Intervention de Michel Sapin

Réunion du 5 juillet 2016 à 14h30
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique – orientation et protection des lanceurs d'alerte — Article 12 bis

Michel Sapin, ministre :

Il s’agit évidemment d’une mesure importante de ce texte. Je rappelle qu’elle a été introduite à l’Assemblée nationale par les députés et qu’elle a fait l’objet d’un travail très précis au sein de la commission. Il y a donc une volonté que je considère comme commune des majorités de l’Assemblée nationale et du Sénat de travailler sur ce sujet, ce qui n’allait pas de soi.

Je comprends tout à fait les interrogations des uns et des autres sur cette nouveauté. D’ailleurs, dès lors qu’il y a une nouveauté, il paraît légitime que chacun en pèse les avantages et les inconvénients.

Néanmoins, je pense qu’il faut prendre garde à ne pas se laisser tenter par des caricatures, qui ne correspondent pas aux intentions des parlementaires, notamment, me semble-t-il, à celles des membres de votre commission.

La première caricature serait de laisser penser qu’il y aurait une justice à deux vitesses : d’une part, les voleurs de mobylettes, qui iraient forcément devant le juge pénal – entre nous soit dit, il y a aussi des mécanismes de transaction pour des cas comme ceux-là, et heureusement ! –, et, d’autre part, les puissants, qui ne risqueraient pas d’être condamnés à de la prison.

Je le répète, même si cela va de soi, il s’agit en l’espèce non pas de personnes physiques, mais de personnes morales. Or je n’ai encore jamais vu une personne morale condamnée à aller en prison… Il faut bien avoir ce point en tête, de manière à éviter d’entretenir simplifications et caricatures à l’extérieur de cette enceinte.

Ensuite, j’entends souvent l’argument selon lequel nous proposerions de tels mécanismes pour pallier les lenteurs, les insuffisances ou l’absence de moyens de la justice. C’est inexact, permettez-moi de le dire.

Je me suis beaucoup intéressé aux exemples étrangers, et pas seulement à celui des États-Unis. Je puis vous dire que la plupart des pays européens ont des dispositifs de cette nature. Je suis allé au Royaume-Uni et en Allemagne et j’ai rencontré un certain nombre de magistrats qui mettent en œuvre ces dispositions.

Tous ont exactement le même raisonnement, que je vais m’efforcer de tenir devant vous rapidement. Lorsque des faits sont commis à l’étranger, parfois par des étrangers travaillant pour une société française, et que les personnes corrompues sont des responsables publics étrangers, il est assez compliqué d’apporter des preuves. C’est même extrêmement compliqué ! Et vous ne pouvez pas compter sur la bonne collaboration de l’administration ou des responsables politiques du pays en question, puisqu’ils sont par définition quelque peu corrompus.

C’est la raison fondamentale pour laquelle existe en France, depuis 2000, un délit de corruption d’agent public étranger. Or, comme vous le savez, aucune entreprise française n’a pu être condamnée définitivement – une affaire se trouve pendante devant la Cour de cassation actuellement – pour des faits de corruption considérés comme évidents. Et ce n’est pas par défaut de moyens !

L’objectif de ce dispositif est l’efficacité, mais cette dernière ne serait pas légitime si elle mettait en cause en même temps des principes fondamentaux du fonctionnement de notre justice, comme l’a souligné M. le rapporteur. Il faut donc concilier cette nécessaire efficacité avec le respect des règles fondamentales de notre État de droit, qui ne sont pas forcément les mêmes qu’aux États-Unis.

M. le rapporteur a bien décrit les deux grands principes qui doivent régir ce type de procédure.

Tout d’abord, le juge du siège doit être présent, en particulier aux moments les plus importants de la procédure, c’est-à-dire, notamment, lors de l’homologation de la décision, de manière à vérifier sa régularité et son équité. L’indépendance du juge du siège garantira que la transaction est équilibrée.

J’ajoute – c’était une volonté des députés, que vous avez conservée – que le juge d’instruction, magistrat par définition indépendant, a la capacité de mettre en œuvre ce mécanisme, s’il considère qu’il lui permet d’être plus efficace, compte tenu de la difficulté à rapporter des preuves.

En résumé, le juge du siège, garant d’un certain nombre de grands principes auxquels nous tenons tous, doit être présent.

Le second principe permet d’éviter un reproche, qui pourrait apparaître comme légitime, à savoir que cette procédure ressemblerait à une sorte de tambouille, faite dans l’obscurité d’un prétoire. Pour parer à cette critique, il doit y avoir une publicité des moments importants, pour que l’extérieur ait un regard sur la qualité du débat et l’équité de la décision. C’est ce qui est prévu par ce texte.

Je me dois de dire que le Gouvernement a beaucoup hésité sur ce point. En outre, comme vous le savez, le Conseil d’État a fait des remarques qui, au bout du compte, se sont révélées légitimes. Aussi, dans un premier temps, nous avons souhaité disjoindre l’examen de ces dispositions, avant que l’Assemblée nationale, tenant compte de la position du Conseil d’État, ne fasse cette proposition, que vous avez vous-même améliorée, même si, et nous y reviendrons, il peut y avoir quelques évolutions sur un ou deux points.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la raison pour laquelle le Gouvernement vous appelle à voter cet article, qui sera gage d’efficacité, dans le respect des libertés et des grands principes de fonctionnement de notre justice.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion