Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter, au nom de mon groupe, vise à « mettre en place des outils de gestion des risques en agriculture ».
Si toutes les techniques de gestion des risques concourent plus ou moins directement au soutien des revenus agricoles, l’objectif précis de notre texte est de contribuer à la garantie des revenus agricoles par la création d’un instrument de stabilisation du revenu, le fonds de stabilisation des revenus agricoles.
Dans un premier temps, j’aborderai les éléments de contexte justifiant le bien-fondé et l’urgence de notre proposition. Je préciserai ensuite la problématique à résoudre. Je terminerai par la présentation du dispositif et des outils permettant de construire la démarche.
Comme nous l’avons tous rappelé lors du débat du 7 juin dernier sur l’avenir des filières agricoles ou à l’occasion de l’examen de la proposition de résolution visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture, adoptée à l’unanimité le 6 avril dernier, la politique agricole commune, la PAC, actuelle contribue aux revenus des agriculteurs, mais elle le fait de façon uniforme, rigide, sans tenir compte des réalités des marchés.
Sans pouvoir de marché, les producteurs subissent d’autant plus la volatilité des prix que tous les mécanismes de régulation qui existaient ont disparu.
Dans l’Union européenne, peu de pays ont mis en place des dispositifs de gestion des risques de marché. À l’inverse, les États-Unis consacrent des sommes importantes au soutien de leurs agriculteurs, dans le cadre d’un dispositif budgétaire beaucoup plus souple que la PAC, mais il ne faut pas pour autant idéaliser ce système, tant les modèles globaux sont différents.
Dans notre pays, le contrat socle pour certaines cultures et le FMSE, le Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnementale, couvrent des risques courants.
Pour les risques qui ont un caractère exceptionnel ou catastrophique, l’action volontariste, que je salue, du ministère et de l’État permet de mobiliser la solidarité nationale.
La problématique de la gestion des risques en agriculture est complexe. Il n’existe pas un outil unique, universel, qui permettrait de faire face à toutes les situations. Nous avons besoin d’une boîte à outils, outils adaptés à la nature du risque, du risque « indépendant » au risque « systémique », et à l’importance des pertes de l’exploitation, de « normales » à « catastrophiques ».
La PAC, en tant que telle, n’intervient dans ce domaine que par le biais de la DPA, la déduction pour aléas, et du financement des 65 % de l’assurance récolte.
Cependant, aucun dispositif spécifique n’a été mis en œuvre dans notre pays pour contribuer à la stabilisation des revenus agricoles, qui sont devenus très variables du fait de la volatilité des prix. Il est maintenant indispensable de mettre en œuvre les dispositifs de stabilisation des revenus dans le cadre réglementaire européen actuel, qui le permet.
L’esprit qui a présidé aux travaux de la commission des affaires économiques, l’approche constructive du rapporteur, Jean-Jacques Lasserre, dont je salue le travail, et l’écoute de M. le ministre de l’agriculture attestent de notre volonté commune, transpartisane, de servir l’agriculture française dans son ensemble, et je m’en réjouis.
En quoi consiste la problématique ? Il s’agit d’instituer et de contribuer au développement progressif d’un instrument de stabilisation du revenu agricole, dans le cadre du règlement (UE) n° 1305/2013, en adoptant une approche pragmatique fondée sur de l’expérimentation, de l’évaluation, de la formation, des décisions partagées prises par l’ensemble des parties prenantes.
Pourquoi ? Parce que, à terme, la réussite du dispositif passera par une large adhésion basée sur la confiance des agriculteurs eux-mêmes et sur la souhaitable implication de prestataires spécialisés. Sans confiance, sans une large solidarité que traduira le niveau d’adhésion des agriculteurs, il y aura peu de chance d’être efficace quand les situations l’exigeront !
Notre proposition de loi repose sur la mise en place, à l’article 1er, du FSRA, le fonds de stabilisation des revenus agricoles, défini conformément aux articles 36 et 39 du règlement (UE) n° 1305/2013. Ce fonds sera mis en œuvre par les régions, activé quand le revenu agricole baissera de plus de 30 % et son taux de couverture pourra aller jusqu’à 70 % des pertes évaluées. Il sera instauré dans un cadre concerté entre ministère de l’agriculture, conseils régionaux et organismes professionnels de représentation.
Comme le permet son règlement, conformément à l’article L. 361-4 du code rural et de la pêche maritime, le FNGRA, le Fonds national de gestion des risques en agriculture, pourra alimenter le FSRA dans la limite des 65 % autorisés par le règlement (UE) n° 1305/2013.
Les articles 2 et 3 du présent texte traduisent l’approche particulière qui nous paraît nécessaire pour construire la confiance qui permettra la montée en puissance progressive du dispositif. La réussite collective est à ce prix et il ne faut pas décevoir en allant trop vite !
Pour ces raisons, à l’article 2, nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport d’ici au 31 décembre 2016 sur les modalités de financement du FSRA.
Ce rapport traitera de la contribution volontaire – comme c’est le cas aujourd’hui pour le FMSE via la MSA, la mutualité sociale agricole – ou pas des agriculteurs à partir de leurs droits à paiement de base ; de la faisabilité et du niveau de l’augmentation de la TASCOM, la taxe sur les surfaces commerciales, pour les surfaces de plus de 2 500 mètres carrés ; de la mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières, ou TTF, opérées sur les marchés de produits agricoles, considérés désormais – je le regrette, mais c’est ainsi – comme des actifs financiers ; de l’augmentation de la taxe sur les cessions de foncier agricole ; de l’abondement par l’État et les collectivités locales ; éventuellement d’autres mesures au titre des 35 %.
La possibilité de mobilisation d’une partie du FNGRA sera aussi étudiée, en complément des fonds européens de type FEADER, le Fonds européen agricole pour le développement rural, ou des fonds du premier pilier, dans le cadre d’une évolution doctrinale éventuelle de la PAC.
L’obligation de réussite suppose de la prudence, de la progressivité, d’où l’article 3, qui prévoit qu’il sera procédé, dans le cadre de l’article 37-1 de la Constitution, à des expérimentations conduites par le ministère de l’agriculture sur deux ans et associant les territoires volontaires, les filières choisies avec les professionnels concernés et leurs représentants, et, plus largement, toutes les parties prenantes au dispositif testé.
Quand on écoute, comme nous l’avons fait, les spécialistes du sujet, quand on LIT les études existantes, françaises et européennes, on est frappé de constater que l’appareil conceptuel existe, mais qu’il manque – constat qui vaut pour tous les pays européens ou presque – une volonté politique de passer à l’acte, fût-ce avec prudence et en étant à l’écoute des spécialistes que sont les chercheurs, les économistes et les financiers.
Parce que nous pensons aussi que, à terme, le FSRA devra être envisagé dans le cadre d’une PAC réformée, prenant en compte de manière significative la question de la stabilisation du revenu, nous demandons, dans le cadre de ce même article 3, que le ministère de l’agriculture présente, au regard des expérimentations menées, une évaluation de la possibilité de généralisation du FSRA.
En cohérence, nous demandons, et c’est l’objet de l’article 4, que le Gouvernement remette au Parlement avant le 31 mars 2017 un rapport exposant les grandes orientations qu’il entend défendre pour la PAC post-2020. Un point particulier de ce rapport traitera des mécanismes de régulation des prix et de stabilisation des revenus, ainsi que de la couverture des risques économiques.
Il s’agira de préciser le modèle de la nouvelle PAC que nous entendons défendre. Quel modèle de régulation ? Quels rôles pour le premier et le second piliers ? Quelle place pour la gestion des risques ? Quelles conditionnalités éventuelles pour le paiement des aides directes à la souscription d’outils de gestion des risques ? Quels dispositifs de formation et d’accompagnement des agriculteurs vers ces formes de gestion et de stratégies d’entreprise ? Ne faut-il pas créer une agence européenne de gestion des risques agricoles ?
L’article 5, quant à lui, introduit la possibilité d’utiliser tout ou partie du FNGRA pour atteindre les 65 % de cofinancement du FSRA.
L’article 6 précise la contribution de la DPA à la constitution de l’épargne de précaution.
L’article 7 aborde la question de la simplification des normes agricoles.
Le rapport que Gérard Bailly et Daniel Dubois vont rendre sous peu, rapport auquel Henri Cabanel et moi-même nous sommes associés, abordera la question de la méthodologie d’élaboration des normes.
Il nous semble – c’est le sens de l’article 7 – que ce sujet peut être appréhendé de manière plus efficiente par une approche de la gestion des risques pouvant déboucher sur une utilisation stratégique de la norme ou du règlement en matière de conquête de marchés externes comme de protection des marchés internes. Les appellations d’origine contrôlée, les appellations d’origine protégée, les indications géographiques protégées, connues sous les sigles AOC, AOP, IGP, et les autres labels sont l’exemple d’une telle utilisation stratégique dont l’actualité liée aux accords de libre-échange comme le TAFTA et le CETA nous rappelle tout l’intérêt.
Les articles 8, 9 et 10 fixent les niveaux de contribution des dispositifs de financement des 35 % du FSRA.
Pour terminer, et au regard de la réception de cette proposition de loi par la commission des affaires économiques, nous avons fait œuvre commune, au-delà de nos différences d’approches politiques sur tel ou tel sujet, pour la protection de nos agriculteurs.
Ceux-ci nous disent vouloir des prix et non pas des primes. J’entends aussi derrière cette demande, et au regard de l’analyse du contexte international de marché auquel ils sont confrontés, un appel à la protection. Cet appel n’est d’ailleurs pas propre au monde paysan, l’actualité nous le rappelle vivement. Il traduit ce que les peuples d’Europe attendent légitimement de leurs représentants. Par cette proposition de loi et ses suites, donnons l’exemple et soyons à la hauteur des attentes et de notre responsabilité !
Monsieur le ministre, chers collègues, j’espère que le débat de cet après-midi et, au-delà, le destin législatif que connaîtra ce texte iront dans ce sens.