La politique de l'Union européenne en matière d'échanges commerciaux agricoles avec les pays tiers demande à être revue. Les RUP sont tenues d'accepter sur leurs marchés locaux toutes les productions des pays tiers, dès lors qu'elles respectent les limites maximales de résidus de pesticides. Les RUP doivent aussi tenter de résister sur leurs marchés à l'export traditionnels, l'Hexagone au premier rang, en endossant un handicap normatif dont l'Union européenne exempte les pays tiers.
Pour rétablir une concurrence saine et loyale, les normes de commercialisation dans l'Union européenne doivent intégrer des exigences sur les conditions de production au-delà du respect des limites maximales de résidus. C'est pourquoi nous demandons la suppression des tolérances à l'importation accordées par l'Union européenne pour des productions traitées par une substance active interdite au plan européen. Cette mesure contribuera à restreindre l'avantage comparatif indu dont bénéficient des pays tiers.
Il conviendrait à tout le moins dans l'intervalle de prévoir un étiquetage spécial pour les productions des pays tiers signalant au consommateur européen qu'elles ont été traitées avec une substance interdite dans l'Union européenne, même si aucun résidu n'est détectable.
Nous recommandons également de faire établir par la Commission européenne, sur demande de la France, une liste noire pour interdire les importations de produits de la pêche et de légumes-racines depuis les pays qui ont traité massivement par le passé leurs productions avec des substances fortement rémanentes dans les sols et l'eau. Ce dispositif ne ferait que reproduire les interdictions édictées dans les Antilles à la suite de la crise du chlordécone. Il permettrait en particulier de répondre à l'inquiétude face aux importations d'ignames en provenance du Costa Rica.
Face aux faiblesses et aux lacunes des contrôles aux importations, même dans le cadre des contrôles dits « renforcés », des mesures d'interdiction strictes seront plus simples à mettre en oeuvre et plus efficaces. Nos visioconférences avec Saint-Pierre-et-Miquelon et avec la Nouvelle-Calédonie nous ont permis de voir que le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande prenaient des mesures de contrôle des importations plus draconiennes que les nôtres. Je crois qu'il est temps pour l'Union européenne de s'en inspirer.
Pour améliorer l'efficacité des contrôles à l'importation dans les outre-mer, nous préconisons d'agir simultanément sur plusieurs leviers. Il conviendrait ainsi d'augmenter les effectifs généraux de la douane en outre-mer alors qu'ils ont diminué de 4,5 % en 5 ans et que nos territoires fragiles sont situés sur de grandes voies de trafic international. Il faut modifier leur répartition en donnant la priorité aux territoires présentant le plus de risques d'infiltrations illicites, notamment la Guyane et Mayotte. Un point de contrôle supplémentaire doit aussi être ouvert à Marie-Galante pour tenir compte de la nature archipélagique de la Guadeloupe et endiguer les flux illégaux depuis la Dominique.
Surtout, l'organisation des contrôles sur les importations de denrées alimentaires et la répartition des tâches entre le service d'inspection du ministère de l'agriculture, le SIVEP, et la DGCCRF nous paraît inadaptée. Nous proposons donc d'unifier les contrôles sanitaires à l'import sur les végétaux au profit du SIVEP du ministère de l'agriculture. Cette simplification permettra d'harmoniser et d'accélérer les contrôles en les confiant à une seule équipe d'inspecteurs installés sur le point d'entrée. Ce système, adopté notamment par les Pays-Bas, a fait ses preuves dans l'Union européenne et permet d'accroître la fréquence des contrôles.
Face à la concurrence des pays tiers dont la compétitivité coût est insurpassable, seule une montée en gamme permettra de préserver les parts de marché des producteurs ultramarins. Cette stratégie de la qualité est d'autant plus cruciale que certains pays tiers se lancent parallèlement dans des démarches similaires en bénéficiant de labels bio et commerce équitable sans pour autant respecter les normes européennes.
Les filières de la banane et du rhum sont les plus engagées dans le mouvement de labellisation car elles ont la force de frappe commerciale qui fait encore défaut aux filières de diversification. 90 % du rhum de Martinique est ainsi couvert par une AOC (appellation d'origine contrôlée). Les premiers retours du lancement du label « banane française » l'année dernière sont aussi extrêmement positifs.
Les signes de qualité et d'origine peuvent constituer un atout certain pour les productions ultramarines dont ils consolident l'image dans le public. Toutefois, ils n'ont rien d'une panacée. L'exemple des deux labels rouges qui protégeaient l'ananas et le litchi de La Réunion est instructif à cet égard. Depuis cinq ans, aucune production n'a eu lieu sous ces labels, si bien qu'ils sont officiellement tombés en désuétude. Ces labels n'ont pas empêché l'éviction de la production locale au profit de Maurice pour l'ananas et de Madagascar pour le litchi, alors même que ces produits commençaient à être spontanément reconnus et recherchés par le consommateur métropolitain. Quitte à me répéter, je pense que cet échec montre que, sans réforme des politiques phytosanitaires et commerciales de l'Union européenne, les filières ultramarines peineront à se développer, même en misant sur la qualité.
Ce bémol mis à part, force est d'admettre qu'une implication plus directe et plus constante de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) auprès des producteurs ultramarins serait bienvenue. L'Institut, qui gère les appellations d'origine contrôlée (AOC), les indications géographiques protégées (IGP) et les labels rouges, emploie 260 agents dont les deux tiers travaillent directement sur le terrain. Mais, c'est bien dommage, il n'a aucune implantation propre dans les outre-mer. Il agit dans les DOM par l'intermédiaire des directeurs régionaux de l'agriculture et de la forêt qui, au regard de l'étendue de leurs missions, ne peuvent pas faire des labels la priorité de leur action. Il paraît donc nécessaire de renforcer la prise en compte des outre-mer par l'INAO et c'est pourquoi nous proposons d'installer une antenne permanente de cet institut en outre-mer. Étant donné à la fois le nombre d'indications géographiques protégées en suspens à La Réunion (Vanille Bourbon, Lentille de Cilaos, Vin de Cilaos, Ananas de La Réunion, café Bourbon Pointu) et la meilleure structuration des filières de diversification dans ce département, il pourrait être judicieux d'y installer cette première antenne ultramarine de l'INAO.
Parmi les labels les plus importants décernés par l'INAO, il faut mettre à part le bio qui constitue une voie d'avenir possible pour les agricultures ultramarines. Ces perspectives de développement sont bridées par une réglementation européenne défavorable et par la superposition des normes sur le bio et sur les phytosanitaires, qui avantagent à nouveau les pays tiers par rapport aux RUP.
Il faut déplorer que la réglementation européenne sur le bio n'ait jamais été élaborée en tenant compte des agricultures tropicales des RUP, alors que des concurrents comme la République dominicaine et le Brésil ont su définir des règles d'agriculture biologique adaptées au climat tropical. En outre, les RUP françaises ne peuvent recourir à certains produits phytosanitaires qui sont régulièrement autorisés en culture biologique dans des pays tiers. La République dominicaine peut utiliser 33 produits pour la banane bio contre 3 aux Antilles, et 14 de ces 33 produits ne bénéficient pas d'une autorisation en agriculture conventionnelle en France.
Paradoxalement, des productions biologiques des pays tiers moins exigeantes du point de vue environnemental et de la santé des producteurs que leurs homologues conventionnelles des RUP envahissent le marché européen en profitant d'un étiquetage bio. Le consommateur européen ne peut que s'y tromper. Rien ne lui permet de savoir que le label bio des pays tiers est moins exigeant, et qu'en particulier les bananes bio qu'il achète peuvent être traitées par des huiles minérales paraffiniques.
Nous préconisons donc de profiter de la refonte du règlement européen sur le bio de 2007. Il faut parvenir à prévoir un volet spécifique pour la culture biologique en milieu tropical dans le nouveau règlement européen sur le bio. Cela permettra d'assouplir le recours aux semences conventionnelles, d'autoriser la culture sur claies, de raccourcir le délai de conversion et de permettre le traitement post-récolte par des produits d'origine naturelle.
En outre, il serait judicieux de s'inspirer du modèle de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française pour autoriser la certification de l'agriculture biologique par un système participatif de garantie (SPG), en rendant facultatif le recours à un organisme certificateur. Interdit par la réglementation européenne, le SPG est pourtant utilisé non seulement au Brésil et en Inde mais aussi aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande. Le SPG permettrait de compenser l'absence des organismes certificateurs dans les outre-mer et de faire ainsi baisser le coût de la certification pour les producteurs domiens. C'est un système d'assurance-qualité ancré localement qui repose sur des groupements associatifs rassemblant des producteurs et des consommateurs.
Parallèlement, nous souhaitons que soit interdite l'importation sous l'étiquette bio des produits de pays tiers lorsqu'ils ne respectent pas la réglementation bio européenne. Il sera également essentiel de développer l'information du consommateur sur les conditions de production du bio dans les pays tiers et sur le différentiel de qualité environnementale avec les outre-mer pour valoriser nos productions.
Enfin, nous n'avons pas négligé le niveau de décision territorial. Le développement économique est de la compétence des régions. C'est pourquoi nous proposons que les régions accordent une aide financière, via des mesures agroenvironnementales territorialisées sur fonds européens, pour soutenir le revenu des agriculteurs pendant le délai de conversion vers le bio.
Plus largement, nous recommandons d'utiliser le modèle MOSAICA de l'unité ASTRO de l'INRA basée en Guadeloupe pour élaborer des stratégies territoriales agricoles. Ce modèle innovant permet de mesurer l'impact non seulement de changements techniques et environnementaux mais aussi de l'évolution des normes réglementaires sur les choix de cultures et de pratiques des agriculteurs au niveau de la parcelle, de l'exploitation et du territoire. Pourquoi ne pas étendre ce modèle conçu pour la Guadeloupe vers la Martinique, La Réunion et la Guyane et s'en servir comme aide à la décision au niveau régional ?
Voilà les principales propositions que nous souhaitions soumettre à votre approbation pour réussir cette « acclimatation normative » dont les agricultures de nos outre-mer ont tant besoin.