Intervention de Pierre-Yves Collombat

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 29 juin 2016 à 9h45
Loi de finances pour 2017 — Nomination des rapporteurs pour avis

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat, rapporteur :

Je vous livre tout d'abord ce que je retiens de tous ces déplacements. C'est improprement que l'on parle d'application de la loi ; ce que nous observons, c'est du bricolage - le mot n'est pas dépréciatif dans ma bouche. Selon les deux acteurs concernés, le préfet et les élus, et les rapports de forces qui existent entre eux, le résultat peut être très variable. À la différence des autres réformes territoriales, on n'observe pas uniquement des tentatives de retardement ; pour la première fois il me semble, des élus, par une forme de passage à la limite, vont plus loin que ce que prévoyait la loi : voyez, en zone rurale, des communautés de communes qui en regroupent 70 ! Il s'agit, comme au judo, d'utiliser la force de l'adversaire contre lui-même. Comme si le corps, dans un phénomène allergique, réagissait violemment à ce qui est perçu comme une agression.

Cela produit des paradoxes, comme lorsqu'une commune doit de nouveau assumer une compétence exercée auparavant au sein d'un syndicat ou d'une intercommunalité, parce que la nouvelle intercommunalité n'en veut pas. À l'inverse, certaines grandes intercommunalités ne souhaitent pas exercer, ou du moins veulent moduler l'exercice de certaines compétences qui sont pourtant essentielles et qui justifient leur vocation, comme les transports. Les besoins augmentent en effet, sans que l'augmentation des moyens soit perceptible ; cela entraîne un freinage contraire à l'objectif de la réforme.

S'agissant du sujet dont je suis plus particulièrement chargé, la réorganisation des services régionaux de l'État, elle s'est faite selon deux principes : les directions régionales relevant d'une seule grande région devaient fusionner, sans obligatoirement avoir leur siège dans la nouvelle capitale régionale, mais en privilégiant un fonctionnement multi-sites suivant une logique de spécialité. L'intention est bonne : concilier la modestie des effectifs avec le maintien de la présence de l'administration sur le territoire. Mais la réorganisation des services de la région a été décalée à cause des élections de décembre dernier. La plupart des exécutifs des nouvelles régions ne semblent pas voir de lien entre la réorganisation de leurs services et la réorganisation des services de l'État - ce qui laisse rêveur quant à la cohérence d'une réorganisation territoriale censée renforcer les compétences et pouvoirs des régions alors que l'essentiel du travail en commun des services de l'État et des acteurs de terrain continuera à s'effectuer au niveau départemental !

Les services de l'État devront donc composer avec une organisation des services des conseils régionaux elle-même multi-sites. Avec pour conséquences une forte hausse du nombre et du temps de déplacements, et la fatigue qui va avec. Ce qui parfois conduit à privilégier l'envoi sur le terrain non pas de l'agent le plus compétent, mais le plus proche...

À la dispersion des acteurs s'ajoute la différence de doctrine d'application des politiques de l'État entre les anciennes directions régionales - preuve de la créativité locale. Il est nécessaire, dans le cadre de la nouvelle région, d'harmoniser ces doctrines.

Entre l'éloignement des agents et le décalage entre les fonctionnements, les motifs d'inquiétude ne manquent pas pour les services de l'État, dont je salue l'effort d'équilibre : ils n'ont pas habillé Paul en dépouillant Pierre. Mais quelle sera leur évolution, quand la politique générale est à la réduction des effectifs ? Face à la tendance à la centralisation des services de la région dans son chef-lieu, l'État pourra- t-il continuer à disperser ses services ?

Il faut des moyens matériels suffisants pour travailler en multi-sites, qu'il s'agisse de télétravail ou de déplacements. La tendance est au progrès, mais ce progrès est lent. Dans l'attente d'une solution optimale, chacun se débrouille, le déploiement étant prévu jusqu'à la fin 2018.

Les services de ressources humaines ont fourni un effort d'anticipation, de dialogue social, d'accompagnement individuel des agents. Généralement, cet effort a été apprécié, même si certains syndicats ont exprimé leur mécontentement. Sur 8 000 agents concernés, 400 ont effectué une mobilité géographique, 1 800 une mobilité fonctionnelle, et seuls 150 ont refusé toute mobilité. Il n'y a eu aucune mobilité géographique obligatoire. Les agents souffrent néanmoins d'une inquiétude métaphysique quant au sens de leurs missions. Comment, en outre, l'encadrement peut-il être assuré partout et adapté à une gestion multi-sites ? Malgré les difficultés, la fatigue, les tensions dues à l'adaptation à des pratiques nouvelles, les agents ne sont pas pessimistes même s'ils souhaitent un avenir plus calme.

Je salue le stoïcisme des services de l'État, leur engagement et leur créativité. Il serait catastrophique que l'accumulation de réformes, assortie de la réduction endémique des moyens, finisse par décourager la fonction publique de qualité dont la France bénéficie.

Nous n'avons jamais réussi à obtenir de chiffres sur l'évolution des effectifs des services centraux et déconcentrés ; or j'ai l'impression que la baisse est surtout mise en oeuvre loin de Paris.

J'ai une marotte : la nomination des préfets. Il est anormal que si peu de sous-préfets deviennent préfets. L'ami du prince est nommé sans expérience des territoires, or en matière d'élaboration de schémas départementaux de coopération intercommunale, on distingue ceux qui connaissent le terrain de ceux qui appliquent sans discernement des mesures absurdes.

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