Je voudrais d’abord remercier le rapporteur des propos qu’il a tenus et lui garantir que nous sommes dans le même état d’esprit constructif. Nous serons amenés à travailler de nouveau ensemble.
Le 6 avril dernier, lors de l’examen de la proposition de résolution visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture, j’avais présenté dans le détail le contexte et les enjeux de ce texte. La proposition de loi que nous vous présentons aujourd’hui, mes chers collègues, s’inscrit dans la continuité de celui-ci. Elle poursuit un objectif très clair : la mise en œuvre de mécanismes de gestion des risques en agriculture.
Il est inutile de revenir sur le contexte de crise profonde que vous connaissez toutes et tous : il y a urgence à agir.
Si l’État a su répondre aux pics conjoncturels par un soutien financier important, l’enracinement de cette crise nous place devant une évidente crise structurelle à l’échelon non seulement français, mais également européen. Aujourd’hui, la filière tout autant que les élus s’accordent à dire qu’il faut revoir notre modèle agricole. Il faut le faire coller à la réalité du marché mondialisé, à l’attente sociétale sur les questions environnementales, à l’évolution des goûts des consommateurs…
La semaine dernière, l’AFP s’est fait l’écho de la situation de précarité du monde agricole en donnant les chiffres de l’évolution des demandes de la prime d’activité, qui remplace le RSA activité et représente en moyenne 183 euros par mois. La mutualité sociale agricole témoigne de cette augmentation de demandes provenant aujourd’hui à 34 % d’exploitants agricoles. Selon son président national, Pascal Cormery, en raison d’une conjonction de facteurs, « les mois de septembre et octobre peuvent être à haut risque pour le monde agricole ». À la crise économique et sanitaire – fièvre catarrhale ovine et grippe aviaire – s’ajoutent, ces jours derniers, les intempéries qui ont encore plus fragilisé ceux qui l’étaient déjà et touché des professionnels qui ne l’étaient pas encore, comme les maraîchers. Il faut donc déployer très rapidement des outils de protection pour permettre à nos agriculteurs d’avoir une visibilité économique nécessaire pour construire une véritable stratégie.
Nous le savons, les risques en agriculture représentent un sujet très technique et complexe. Des chercheurs y travaillent depuis des années. L’unanimité aujourd’hui est faite sur le manque évident. Ce constat est dressé, mais nous restons dans un immobilisme qui sclérose la filière.
Nos voisins européens, comme l’Allemagne et l’Espagne, mais aussi les États-Unis, se sont déjà dotés d’outils qui répondent à cette problématique. Dans le cadre de notre proposition de loi, nous avons demandé aux services du Sénat une étude de législation comparée avec ces trois pays significatifs.
Les trois exemples étudiés démontrent une part variable de l’assurance et de la compensation des dommages occasionnés par les catastrophes naturelles.
En Allemagne, le recours à l’assurance privée s’effectue sur la base exclusive du volontariat, la gestion du risque agricole étant en principe du ressort de l’agriculteur. Le régime des indemnités versées par les collectivités publiques qui résulte d’une intervention de la fédération ou d’un Land peut être lié à la souscription préalable d’un produit d’assurance privé : à défaut, le montant des aides est susceptible de diminuer.
En Espagne, un dispositif d’assurance agricole ancien et spécifique tend à se généraliser sous la forme d’un partenariat public-privé, les compensations versées en cas de catastrophe revêtant un caractère résiduel.
Le cas des États-Unis a été évoqué par Franck Montaugé ; je n’y reviens donc pas.
L’Europe a pris en compte la question de la baisse de revenus : des fonds européens peuvent être déployés dans le cadre de l’instrument de stabilisation des revenus, sur la base des articles 36 et 39 du règlement européen relatif au soutien au développement rural par le FEADER. Mais aucun pays ne les a activés, les régions qui sont responsables de la gestion de ces fonds ayant opté pour d’autres priorités.
Pourtant, une mise en œuvre dans les plus brefs délais nous paraît plus que nécessaire. Nous sommes conscients des arbitrages et des compromis que devront opérer les régions dans ce cadre avec les filières.
Ce mécanisme pourrait, en effet, être activé en cas de baisse du revenu importante de l’agriculteur concerné. Les paiements effectués par ce fonds compenseront jusqu’à 70 % de la perte de revenu. C’est tout l’enjeu de l’article 1er de notre proposition de loi.
Le fonds de stabilisation des revenus agricoles serait mis en place dans les régions au plus tard au 1er janvier 2018, et cofinancé par le FEADER, l’État, les collectivités territoriales et les personnes physiques ou morales exerçant des activités agricoles. Cela permettrait la mise en place d’un soutien et d’un accompagnement plus pérennes.
Nous connaissons aussi l’iniquité actuelle de la répartition des crédits de la PAC.
Nous devons parler d’une même voix pour tenir un discours honnête et réaliste face aux exigences européennes et à l’obligation de gérer des problématiques lourdes et d’actualité – je pense notamment à la question migratoire, au Brexit et aux moyens qu’il nous faudra capter pour redéfinir une stratégie politique et économique européenne. Nous ne pouvons nier la réalité probable de la baisse des crédits de la PAC post-2020.
Mes chers collègues, certains d’entre vous se sont abstenus lors du vote de notre proposition de résolution. Celle-ci a donc été adoptée à l’unanimité des suffrages exprimés le 6 avril dernier.
Vous avez déposé sur la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui des amendements de pure forme qui ne donnent pas d’axe précis sur votre positionnement.
Il est donc temps d’agir pour relever les enjeux en dépassant nos clivages et nos différences d’idéologie. Une union en faveur de la gestion des risques en agriculture donnerait de notre assemblée une image de raison, de construction, d’action, et non une image de parti pris systématique que les citoyens rejettent aujourd’hui. Le Brexit est un exemple éloquent d’un monde politique éloigné des réalités et des peuples, et incapable de communiquer sur ses actions.
Les agriculteurs nous font confiance, car nous sommes les élus des territoires et donc de la ruralité. Que deviendront ces territoires si, demain, l’agriculture disparaissait pour n’avoir pas su se doter d’outils modernes accompagnant ses mutations ? La gestion des risques en fait partie dans une agriculture mondialisée.
Plutôt qu’un vote d’abstention positive, je vous propose – une fois n’est pas coutume – un vote d’adhésion positive qui sera beaucoup plus porteur : ce sera un signe fort envoyé à nos collègues députés.
Ce vote d’adhésion positive sera aussi un signe fort adressé à nos agriculteurs, en faveur de la défense de leurs revenus, de l’aménagement de nos territoires, tout autant que du maintien de notre sécurité alimentaire.
Je fonde tous mes espoirs sur votre proximité avec nos terroirs et votre connaissance de notre monde rural. Nos paysans méritent notre prise de responsabilité, notre union sacrée !