Intervention de Hugues Portelli

Réunion du 6 juillet 2016 à 14h30
Garanties statutaires obligations déontologiques et recrutement des magistrats – conseil supérieur de la magistrature — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je serai aussi bref que le texte que nous avons à commenter, lequel contient des dispositions qui n’ont pas pour but de changer fondamentalement l’état du droit en vigueur, mais d’apporter un certain nombre de mises à jour visant à tenir compte d’autres lois, telles celles relatives à la transparence, au fonctionnement de la justice…

Vous le savez, le gros du travail, celui qui a porté sur la loi ordinaire, a abouti à un échec, pour des raisons qui ne tiennent pas spécialement au contenu de ladite loi, mais à la façon dont le Sénat a dû travailler. En effet, nous n’avons pas pu examiner toutes les dispositions qui ont été ajoutées lors du débat à l’Assemblée nationale, du fait du recours à la procédure accélérée.

Il nous reste donc à discuter du texte sur lequel nous nous sommes mis d’accord, c’est-à-dire la loi organique. Je n’ai pas grand-chose à en dire au nom de mon groupe puisqu’il s’agit essentiellement d’un travail de mise à jour relatif à la déontologie, à la transparence et au rôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Cela étant, la loi organique apporte également quelques modifications, sur lesquelles je souhaite revenir.

La première concerne l’indépendance des magistrats.

Il est intéressant de noter que, aux termes de ce texte, les magistrats deviennent indépendants le jour où ils sont syndiqués. C’est original ! Dans nombre de pays démocratiques, la non-syndicalisation des magistrats ou des policiers est l’un des éléments constitutifs de leur indépendance. En France, en revanche, plus on est syndiqué, plus on est indépendant. Ce qui s’est passé ces dernières semaines nous donne une bonne idée de ce qu’est l’indépendance des syndiqués ; mais c’est la mode depuis quatre ans… Dont acte !

La deuxième modification a trait à l’élargissement du recrutement des magistrats.

Le principe est bon. Je me souviens que la commission des lois du Sénat avait débattu de ce sujet en des temps pas si anciens. Nous étions alors très nombreux à penser que la meilleure façon d’élargir le recrutement des magistrats serait d’avoir le courage de supprimer l’École nationale de la magistrature et de mettre en place un système de recrutement à l’anglo-saxonne ou à l’allemande.

Dans le système anglo-saxon, les professionnels qui exercent un métier juridique peuvent, après avoir acquis une certaine expérience, franchir le pas et entrer dans la magistrature.

En Allemagne, il y a une école du droit dans laquelle on apprend tous les métiers du droit, depuis celui d’ambassadeur jusqu’à ceux de haut fonctionnaire, de magistrat, de notaire, etc. Les étudiants choisissent à la fin de leur cursus, en fonction des cours suivis et de leur classement de sortie, de rejoindre la magistrature ou la profession d’avocat, par exemple.

La solution consistant à créer une école nationale dans laquelle on forme des fonctionnaires qui, fussent-ils indépendants, vont devenir à un âge très jeune des magistrats d’autorité et de responsabilité mériterait, selon moi, d’être revue. Il faudrait, au moins dans un premier temps, élargir fortement le recrutement et faire en sorte que l’École nationale de la magistrature devienne une voie parmi d’autres permettant d’embrasser cette profession.

Le dernier point que je souhaite aborder est le développement des protections statutaires du juge des libertés et de la détention.

Je me souviens qu’il y a quelques années nous avions travaillé sur la réforme du code de procédure pénale. Nous l’avions même intégralement réécrit ! Mais comme nous avions fait ce travail, certes très bien, mais très tard, il n’en est rien resté. La seule chose qui en soit sortie concerne la garde à vue. En effet, le juge constitutionnel et le juge ordinaire ayant fait sauter l’ensemble du dispositif législatif, il fallait bien boucher un trou, et l’on a repris toutes les dispositions du code de procédure pénale qui concernaient ce point ; tout le reste a été abandonné. Résultat, notre code de procédure pénale est aujourd’hui complètement obsolète. La majeure partie de ses dispositions concernent le juge d’instruction, alors que celui-ci assume désormais seulement 5 % des affaires ; a contrario, celles relatives au parquet sont réduites à la portion congrue.

Ce nouveau magistrat qui monte en puissance, il est très bien de le protéger et de lui donner un statut plus solide, notamment des garanties en termes de nomination, mais il faudra aussi un jour introduire un peu de cohérence dans tout cela en mettant d’équerre ce qui concerne l’instruction, le parquet et ce nouveau juge. Pour ce faire, il conviendra de rédiger le code de procédure pénale pour en faire un instrument juridique indiscutable, ce qui n’est pas le cas actuellement. On se contente de poser des rustines sur un texte complètement périmé ! En l’occurrence, on le fait sous la forme d’une loi organique. Mais il faudra bien à un moment donné s’atteler aux problèmes de fond. Il serait ainsi intéressant que la majorité et l’opposition se mettent d’accord, à l’instar de ce qui se passe dans certains pays démocratiques, pour travailler ensemble sur des textes durables, plutôt que de modifier tous les quatre ou cinq ans ceux qui sont en vigueur. Il faudrait aussi que se mettent autour de la table les magistrats, le barreau et les acteurs politiques afin d’élaborer un texte qui fasse consensus.

Le grand absent de ce projet de loi organique, c’est le statut du parquet, car il n’y a pas de majorité pour adopter une révision constitutionnelle !

Nous voterons bien entendu ce texte, monsieur le garde des sceaux, mais nous ne garderons pas un souvenir impérissable des péripéties qui ont jalonné son parcours.

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