Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Commission mixte paritaire — Réunion du 28 juin 2016 à 19h00
Projet de loi de modernisation du droit du travail

Photo de Jean-Baptiste LemoyneJean-Baptiste Lemoyne, sénateur, rapporteur pour le Sénat :

Le vote du Sénat a eu lieu il y a une heure, et l'encre est à peine sèche ! En effet, nous avons eu la chance de pouvoir mener un débat approfondi dans l'hémicycle. Conscients du caractère indispensable d'une réforme et partageant les constats dressés depuis un an par les différentes commissions missionnées par le Gouvernement, nous nous sommes attachés à rétablir l'ambition initiale du texte tout en l'enrichissant de l'apport de plusieurs travaux sénatoriaux, et en particulier de ceux de la délégation sénatoriale aux entreprises.

Je tiens à rendre hommage à mes deux collègues rapporteurs Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier, et à rappeler que la commission des affaires sociales, à notre initiative, a bâti sa réflexion autour de cinq axes. Nous avons tout d'abord veillé à simplifier et sécuriser le cadre juridique applicable aux entreprises. Nous avons également cherché à ce que les salariés bénéficient davantage du résultat de leurs efforts, tout en renforçant la compétitivité des entreprises et en prenant en compte la situation spécifique des TPE et PME, qui étaient les oubliées du texte initial. La commission a également souhaité développer l'apprentissage comme voie de réussite et elle a réaffirmé les missions essentielles de la médecine du travail.

En séance publique, ces orientations ont été confortées. Sans dresser la liste exhaustive des modifications apportées au texte, je soulignerai quelques apports emblématiques.

Une large majorité s'est dégagée pour partager la philosophie de l'article 2, directement inspirée des lois de 2004 et 2008. C'est pourquoi nous avons préservé la primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche en matière de durée du travail. La majorité sénatoriale a voulu aller jusqu'au bout de cette logique et permettre de fixer par accord collectif une durée de référence se substituant à la durée légale hebdomadaire et qui ne pourra pas dépasser 39 heures en l'absence d'accord. Le Sénat, au diapason du Gouvernement, s'est opposé aux tentatives de conférer aux branches un pouvoir d'opposition a priori.

Nous avons cherché à revigorer de manière pragmatique le dialogue social dans l'entreprise, en ayant notamment à l'esprit la situation particulière des PME. Ainsi, revenant à la philosophie qui avait présidé à l'instauration des comités d'entreprise en 1945, nous avons donné la possibilité à l'employeur de conclure des accords en l'absence de délégué syndical. De plus, soucieux de garantir l'effectivité des dispositions de l'article 2, nous avons maintenu à 30 % la majorité d'engagement et à 50 % la majorité d'opposition. Le Gouvernement avait introduit l'idée d'une consultation ; le parallélisme des formes nous a conduits à donner la possibilité pour l'employeur ou l'un des syndicats signataires d'un accord frappé d'opposition de demander l'organisation d'une consultation des salariés en vue d'entériner cet accord.

En outre, nous avons précisé que tous les accords de branche, même non étendus, doivent comporter des stipulations spécifiques pour les petites entreprises, et nous avons invité l'employeur à informer le délégué du personnel des options retenues lorsqu'il applique un accord type.

Par ailleurs, la majorité sénatoriale a pris au mot l'ancien ministre du travail en desserrant l'étau des seuils sociaux, qui ont été relevés de 11 à 21 salariés pour l'élection des délégués du personnel et de 50 à 100 pour celle des membres du comité d'entreprise.

Le Sénat a accueilli très favorablement la création des accords de préservation et de développement de l'emploi, à l'article 11, dont les premières traces sont à chercher dans les travaux du Sénat sur la loi Macron - et dans ceux de M. Cherpion ! - et qui pourraient à terme devenir un outil d'adaptation interne très précieux pour nos entreprises. En cas de conclusion d'un accord de préservation de l'emploi, notre texte retranscrit la règle créée en 2013 pour les accords de maintien de l'emploi, qui prévoit que la rémunération mensuelle des salariés ne pourra pas descendre en dessous de 1,2 Smic. En revanche, un accord de développement de l'emploi ne pourra pas entraîner de baisse de la rémunération des salariés, ce qui est logique s'agissant d'entreprises en quête de nouveaux marchés. Nous avons ajouté à l'article 11 une clause de retour à meilleure fortune : les accords doivent prévoir les modalités selon lesquelles les salariés seront associés aux résultats de leurs efforts.

Si nous partageons l'objectif d'une sécurité sociale professionnelle, le Sénat a adopté une approche pragmatique du compte personnel d'activité et en a retiré le compte d'engagement citoyen, dispositif inabouti qui brouille les frontières entre les activités civiques, bénévoles ou professionnelles. Nous avons également limité le compte pénibilité aux quatre facteurs de risques professionnels actuellement applicables.

Alors que le projet de loi initial ne comportait que deux articles techniques sur l'apprentissage, le Sénat s'est inspiré des travaux de nos collègues Michel Forissier et Élisabeth Lamure pour relancer cette voie de formation malmenée ces dernières années. Désormais, le texte compte 23 articles sur le sujet, visant à valoriser le rôle des maîtres d'apprentissage, à simplifier les démarches pour les employeurs ou encore à améliorer le statut des apprentis. Nous avons également jugé indispensable la mise en place d'un pilotage national de cette politique.

Concernant la définition du licenciement économique, le Sénat a estimé que la rédaction qui lui était proposée était peu opérationnelle et fragile juridiquement. C'est pourquoi nous avons prévu - comme cela nous a été suggéré lors de plusieurs auditions - que tout licenciement économique devait reposer sur un faisceau d'indices, qui pourra être précisé par un décret en Conseil d'État, tout en prévoyant qu'une baisse de l'encours des commandes de 30 % pendant un semestre ou la perte d'un marché important constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement. Nous avons par ailleurs rétabli le périmètre d'appréciation national du licenciement économique, encadré les délais de jugement et autorisé le juge à demander une expertise extérieure.

Nos travaux ont également réaffirmé l'importance des missions dévolues aux services de santé au travail, et tout particulièrement aux médecins du travail. Si notre assemblée maintient le principe général de la visite d'embauche, elle permet son remplacement par une visite d'information et de prévention a posteriori lorsque la nature du poste envisagé le justifie. Nous prévoyons que les médecins du travail adaptent les modalités du suivi périodique au profil de chaque travailleur, aux risques encourus et à l'environnement de travail. À l'initiative du Gouvernement, en séance publique, cette règle a été étendue aux travailleurs de nuit car il n'est pas opportun de prévoir une règle figée en la matière.

Le Sénat partage les objectifs poursuivis par le Gouvernement et l'Assemblée nationale en matière de lutte contre la fraude au détachement. Nous avons apporté notre pierre à l'édifice en permettant à l'acheteur public de résilier un marché lorsque le co-contractant a vu son activité suspendue en raison de manquements à la législation en vigueur et en améliorant l'information des salariés détachés grâce à la nouvelle carte d'identification professionnelle. Au-delà du renforcement de l'arsenal législatif, il faut maintenant multiplier les contrôles, notamment les soirs et week-ends, et pousser à la renégociation de la directive de 1996, à condition que nous puissions entraîner avec nous suffisamment de pays pour déplacer les lignes, ce qui n'est pas toujours le cas sur ce sujet...

En somme, le texte que le Sénat vient d'adopter a son propre équilibre, qui diffère de celui auquel l'Assemblée nationale a consenti en ne s'opposant pas à l'adoption du projet de loi lorsque le Gouvernement a engagé sa responsabilité, mais qui est fidèle à la volonté réformatrice - qu'on veut croire sincère, même si elle est tardive - exprimée par le Gouvernement. C'est dans cet état d'esprit que nous avons souhaité moderniser le droit du travail pour répondre aux défis majeurs que traverse notre pays, et aux attentes de celles et ceux qui restent au bord du marché de l'emploi. Nous tendons la main à l'Assemblée nationale pour parvenir à un accord ambitieux !

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