager la protection de ces espaces. Ainsi, les secteurs sauvegardés, les ZPPAUP et autres AVAP fusionnent pour donner naissance aux seuls « sites patrimoniaux remarquables », qui pourront bénéficier, au choix, de deux outils : soit le plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine, premier niveau de protection, soit le plan de sauvegarde et de mise en valeur, le plus haut degré de protection, qui n’est plus réservé à la centaine de secteurs sauvegardés, mais qui est ouvert aux plus de 800 sites patrimoniaux remarquables.

Je voudrais aussi rappeler la réforme des abords des monuments historiques qui est opérée dans cette loi, celle des espaces protégés, ainsi que la création de la catégorie des « domaines nationaux » ou le fait de pouvoir classer en une seule décision des ensembles historiques mobiliers afin d’éviter leur dispersion.

L’État garde pleinement son rôle, puisque, avec l’inscription dans la loi de l’assistance technique et financière, il est censé classer et aider les collectivités à bâtir et définir ces espaces.

Ne restait plus en débat que la question de la systématisation des commissions locales de site patrimonial protégé. Sur ce sujet, les sénateurs ont su convaincre leurs collègues députés.

En outre, la loi fait également entrer pour la première fois dans notre code du patrimoine des dispositions destinées à lutter contre le trafic des œuvres d’art et des vestiges archéologiques, permettant ainsi de protéger le patrimoine en danger. Les deux assemblées ont, d’un commun accord, interdit le transport et le commerce d’œuvres sorties illicitement du territoire d’un État en guerre ; elles ont également validé le principe proposé par le Gouvernement d’un refuge dédié aux œuvres menacées et offrant toutes les garanties de sécurité pendant un conflit. Il s’agit d’un sujet majeur dans un monde où se multiplient les zones en guerre.

La loi a aussi fait entrer dans le droit interne français le patrimoine mondial de l’UNESCO. Il est ainsi rappelé que l’État et les collectivités territoriales doivent protéger les biens inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité.

Enfin, s’agissant de l’architecture, demeuraient encore des divergences entre les deux assemblées sur la place de l’architecte dans le permis d’aménager. Il n’était pas ici question d’exclure la compétence d’autres professionnels de l’urbanisme et du paysage, qui concourent évidemment à l’aménagement de notre cadre de vie, mais il s’agissait de veiller à ce que les architectes puissent œuvrer à cet aménagement afin d’en assurer la qualité.

La deuxième lecture avait déjà vu la validation de deux points très importants.

D’une part, le principe de la diminution du seuil au-dessus duquel le recours à l’architecte est obligatoire avait été acté. Au-delà du symbole, c’est l’architecture du quotidien, des petits projets, de la vie de tous les jours qui est ici en jeu. Loin des grands gestes, nous avons souhaité montrer que l’intervention de l’architecte est décisive, dès les plus petites surfaces.

D’autre part, les deux assemblées avaient inscrit dans la loi le principe d’une expérimentation permettant de déroger à certaines règles, reconnaissant ainsi l’apport et la créativité des architectes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je pense que nous avons fait émerger ensemble des lignes de force de ce texte, des principes qui fondent notre action publique conjointe sur l’ensemble des secteurs cités.

Ce projet de loi concilie un champ certes très vaste, mais aussi des percées majeures qui feront date : la liberté de création et de diffusion, la modernisation des relations entre les acteurs des filières musicales, du livre, de l’audiovisuel et du cinéma à l’heure du numérique, de nouvelles perspectives pour l’enseignement artistique, la redéfinition des règles applicables à l’archéologie préventive, la modernisation du droit des nouveaux espaces protégés, une ambition nouvelle pour l’architecture, qui n’avait pas bénéficié d’une grande loi depuis 1977.

Ainsi, cette loi, fruit d’un travail collectif dont chacun peut être fier, affirme la place des artistes et de la création dans notre quotidien. Elle protège davantage notre patrimoine culturel et encourage la diversité.

Je tiens à remercier l’ensemble des parlementaires et des groupes qui ont, sur chacune des travées, œuvré en faveur de ce texte. Vous l’avez enrichi et nous avons su collectivement prendre le meilleur de chaque contribution.

Parallèlement, les professionnels du spectacle ont conclu de façon unanime un accord historique relatif à l’assurance chômage des artistes et des techniciens du monde du spectacle vivant et enregistré, un accord unanime, un accord responsable, qui produit des économies, un accord juste et plus adapté aux conditions d’exercice de leur profession.

Je crois que ces deux avancées parallèles feront date et qu’elles ouvrent de nouvelles perspectives pour la culture dans les années à venir.

Permettez-moi, à titre personnel, de vous remercier de la qualité et de la sincérité du travail mené au Sénat dans le sens de l’intérêt général.

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