Je viens de regarder les chiffres du marché au cadran de Plérin. Le prix au kilo du cochon vient de repasser la barre de 1, 40 euro, atteignant même 1, 43 euro, du fait d’une demande chinoise inespérée qui fait se redresser les cours. L’an dernier, la crise de la filière porcine était pourtant majeure.
On le voit, le marché fluctue. Lorsque les prix sont en hausse, nous ne discutons pas des problèmes de l’agriculture ; lorsqu’ils baissent, chacun a des solutions à proposer. Pour ma part, j’avais présenté à l’époque quelques idées. Je le dis par avance, ce n’est pas parce que la situation s’améliore qu’il faut oublier de mettre en œuvre les logiques de contractualisation.
Deuxièmement, il s’agit des aléas de la nature de manière générale.
Nombre de ceux qui en parlent oublient que, en agriculture, il suffit d’un aléa climatique ou d’une crise sanitaire pour que l’investissement engagé en termes de capital et de travail puisse être totalement remis en cause du jour au lendemain, ou d’un mois à l’autre. Cela pèse énormément sur la capacité qu’ont les agriculteurs d’investir dans l’avenir.
Lors de ma nomination au ministère de l’agriculture en 2012, le prix des céréales était très élevé. Il a aujourd’hui baissé de près de 40 %. Depuis 2014, les crises se sont succédé, dans les filières bovine, porcine et laitière. Ainsi, la crise du lait est liée à un excédent d’offre sur le marché européen et international qui explique le très bas niveau de prix. Une action est donc nécessaire à l’échelle européenne pour maîtriser la production laitière. Après huit ou neuf mois de bataille politique et idéologique au sein de l’Europe, j’espère atteindre cet objectif le mois prochain, lors du conseil des ministres européens de l’agriculture.
Cette bataille de la maîtrise de la production devra être financée à l’échelon européen. Tous les États concernés et les acteurs de la filière devront s’y engager, afin d’éviter que ne se constituent, comme c’est le cas aujourd’hui, des stocks de poudre de lait – ils atteignent 290 000 ou 295 000 tonnes ! – et de beurre qui pèsent, là aussi, sur le marché.
Nous avons tous en tête les différentes composantes des risques auxquels est confrontée l’agriculture, ainsi que leurs conséquences pour les agriculteurs et les exploitations. Je rappelle que, pour faire face à la sécheresse de l’an dernier, il a fallu mobiliser près de 185 millions d’euros du Fonds national de gestion des risques en agriculture, le FNGRA, l’ancien Fonds de gestion des calamités agricoles, le FGCA. Cette année, Jean-Jacques Lasserre l’a rappelé, ce sont les inondations qui ont frappé.
D’une année sur l’autre, on peut donc être confronté à des aléas climatiques aussi différents qu’une sécheresse et une inondation ! À chaque fois, la solidarité nationale s’exerce, et c’est nécessaire.
Mais il y aussi, troisièmement, les crises sanitaires. À la fin de l’année dernière et au début de celle-ci, nous avons mobilisé plus de 35 millions d’euros pour faire face à la crise de la filière bovine liée à la fièvre catarrhale ovine, la FCO. Là encore, c’était absolument nécessaire.
Nous sommes confrontés, en outre, à la crise liée à l’influenza aviaire, qui a nécessité de procéder à un vide sanitaire sans précédent et de mobiliser plus de 220 millions d’euros de fonds publics, afin de venir en aide à toutes les exploitations qui sont concernées par cette infection.
Enfin, les crises que l’élevage a traversées ont coûté de 700 à 800 millions d’euros, dans le cadre des plans de soutien à l’élevage. Là aussi, c’était absolument nécessaire et déterminant.
J’ai dressé cette liste afin que chacun ait bien conscience que nous vivons un moment particulier et très difficile. Tout ce que nous pouvons imaginer en termes d’assurance contre les risques, de manière globale, et qui nécessite un engagement des agriculteurs devient donc pratiquement impossible à mettre en place, compte tenu de la situation dans laquelle se trouvent les exploitations agricoles.
Comment expliquer aujourd’hui à des agriculteurs qu’ils doivent mobiliser une partie de leur épargne pour financer une assurance quand ils viennent de subir les aléas que je viens d’évoquer ? Cette assurance garantit, bien sûr, des prestations, mais celles-ci sont aussi souvent calculées sur les pertes réelles constatées. Lorsque ces pertes ont été importantes à un moment donné, le coût de l’assurance augmente automatiquement l’année suivante, tandis que les prestations diminuent. Ce n’est pas incitatif pour les agriculteurs !
La grande question qui nous est posée – raison pour laquelle ce débat est important – est la suivante : comment créer des outils permettant d’appuyer cette assurance et cette mutualisation des risques sur la base de financement la plus large possible, de rendre le coût pour chaque exploitant agricole le plus faible possible et de couvrir les risques le mieux possible ?
Chacun peut toujours proposer des solutions. C’est le cas avec l’article 1er de la présente proposition de loi qui met en place un fonds de stabilisation des revenus agricoles dans chaque région. D’autres ont imaginé des mesures plus individuelles. Quoi qu’il en soit, nous devons travailler à partir du principe suivant : une base qui soit la plus large possible, c’est-à-dire, comme nous l’avons souvent évoqué dans cette enceinte, la totalité des hectares et des productions. Cela permettra d’avoir un coût d’accès à cette protection et à cette assurance le plus faible possible.
Et parce que cette base est large, les conséquences des calamités seront remboursées de la façon la plus efficace.
M. le rapporteur l’a dit, nous n’avons pas choisi de mobiliser ce fonds dans le cadre du second pilier de la PAC lorsque nous avons négocié celle-ci. C’est vrai, mais je rappelle que ce fonds nécessite un financement à hauteur de 35 % par les exploitants agricoles, et que le remboursement a lieu un an plus tard, à condition que les pertes aient été supérieures à 30 % !
Ce fonds a donc des vertus, mais il a aussi ses limites, parmi lesquelles figurent, je le répète, la nécessité d’un financement par les exploitants agricoles à hauteur de 35 % et des remboursements soumis aux strictes conditions que je viens de citer.
Cette piste, prévue dans la proposition de loi, est intéressante, mais elle ne répond pas encore à la question et à la méthode que j’ai évoquées précédemment.
Étant parfaitement conscients que cette question des aléas et de la volatilité était au cœur du débat agricole, nous avons développé le FMSE, qui avait été mis en place avant ma nomination et qui fonctionne avec les moyens qui sont les siens. Quoi qu’il en soit, il existe et il a un rôle important.
Nous avons aussi décidé de transférer des crédits pour alimenter l’assurance récolte : le budget correspondant est passé de 88 millions d’euros en 2012 à 108 millions en 2015.
Nous avons également engagé la négociation sur le fameux contrat socle. Nous avons voulu mettre en place celui-ci, afin de lancer un processus d’assurance et de mutualisation qui soit, comme je le désirais, le plus large possible. Et comme ce contrat concerne un très grand nombre d’agriculteurs, son coût est limité.
Je suis pourtant obligé de faire le constat que les agriculteurs, compte tenu des crises des filières qu’ils ont traversées, auxquelles se sont ajoutées des crises sanitaires, ne souscrivent pas autant qu’on pouvait le souhaiter à ce dispositif.
Dès que je suis arrivé au ministère, j’ai lancé la réforme de la DPA, afin d’encourager la constitution par les agriculteurs d’une provision défiscalisée. Il fallait limiter le recours à la déduction pour investissement, la DPI, qui était une stimulation à l’investissement, en particulier pour le matériel agricole.
Je souhaite vous indiquer quelques chiffres, mesdames, messieurs les sénateurs. En 2012, la DPA représentait à peine 6 millions d’euros de provision, pour 2 500 bénéficiaires. En 2013, elle est passée à 16 millions d’euros, pour 5 800 bénéficiaires. En 2014, nous en sommes à 39 millions d’euros, pour plus de 11 400 bénéficiaires.
On voit donc bien que la DPA, telle qu’elle a été adoptée – vous y avez participé –, apportait une réponse partielle. Mais l’objectif que nous devons nous fixer, si nous voulons régler tous les problèmes que j’ai évoqués, n’est pas encore atteint.
La véritable question qui nous est posée est la suivante : à quel moment peut-on engager un processus qui élargisse au maximum la base de la contribution, pour que le coût de celle-ci soit le plus faible et que le risque soit le mieux couvert ? Tel est l’enjeu. Et quelle méthode suivre ?
Dans la proposition de loi sont indiquées des pistes que le Gouvernement et le ministre que je suis prendront en compte. Je pense notamment aux évolutions fiscales relatives à la DPA qui seront débattues lors de l’examen du projet de loi de finances.
Il va de soi que nous devons améliorer encore l’outil fiscal qu’est la DPA. Je suis tout à fait d’accord, pour ma part, pour que l’on prenne en considération le nombre de salariés, comme cela est proposé dans le texte. Mais, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, lors des discussions portant sur la loi de finances, on tient compte non seulement des objectifs que l’on se fixe, mais aussi des contraintes budgétaires existantes…
Nous devrons également mener une réflexion à propos de la PAC et des fonds disponibles sur l’ensemble des aides surfaciques. Je crois de plus en plus que l’on amorce la pompe de la mutualisation des risques en essayant de favoriser, au sein du premier pilier de la PAC, une épargne qui permettra aux agriculteurs de faire face aux risques. Je pense en particulier à ceux qui correspondent à des pertes situées entre 0 % et 30 %, trop récurrents : nous devons donner aux agriculteurs les outils pour s’en prémunir.
Cela signifie qu’il faut des outils réactifs, une réserve disponible qui permette aux agriculteurs de souscrire des assurances de type contrat socle, et ce quels que soient les productions et le lieu. Si l’on est capable de mobiliser les fonds du premier pilier et de les consacrer à un système de mutualisation bénéficiant aux agriculteurs, alors on pourra rendre ce système obligatoire.
Il y a une seule condition à remplir : les agriculteurs ne participeront au dispositif que si cet argent public est effectivement mobilisé. C’est par l’utilisation d’une partie des aides de la PAC, en particulier celles du premier pilier, que nous y parviendrons.
Devons-nous anticiper le moment où il nous faudra amorcer cette pompe ? Quelle est la période propice pour que les agriculteurs acceptent ce type de proposition ?
Compte tenu des difficultés que ceux-ci rencontrent actuellement, nous ne sommes pas encore parvenus à ce moment nodal propice pour lancer un processus global de gestion de l’ensemble de ces risques.
C’est pourquoi la France, lors du débat sur la PAC de 2020, a proposé de faire bénéficier les agriculteurs d’une épargne de précaution. Il s’agit de traiter des risques liés, je le rappelle, à des pertes de revenus situées entre 0 % et 30 %.
Au-delà de 30 %, en effet, la solidarité nationale et européenne est indispensable, car la charge est trop lourde. En revanche, pour les risques les plus courants, qui font trop souvent – et quelquefois fortement – varier les prix, et donc les revenus, il faut permettre aux agriculteurs de bénéficier d’un système de mutualisation générale. Ainsi, j’y insiste, le coût de l’assurance sera plus faible et la couverture plus étendue.
Lorsque les agriculteurs cotisent sur une base faible, la couverture du risque, elle aussi, est faible. En outre, en vertu de la règle de la moyenne olympique – je trouve cette formule assez drôle ! –, lorsque se produit une diminution de la couverture en fonction des risques déjà couverts, les agriculteurs ne peuvent entrer dans le processus…
Ce débat que vous avez souhaité lancer, mesdames, messieurs les sénateurs, est donc très important. Les pistes que vous proposez sont, bien entendu, au cœur des possibilités qui nous sont offertes, et nous en discuterons. Il s’agit, vous l’aurez compris, de sujets budgétaires, ainsi que d’efficacité globale et générale.
En tant que ministre de l’agriculture, je veux encourager et soutenir votre initiative, qui vise à répondre à cette question fondamentale : comment faire pour que les agriculteurs résistent mieux aux aléas économiques, climatiques ou sanitaires ?