Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’en conviens, l’examen de la proposition de loi tendant à modifier le mode de scrutin pour l’élection des élus à l’assemblée de Mayotte nécessite la bienveillance de notre assemblée parlementaire.
Ce texte appelle toutefois de ma part un certain nombre d’observations, que je concentrerai sur trois points essentiels.
Premièrement, s’appuyant sur le critère matériel de l’exercice des compétences régionales par le département de Mayotte, sans que les lois relatives au département de Mayotte ne reconnaissent à cette collectivité la qualité d’une région d’outre-mer, le présent texte, avec ses deux chapitres, prévoit le passage du binôme paritaire homme-femme, expérimenté en 2015, au scrutin proportionnel tel qu’il s’applique dans les régions.
Cette proposition appelle les précisions suivantes.
Ce texte modifie l’article L. 558-9 du code électoral en prévoyant que « les conseillers à l’assemblée de Mayotte sont élus pour six ans en même temps que les conseillers régionaux ».
Il introduit aussi des dispositions nouvelles et insère deux nouveaux articles dans le code électoral : l’article L. 558-9-2 et l’article L. 558-9-3, aux termes duquel « l’assemblée de Mayotte est composée de trente-neuf membres ».
En outre, il crée un chapitre II intitulé « Mode de scrutin » et prévoit treize sections dont la délimitation recouvre exactement celle des treize cantons actuels.
Je prends acte de cette initiative, mais je tiens à dire quelques mots sur l’urgence politique à Mayotte.
Chacun le sait, le principe en vigueur de l’assemblée unique exerçant à la fois les compétences départementales et régionales, qui comporte de nombreuses difficultés techniques et matérielles, n’a pas été suffisamment clarifié.
En effet, à ce statut départemental atypique mal organisé s’ajoute le problème de la représentativité numérique, c’est-à-dire de la détermination d’un nombre bien justifié d’élus devant siéger à l’assemblée de Mayotte pour gérer au mieux les affaires du département.
De ce fait, des revendications en faveur de l’instauration d’une véritable collectivité unique de plein exercice à Mayotte s’élèvent, à côté de vœux, jugés plus urgents, de régler au préalable le problème des réformes engagées.
Ces vœux portent sur l’instauration de l’égalité sociale, avec un véritable alignement législatif des minima sociaux à Mayotte sur le droit commun, sur la mise en œuvre d’une fiscalité de droit commun, prenant réellement en compte, d’une part, les inquiétudes exprimées sur le terrain, et, d’autre part, les adaptations adéquates prévues par le constituant à l’article 73 de notre Constitution, sur l’institution d’un dialogue multipartite entre l’État et les élus de Mayotte pour analyser, évaluer l’insuffisance des ressources des collectivités de l’île, englobant celles du département, dans le respect de ses compétences régionales et des communes mises à mal sur les plans financier et budgétaire afin de pouvoir décider collectivement des remèdes à apporter à leurs préoccupations, sur la problématique de l’insécurité, ainsi que sur la lutte contre l’immigration irrégulière, deux défis liés qui tiennent une place cruciale dans l’agenda politique du moment et qui nous contraignent à agir, sur la révision de la diplomatie de notre pays dans l’océan Indien, une étroite coopération avec nos voisins dont la situation politico-juridique des ressortissants préoccupe les autorités à Mayotte s’imposant.
La liste est longue, mes chers collègues, et je vous renvoie, sur tous ces thèmes, au rapport de la Cour des comptes de janvier 2016 intitulé : La départementalisation de Mayotte, une réforme mal préparée, des solutions prioritaires à conduire.
Sur tous ces sujets, la discussion parlementaire doit s’ouvrir. Je dois dire qu’elle s’est amorcée au travers de la rencontre entre les élus de Mayotte et le Premier ministre, qui nous a reçus le 26 mai dernier, à Matignon, pour aborder ces questions sous-jacentes.
Chacun s’accorde à dire que ces thèmes sont liés. Cette réunion a permis aux élus mahorais d’obtenir des engagements de la part du Gouvernement sur dix mesures. Le premier de ces engagements a trait à la prise en compte de la réalité de la démographie mahoraise pour décider des actions politiques adéquates.
La discussion parlementaire doit se poursuivre dans le respect d’un traitement global, et non séparé, de ces questions.
Deuxièmement, je note que la place de l’assemblée unique de Mayotte dans le code général des collectivités territoriales, qui diffère de celle des assemblées uniques de Martinique et de Guyane, mérite d’être revue, de même que sa prise en compte dans le code électoral, qui fait apparaître des différences de traitement.
Le traitement inégalitaire réservé à Mayotte dans ces cadres a fait naître des doutes et inquiétudes sérieux de nature à créer de la confusion et une certaine amertume depuis que les collectivités de Guyane et Martinique sont devenues des collectivités uniques, en lieu et place de départements et régions, une assemblée unique ayant été mise en place dans chaque département.
En Guyane et en Martinique a été instauré un scrutin de liste à deux tours, avec une circonscription unique, composée de huit sections en Guyane et de quatre sections en Martinique.
L’introduction de sections dans chaque collectivité est une manière de prendre en compte la représentation démographique des territoires, donc la dimension départementale.
Le mode de scrutin retenu par la présente proposition de loi est le scrutin de liste avec une circonscription unique composée de treize sections dont la délimitation est fixée conformément au tableau détaillé figurant au deuxième chapitre de ce texte. Je vous y renvoie, mes chers collègues.
Cette situation n’entraîne-t-elle pas une confusion entre plusieurs systèmes complètement différents dans leur conception et leur signification ? Il existe, d’un côté, la logique des cantons, qui servent de ressort à l’élection des conseillers départementaux, comme c’est le cas actuellement, de l’autre, la logique des sections pour l’élection des futurs élus de Mayotte que cette proposition de loi vise à instituer, et, enfin, un autre système faisant appel à la logique de la carte de l’intercommunalité, non évoquée dans le texte.
À cet égard, pourquoi ne pas prendre en considération la règle du redécoupage utilisée pour l’élection des conseillers intercommunaux de l’île, ce qui pourrait constituer une alternative aux options décrites ci-avant ? Encore faudrait-il que la réflexion soit davantage approfondie.
Le critère de la démographie doit être l’arbitre de ce jeu législatif en vue d’aboutir, en fin de compte, à une représentation équilibrée du territoire. Or le texte que nous examinons actuellement n’apporte pas cette garantie d’équilibre.
Aussi, pour compléter cette vision, le dispositif actuel, avec les articles 156 et 157 de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, qui traitent de la question démographique et maintiennent le recensement quinquennal, est-il appelé à évoluer pour mieux prendre en compte les réalités locales du département. Or le présent texte n’apporte aucune précision sur ce point crucial.
Madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il est temps de soustraire Mayotte de la catégorie des collectivités d’outre-mer relevant de l’article 73 de la Constitution, en lui appliquant les modalités de recensement de droit commun.
De plus, au regard de la loi du 11 avril 2003 relative à l’élection des conseillers régionaux – disposition codifiée à l’article L. 338 du code électoral –, le chiffre de population est un élément déterminant, puisque c’est en fonction de lui qu’est fixé le nombre de sièges par section départementale. En outre, la répartition des sièges au sein des sections est établie au prorata du nombre de voix obtenues par section.
En Martinique, d’abord, ont été délimitées quatre sections correspondant aux quatre circonscriptions législatives, la détermination du nombre de sièges par section étant assez complexe.
En Guyane, ensuite, ont été établies huit sections consistant chacune en des regroupements d’une ou plusieurs communes, le nombre de sièges par section étant variable. La répartition des sièges garantit dans ce cas un nombre de sièges donné par section.
Dans le cas de Mayotte, l’existence de treize cantons entraîne un découpage absolument insatisfaisant, en ce sens que certaines communes s’en trouvent démembrées. Il s’ensuit une zone d’ombre qu’il convient de résorber.
Par conséquent, la détermination du nombre d’élus de la collectivité unique de Mayotte, qui souffre d’un manque de précision tenant aux réalités et à la complexité du mode de scrutin régional, nécessite une réflexion plus poussée afin d’éviter la fixation hasardeuse d’un quantum d’élus appelés à siéger à l’assemblée.
Aujourd’hui, il y a vingt-six conseillers, contre dix-neuf auparavant. Le texte que nous examinons tend, à la suite de l’adoption d’un sous-amendement du Gouvernement, à porter de vingt-six à trente-neuf le nombre d’élus. Or le conseil départemental a exprimé, cette semaine même, le vœu que ce nombre soit fixé à cinquante et un, se fondant sur l’exemple de la Guyane, dont les particularités sont très similaires à celles du département de Mayotte.
En définitive, cette proposition de loi, qui répond à une revendication de la majorité départementale d’hier, date de 2014 et n’est pas d’actualité. L’actuel exécutif, soutenu par les élus mahorais dans leur ensemble, a, en effet, saisi le Gouvernement, en indiquant clairement qu’il souhaitait inscrire les dossiers institutionnels dans une réflexion d’ensemble sur l’évolution de Mayotte. Si les propositions étaient adoptées, leur application n’interviendrait qu’en 2021.
Pourquoi donc cette précipitation ? Alors que les décisions du Conseil constitutionnel posent des exigences, je relève que ces dernières ne sont pas suffisamment respectées par ce texte.
Je pense à la décision du Conseil constitutionnel du 10 janvier 2001, qui affirme le principe du respect de l’exigence démographique et de l’égalité devant la loi en matière de suffrage garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
Je pense également aux décisions du 9 décembre 2010 et du 15 janvier 2015, qui renforcent cette jurisprudence en ajoutant, malgré tout, une possibilité de dérogation fondée uniquement sur un motif d’intérêt général s’attachant à la représentation effective des archipels les moins peuplés et les plus éloignés, c’est-à-dire les outre-mer.
Le Conseil constitutionnel a toutefois estimé que le respect du principe d’égalité devant la loi imposait également des limites aux écarts entre le nombre d’élus de chaque section départementale et la population qu’ils représentent qui pourraient résulter du mécanisme de répartition et de réattribution des sièges.