Intervention de Emmanuel Macron

Réunion du 6 juillet 2016 à 14h30
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique – orientation et protection des lanceurs d'alerte — Article 16, amendement 622

Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

Avant d’aborder les articles 16 et suivants, je souhaiterais dresser les contours de la réforme de la commande publique que nous sommes en train, grâce à votre travail, de mettre en œuvre, afin de contextualiser nos débats et de simplifier les réponses que j’aurai à apporter sur les amendements.

Depuis le 1er avril dernier, une réforme de la commande publique est entrée en vigueur. Elle est le fruit de dix-huit mois de travaux et concerne les 130 000 pouvoirs adjudicateurs que compte notre pays. Dans les débats, il faudra que nous gardions cela constamment à l’esprit : nous ne parlons pas ici que de l’État ; les pouvoirs adjudicateurs sont aussi nombreux en France que dans tout le reste de l’Union européenne. La réforme est également applicable à l’ensemble des opérateurs économiques de notre pays qui trouvent dans la commande publique l’origine d’une part de leur activité. On sait l’enjeu que cela représente, en particulier pour nombre de PME et de TPE.

Cette réforme a été conçue – nous y reviendrons dans la discussion – pour simplifier les dispositifs en vigueur pour les PME. Notre diagnostic est que les quelque 15 % du PIB que représente la commande publique doivent être mieux utilisés au bénéfice de notre économie. À cette fin, nous avons mis en place des règles structurantes d’allotissement et de simplification de la commande.

La simplification se traduit aussi sur le plan des normes : les vingt textes régissant la commande publique ont ainsi été rassemblés dans deux ordonnances, dédiées respectivement aux marchés publics et aux contrats de concession, ce qui a permis d’aboutir à une réduction de 40 % du volume des règles applicables en la matière. Cela signifie concrètement la suppression de 40 % des textes de nature législative et réglementaire en la matière !

Le Parlement a accompagné cette réforme pas à pas, y compris au stade de la confection des ordonnances. À cet égard, je salue le travail de la mission commune d’information sur la commande publique que le Sénat avait constituée à l’automne 2015 sous la présidence de Philippe Bonnecarrère et le rapport de Martial Bourquin. Je veux aussi saluer les travaux du président Sueur dans ce domaine. L’objectif est de parachever ce travail.

Les deux ordonnances, dont le Gouvernement sollicite du Parlement la ratification, ont été le fruit d’une démarche collaborative qui a permis, par une large concertation publique, l’association de l’ensemble des parties prenantes de la commande publique – collectivités territoriales, PME, fédérations professionnelles – à la réforme. Cette démarche a donné lieu à plus de 300 contributions.

Le résultat qui en découle est un texte d’équilibre entre des demandes contradictoires que nous devions concilier : équilibre entre ceux qui défendent une obligation d’allotissement rigide sans dérogation possible et ceux qui veulent supprimer l’obligation d’allotissement ; équilibre entre ceux qui veulent supprimer de droit ou de fait les partenariats public-privé, ou PPP, et ceux qui veulent les ouvrir sans contrainte. C’est cet équilibre que nous vous demandons, via notamment l’amendement n° 622 rectifié du Gouvernement, de préserver.

En offrant un cadre modernisé aux acteurs de la commande publique, ces textes participent à la restauration de la compétitivité de notre système juridique, dans un domaine qui représente 10 % du produit intérieur brut.

Cette réforme s’articule ainsi autour de trois axes principaux.

Le premier axe est d’offrir un cadre plus favorable aux PME et à l’innovation, ce que nous attendons tous, comme l’ont montré à de nombreuses reprises les débats.

La réforme permet de tirer le meilleur parti des outils offerts par les directives pour favoriser l’accès des PME à la commande publique. L’allotissement devient ainsi la règle de principe pour l’ensemble des acheteurs publics, ce qui évitera la pratique, maintes fois constatée en matière de marchés publics, de prise de la commande par de grands groupes, lesquels répartissent ensuite celle-ci en lots qui auraient pratiquement pu être prédéfinis. Tous les établissements publics et entreprises privées soumis à la loi de 2005, comme la SNCF, la RATP ou le Grand Paris, sont soumis depuis le 1er avril dernier à la règle de l’allotissement et doivent en faire un élément stratégique de leurs politiques d’achat.

Concrètement, cela représente 1, 5 milliard d’euros de marchés par an nouvellement ouverts aux petites et moyennes entreprises. C’est un vrai choix politique pour notre économie, totalement permis par les directives, qui est pratiqué seulement par une minorité d’États membres. Traditionnellement, on constatait une insuffisance d’allotissement. Six États membres sur vingt-huit ont retenu le même choix que nous ; celui-ci doit permettre de répondre au diagnostic que nous faisons sur la nécessité de faire évoluer le fonctionnement de notre économie.

Nous avons imposé dans les contrats de concessions et dans les nouveaux contrats de marchés de partenariat une participation minimale des PME. Cette ouverture très large de la commande publique au profit des PME, qui est nouvelle, doit être contrebalancée par la possibilité offerte aux acheteurs et aux soumissionnaires, soit de faire des offres regroupant plusieurs lots, soit de se dispenser de la règle de l’allotissement dans des circonstances particulières, et ce de manière motivée.

S’agissant de l’innovation, l’acquisition de solutions innovantes joue un rôle essentiel dans l’amélioration de l’efficacité et de la qualité des services publics. Nous encourageons l’innovation en facilitant la passation des marchés à visée innovante par la création d’une procédure dédiée à ce type d’achat : le partenariat d’innovation. Là aussi, nous étions face à un paradoxe : nombre de nos politiques sur le plan budgétaire ou fiscal poussaient à l’innovation, mais les contraintes de la commande publique ne permettaient pas d’en tirer les conséquences, voire bloquaient les acheteurs publics. Le partenariat d’innovation permet d’y répondre et donne un cadre juridiquement sécurisé, visible, qui permet aux différents pouvoirs adjudicateurs de participer à l’innovation dans le pays par l’achat public.

Le deuxième axe est un droit plus juste et plus transparent.

Les nouveaux textes promeuvent l’utilisation stratégique des contrats de la commande publique comme leviers de politique en matière d’emploi et de développement durable, en renforçant en particulier le dispositif de lutte contre les offres anormalement basses, tout en optimisant les politiques d’achats par l’insertion de clauses sociales et environnementales.

Le décret « marchés publics » dote les acheteurs de nouveaux outils qui leur permettront d’éviter de s’engager avec des opérateurs économiques prédateurs. Nous avions eu cette discussion, vous vous en souvenez sans doute, au sujet des télécommunications, en essayant là aussi de donner un cadre à la commande publique. Ainsi, il est dorénavant obligatoire de rejeter les offres anormalement basses, parce qu’elles ne respectent pas les normes applicables en matière de droit social, de droit du travail et de droit de l’environnement.

Les règles relatives aux offres anormalement basses sont aussi étendues aux sous-traitants, avec pour objectifs l’amélioration des conditions de la sous-traitance et la lutte contre le travail détaché illégal.

Une méthode de détection de ces offres n’a pas vocation toutefois à figurer dans un texte de niveau législatif, comme le prévoient certains amendements. Le cadre juridique récemment redéfini par le décret « marchés publics » offre de nouveaux outils aux acheteurs, tout en leur conservant une certaine souplesse dans la mise en œuvre. C'est la seule approche leur offrant la possibilité d’englober l’ensemble des situations auxquelles ils peuvent se trouver confrontés dans ce domaine.

À défaut, le risque qui s’attacherait à la définition d’une méthode de détection des offres anormalement basses au niveau législatif serait de rigidifier les marges de manœuvre de l’acheteur, sans garantie de couvrir l’ensemble des situations auxquelles il pourra être confronté dans la passation de ses marchés publics. C'est pourquoi j’émettrai un avis défavorable sur les amendements tendant à élever ces règles au niveau législatif.

Le troisième axe est une plus grande liberté de choix, mais régulée et maîtrisée.

Nous avons besoin de souplesse et de flexibilité.

La flexibilité doit permettre d’atteindre les objectifs multiples des opérations d’investissement : la qualité technique et architecturale des constructions, bien sûr, mais aussi des enjeux plus nouveaux ou désormais plus prégnants tels que le développement durable, la performance énergétique, l’optimisation et la maîtrise des coûts globaux des ouvrages.

La souplesse, quant à elle, permet de tenir compte de la diversité des situations des acheteurs publics : il faut bien le dire, qu’y a-t-il de commun entre les capacités techniques d’une grande région, d’une entreprise privée à capitaux publics, d’un ministère technique et d’une commune de 10 000 habitants ? La diversité des pouvoirs adjudicateurs fait que nous devons garder une certaine souplesse dans un cadre défini. C’est pourquoi nous devons donner à nos opérateurs une boîte à outils, mais sans qu’elle soit trop rigide.

Pour la conduite des opérations d’investissement public, le droit commun est, et restera, en maîtrise d’ouvrage publique sous la forme de marchés allotis. Pour autant, nous avons aussi besoin, car ils sont nécessaires, du marché global de performance et du marché de partenariat. Ces contrats globaux continueront d’être des modes de réalisation dérogatoires sur le plan juridique, soumis à des conditions de recours spécifiques, dont le respect peut à tout moment être contrôlé par le juge. Ces règles sont bien réaffirmées dans les articles qui vous sont soumis. La liberté est donc maîtrisée et régulée.

Je veux être clair : les contrats globaux ne vont pas progressivement supplanter l’achat public traditionnel. Soumis à des conditions de recours dérogatoires, ils resteront une part mineure de l’investissement public : même à son « apogée », le partenariat public-privé n’a jamais représenté que 7 % à 10 % de l’investissement public global.

Je ne voudrais pas que nos débats sur ces partenariats influent sur la discussion que nous devons avoir sur l’intégralité de la commande publique. Néanmoins, les contrats globaux peuvent être une solution très pertinente pour répondre aux enjeux de performance des ouvrages ou de maîtrise des coûts globaux des opérations.

Si, dans certains cas, les collectivités recourent aux contrats globaux « par défaut », par incapacité à porter elles-mêmes les opérations, la bonne réponse est non pas de « casser » les outils alternatifs dont elles disposent, mais de travailler à renforcer les capacités de maîtrise d’ouvrage publique.

Tel est l’esprit du texte qui vous est soumis.

Le Gouvernement a parfaitement entendu la volonté du Parlement de circonscrire le recours aux contrats globaux, et nos objectifs sont communs. Pour autant, nous pouvons aussi assumer qu’il est possible d’avoir une nouvelle méthode pour atteindre ces objectifs, une méthode en rupture avec les pratiques passées.

Nous avons ainsi resserré l’accès au PPP en supprimant les formes non encadrées qui existaient jusqu’ici et créé un nouveau marché : le marché de partenariat.

Le débat sur le PPP s’est beaucoup focalisé sur le contrat de partenariat. Toutefois, à côté de cet outil, il existait différents contrats qui, en pratique, étaient strictement équivalents, mais étaient soumis à un cadre réglementaire beaucoup moins contraignant : les baux emphytéotiques administratifs, les baux emphytéotiques hospitaliers, les autorisations d’occupation temporaire. Ces PPP-là n’étaient soumis à aucune condition de recours, à aucune obligation d’évaluation préalable et ne faisaient l’objet d’aucun contrôle préalable. Or, depuis dix ans, il y a eu environ 215 contrats de partenariat, mais 400 à 500 PPP étaient sous les trois formes juridiques, totalement dérogatoires, que je viens d’évoquer. Il y avait en quelque sorte une véritable fuite dans le dispositif.

La réforme a fait du nouveau marché de partenariat la forme unique du PPP. Ainsi, les deux tiers des formes de PPP qui échappaient au cadre juridique existant vont être réintégrés. De fait, ce nouveau marché de partenariat sera sous cette forme unique de PPP contrôlé et encadré.

Ce choix correspond à un resserrement majeur des conditions de recours au PPP ; il faut garder cela à l’esprit avant le débat que nous aurons sur les amendements. Il est d’ores et déjà ressenti comme tel par les collectivités. Cette réforme est un élément fondamental de la réponse apportée aux orientations fixées par le Parlement dans la loi d’habilitation, éclairée par les travaux parlementaires que j’ai précédemment évoqués.

C’est un choix que nous assumons totalement ; on ne peut pas, d’un côté, considérer que le PPP doit être un contrat dérogatoire et encadré et, de l’autre, laisser subsister des formes contractuelles strictement équivalentes, mais profondément dérogatoires et sans régulation.

Le contrôle et l’évaluation sont également profondément rénovés.

Dans le cadre de la concertation étroite avec les acteurs du marché, et notamment les collectivités locales, le message très clair, voire unanime, des maîtres d’ouvrage publics était : « Nous avons besoin de sécurité juridique. »

On peut être pour ou contre le partenariat public-privé, mais personne ne peut se satisfaire d’un cadre juridique trop flou, parfois excessivement dérogatoire, et engendrant de grandes incertitudes. Nous avons donc retenu un élément de clarification. Nous avons réformé les critères de recours au PPP pour les recentrer sur des considérations plus objectives, liées à la situation et aux objectifs des maîtres d’ouvrage, aux enjeux de l’organisation de la maîtrise d’ouvrage des projets, à l’allocation des risques des opérations entre les parties.

C’est la mise en place d’un dispositif de régulation, de contrôle et d’évaluation profondément rénové qui permet de simplifier et de mieux évaluer. Un nouvel organisme expert au sein de Bercy a donc été créé pour superviser ces travaux.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je tenais à rappeler en préalable de nos discussions, à la fois sur le contexte de cette réforme ambitieuse de la commande publique et sur les éléments de clarification que nous apportons, s’agissant en particulier du PPP compte tenu de la sensibilité de ce sujet et des nombreux amendements qui ont été déposés.

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