Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 6 juillet 2016 à 14h30
Garanties statutaires obligations déontologiques et recrutement des magistrats – conseil supérieur de la magistrature — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, il est toujours agréable qu’une commission mixte paritaire s’accorde sur un texte, surtout quand ce dernier relève des compétences du ministère de la justice. Nous avons eu l’occasion de l’évoquer lors de l’examen du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle…

Je me félicite donc que les députés et les sénateurs membres de la commission mixte paritaire aient pu trouver un compromis lors de leur réunion du 22 juin dernier, sous la responsabilité éclairée de son président, le président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas. J’en profite pour le remercier, ainsi que tous ceux qui ont contribué à ce succès, qu’ils soient membres de la Haute Assemblée ou de l’Assemblée nationale.

J’associe également à mes remerciements les responsables de chaque groupe politique qui ont œuvré à forger ce compromis, sur la base d’un texte d’ailleurs raccourci. Si la version initiale du projet de loi organique présentée par le Gouvernement comptait 36 articles, le texte est en effet passé à 56 articles à l’issue des débats dans les deux chambres, puis à une quarantaine après la commission mixte paritaire. Cette dernière a donc allié la volonté de construire au souci de la simplicité. C’est le signe de l’implication de chacun, de l’intérêt porté à ces questions et surtout d’une large convergence de vues. C’est aussi le signe d’un consensus autour de quelques notions simples : l’indépendance, la transparence et l’exemplarité de la justice.

Je ne reviendrai pas sur les différentes dispositions du texte. Elles ont été détaillées par M. le rapporteur, et chacun ici les connaît. Je veux seulement appeler votre attention sur quelques points.

Nous avions besoin d’un statut particulier pour le juge des libertés et de la détention. Il est heureux qu’il devienne un juge spécialisé. Ce point faisait l’objet d’une vigilance et d’une attention particulières du Gouvernement. C’est l’aboutissement d’un processus entamé avec la création de ce juge par la loi du 15 juin 2000, tant en matière pénale que civile.

Le juge des libertés et de la détention est devenu, et il le sera de plus en plus, le juge protecteur des libertés individuelles, qui contrôle les actes et les décisions les plus intrusifs. Il avait donc besoin de garanties statutaires, car sa fonction n’est pas suffisamment valorisée ; elle n’attire pas les magistrats, alors même que nous en avons besoin.

Cette reconnaissance du caractère central de sa fonction permettra, sans nul doute, de la rendre beaucoup plus attractive. Ce statut permettra aux magistrats intéressés de se spécialiser et de bénéficier d’une formation supplémentaire. Le justiciable ne pourra que s’en réjouir.

Je souhaite également appeler votre attention sur les dispositions visant à ouvrir le corps de la magistrature en favorisant le détachement ou l’intégration d’autres profils que ceux recrutés par la voie classique du concours républicain. Cela permettra d’attirer de nouvelles personnalités, dont l’expérience ou les compétences professionnelles seront utiles. Cet apport extérieur contribuera à la diversité de ce corps, qui ressemblera un peu plus à la population. Il ne s’agit pas, là non plus, d’une question partisane, et je suis heureux que la commission mixte paritaire se soit accordée également sur ce point.

Enfin, je veux souligner la mise en place, au sein de la magistrature, de règles édictées pour satisfaire les exigences de transparence de la vie publique, sujet souvent abordé par le Sénat, à travers notamment la transmission des déclarations d’intérêts et des déclarations de patrimoine. Cette volonté de transparence ne peut que renforcer la confiance des citoyens dans la justice française et ses acteurs. Ayant été rapporteur du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique, je suis très attentif à ces questions. Je suis donc heureux de pouvoir défendre, pour la magistrature, de telles avancées.

Un sujet néanmoins, monsieur le rapporteur, n’a pas fait l’objet d’un accord immédiat : c’est celui de la déontologie. Il a donc fallu toute la sagesse parlementaire pour parvenir à un compromis. Nous avions tous envie d’aller plus loin dans la restauration de la confiance entre les justiciables et leur justice.

Sous l’impulsion des parlementaires, notamment de la rapporteur du projet de loi organique pour la commission des lois de l’Assemblée nationale, il a été estimé nécessaire de combler un vide, en trouvant pour les magistrats judiciaires un système comparable à celui de leurs homologues des juridictions administratives. Il n’y avait, de notre point de vue – c’est une divergence avec M. le rapporteur –, aucun lieu, aucune structure désignés par la loi pour répondre aux interrogations des magistrats judiciaires en matière de déontologie. Cette position résulte d’une interprétation stricte de la décision du Conseil constitutionnel de juillet 2010. C’est pourquoi ce collège de déontologie a été imaginé. Sa composition va permettre à la fois une bonne représentation de la magistrature et une saine ouverture sur la société civile. Il aura pour fonction de répondre à toute question d’ordre déontologique posée par un magistrat ou un chef de juridiction.

Je sais les débats provoqués par ce texte au sein de la magistrature. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’en discuter avec les membres du Conseil supérieur de la magistrature, lequel revendique une compétence de principe en matière de déontologie des magistrats.

Je ne veux pas rouvrir les débats qui courent depuis les années 2000, quand la magistrature ne voyait dans la déontologie qu’une tentative du législateur de brider sa liberté, là où les parlementaires estimaient qu’il s’agissait d’une avancée. Mais l’état du droit requiert des magistrats dotés de qualités cardinales, que chacun connaît : l’indépendance, la compétence, l’impartialité. Or, actuellement, seuls les chefs de juridiction, qui sont par ailleurs autorité de notation des magistrats judiciaires, ont vocation, et de manière purement prétorienne, à répondre aux demandes et aux questionnements des magistrats confrontés à des situations individuelles concrètes susceptibles d’interférer avec leurs obligations déontologiques. Le collège de déontologie répond donc à un réel besoin. C’est aussi en ce sens que je salue la volonté de compromis qui a animé la commission mixte paritaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avec ce projet de loi organique, nous faisons un pas supplémentaire vers une certaine vision de la justice et faisons œuvre d’une certaine ambition. Les justiciables ont des besoins ; les juridictions ont des attentes. Ce n’est pas une question partisane ; c’est une question qui nous interroge et qui doit nous réunir. En adoptant ce texte tel qu’issu des travaux de la commission mixte paritaire, vous serez à la hauteur des besoins exprimés ; vous permettrez de franchir une nouvelle étape vers une institution exigeante, au service d’une œuvre de justice, vers ce qu’attendent en somme tous nos concitoyens.

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