Intervention de Pierre-Franck Chevet

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 25 mai 2016 : 1ère réunion
Présentation du rapport annuel de l'autorité de sûreté nucléaireasn

Pierre-Franck Chevet, président de l'ASN :

Nous répondrons effectivement par écrit aux questions pour lesquelles je n'ai pas d'éléments de réponse en cet instant.

Vous parliez, Monsieur le Président, des attaques contre Fessenheim et Cattenom. Bugey fait également l'objet d'un contentieux de la part des Suisses. D'expérience, j'ai toujours connu de telles attaques. En l'occurrence, il convient simplement de noter qu'elles sont simultanées. J'ai vécu la polémique des Luxembourgeois à l'encontre de Cattenom. J'ai été délégué territorial de l'ASN, il y a quinze ans. Ce phénomène ne constitue pas une nouveauté. Il existe simplement un effet de convergence que je me garderai bien d'expliquer.

Ces pays riverains sont associés. La loi améliorera la possibilité, pour ces pays, pas seulement pour les élus, de participer aux réunions. Ils sont déjà invités aux commissions locales frontalières ; les mêmes informations sont fournies aux populations française et étrangères.

Concernant les grèves, un certain nombre de règles encadrent leur condition d'exercice en termes de sûreté et nous pouvons contrôler leur respect au travers d'inspections. Il existe notamment des critères sur les effectifs minimaux. Bien évidemment, les consignes habituelles de conduite du fonctionnement d'un réacteur doivent continuer d'être respectées. Si tel n'était pas le cas, nous serions amenés à prononcer des sanctions. À ce stade, nous devons être vigilants mais ce sujet ne m'inquiète pas.

Sur nos demandes de moyens, j'ai parlé de discussions en cours avec le ministère de l'Écologie pour 2017. En 2014 nous avions produit ce chiffre de deux cents personnes. Depuis, nous avons connu différents événements comme le retard de l'EPR de Flamanville, le problème de la cuve, l'incident du Creusot ou le nouveau modèle d'EPR. En fonction des contraintes budgétaires, nous avons réactualisé ce chiffre à cent quarante ou cent cinquante personnes. L'emploi de dix personnes supplémentaires est prévu chaque année. Pour 2017, nous souhaiterions obtenir vingt collaborateurs en sus des dix accordés.

À quel emploi destinons-nous ces salariés ? Nous avons engagé un travail pour générer des gains d'efficience. Nous essayons de travailler sur nos méthodes pour opérer un contrôle plus proportionné. En d'autres termes, toute installation dont le responsable ne se comporte pas bien ou dont les enjeux sont importants mérite un contrôle renforcé. À l'inverse, d'autres sites, à moindre enjeu, pourraient bénéficier d'un contrôle allégé. Nous estimons pouvoir obtenir des gains d'efficience de l'ordre de 5 %. Ce travail est en cours. Il est facilité par un certain nombre de dispositions de la loi de transition énergétique.

L'affectation de ces ressources serait destinée aux enjeux nouveaux. Quoi qu'il en soit, nous interviendrons sur la question de la prolongation de la durée de vie des centrales. Cette procédure prévoit une enquête publique. Cette tâche devra donc être accomplie en temps et en heure.

À l'inverse, nous sommes déjà très en retard pour les réexamens habituels. Par exemple, lorsqu'une centrale atteint trente ans, nous sommes amenés à nous prononcer trois à cinq ans après cette échéance. En l'absence d'enquête publique, nous ne sommes pas confrontés à une date butoir. Nous utilisons donc ce délai. Cela n'est pas satisfaisant. Nous ne pourrons pas agir ainsi pour l'inspection des quarante ans, car les enjeux sont majeurs. Je m'y engage. Pour les installations nouvelles comme l'EPR et Cigéo, nous pouvons décaler et prendre plus de temps. Nous devons faire face aux priorités.

Concernant notre capacité d'embauche et notre attractivité, nous parvenons à recruter. Nous ne rencontrons pas de difficultés majeures en ce domaine. L'intérêt de la mission, que je vous confirme personnellement, constitue un élément de motivation pour tous les agents. En revanche, nous devons effectivement former ces professionnels. C'est pourquoi nos demandes anticipent nos besoins. Six mois à un an de formation intensive sont nécessaires.

Concernant nos moyens, des discussions sont en cours. Le financement de l'ASN est entièrement assuré par le budget de l'État. Je comprends très bien que celui-ci subisse des contraintes mais nous aurons besoin de moyens supplémentaires dans l'avenir. L'une des suggestions, reprises par le sénateur Michel Berson, consisterait à revoir les règles de financement. De plus, une partie de nos missions, dans le domaine médical, relève aussi de l'État.

Nous pourrions compléter le budget par une taxe, payée par les exploitants et affectée au système de supervision, sous le contrôle du Parlement. Cette idée a été évoquée par le rapport du Gouvernement au Parlement à la fin de l'année dernière. Je n'en partage pas beaucoup les conclusions. Pour confier une taxe affectée à l'ASN, celle-ci devrait devenir une autorité administrative publique indépendante. Or le Gouvernement estime que cela n'est pas possible, car une loi serait nécessaire tandis que je considère qu'il ne serait pas nécessaire d'adopter un tel texte. Quoi qu'il en soit, nous devons trouver une solution pérenne au-delà de 2017, car nous subissons une montée en charge importante.

Nous avons travaillé sur ces chiffrages et leur révision avec l'IRSN. À chaque fois, nous avons une chronique dans le temps de l'examen de chacun des sujets. Nous avons mené cet exercice le plus rigoureusement possible. Nous sommes parfois confrontés à des surprises en termes de planification. Par exemple, pour l'EPR, en 2014 nous ne pouvions pas prévoir ses retards. Moyennant les mises à jour nécessaires, j'estime néanmoins que nos prévisions sont robustes.

Concernant la campagne de distribution d'iode, elle doit être accomplie. Les pastilles sont des produits pharmaceutiques avec une date de péremption. Les anciens comprimés, pour lesquels nous engageons la cinquième campagne, arrivent à échéance. Il est également urgent d'informer sur le risque suivant les règles actuelles, ce que nous avons prévu de faire. La campagne se passe raisonnablement bien. Les comprimés doivent être récupérés en pharmacie par les personnes concernées, sinon on les leur envoie au bout de quelques mois. La dernière fois, seuls 50 % des personnes concernées se sont rendues en pharmacie. Pourquoi ? Elles avaient une double vision de l'accident : le déni et l'inutilité. Si nous n'engageons pas une campagne d'information, nous serons confrontés à ce type de réaction.

Par ailleurs, nous sommes favorables à l'élargissement à terme des périmètres de protection des populations. Mme Ségolène Royal a porté cette idée. Cependant, ce travail nécessite une préparation et implique d'imaginer un dispositif complet. Il existe déjà des dispositifs au-delà de dix kilomètres. Des stocks départementaux peuvent notamment être mobilisés en cas d'accident plus large. L'objectif est d'opérer la distribution nécessaire, selon les conditions actuelles, tout en travaillant sur cette extension. Des réunions sont prévues sur ce sujet avec le ministère de l'Intérieur.

Concernant Gravelines, nous avons connu un incident d'inondation après la tempête de 1999. À la suite de ce processus, nous avons opéré un retour d'expérience. Nous avons examiné tous les phénomènes liés à l'eau. Ce travail a conduit, au Blayais mais également à Gravelines, à augmenter la hauteur des digues pour faire face aux événements que vous évoquez. Parallèlement, nous réexaminons tous les dix ans toutes les agressions externes, comme les séismes. Nous mettons à jour nos mesures par rapport aux connaissances acquises. Ainsi nous tenons compte de l'impact du réchauffement climatique.

S'agissant de la maîtrise de l'urbanisation, nous avons publié un guide renouvelé. Je ne suis pas certain d'aller dans votre sens. Actuellement, nous avons un système en termes de « porté à connaissance ». Il invite les élus à faire ce qu'il convient en termes de maîtrise du plan d'urbanisme. Une telle invitation ne conduit pas nécessairement à l'engagement de ces procédures. Dans un certain nombre de cas, nous devrions passer à un système plus contraignant, pour éviter concrètement que l'urbanisme ne se développe dans des zones de danger. Nous n'évoquons cette problématique qu'après un accident. Notre doctrine doit évoluer pour disposer d'outils juridiques contraignants afin que les mauvaises démarches ne s'accomplissent pas.

Concernant les 25 milliards d'euros de Cigéo et le provisionnement en général, l'esprit de la loi veillait à ce qu'une difficulté majeure relative à une entreprise n'engage pas l'État à prendre en charge la totalité du processus : le démantèlement, le traitement du combustible et le stockage des déchets. Un fonds devait être abondé pour y pourvoir. Il convenait donc de dresser une chronique des travaux à engager et de placer les fonds nécessaires pour pouvoir en disposer le moment venu.

L'esprit de la loi me semble positif, y compris en termes de sûreté. Le rôle de l'ASN consiste à vérifier que tous les types de travaux correspondent à nos critères en termes de sûreté technique. L'ANDRA a mené une étude statistique, car il est effectivement très difficile d'estimer le coût du travail et de l'énergie dans cent cinquante ans. Un certain nombre d'hypothèses techniques nous semblaient assez optimiste, ainsi que les chiffres retenus. Ainsi que je l'ai indiqué à la ministre et au Gouvernement, il me semble important que des sommes soient provisionnées et revues.

Au fur et à mesure que le projet Cigéo avance, nous disposons de plus d'informations et de données concernant les coûts. Je conçois que ce chiffre de 25 milliards d'euros puisse être critiqué. Il constitue cependant un point zéro. L'arrêté du Gouvernement prévoit, à chaque fois que Cigéo franchira une étape, de revoir cette évaluation. Cette démarche me semble simple et robuste. C'est la seule manière de progresser vers un chiffrage qui s'affine.

Concernant Fessenheim, nous avons l'expérience d'un certain nombre de démantèlements. Pour surveiller la centrale en exploitation et gérer le dossier d'un démantèlement, les ordres de grandeur sont similaires. Nous n'avons pas été consultés sur les dernières propositions. Nous avons autorisé Fessenheim 1 et 2 à aller globalement jusqu'à leur prochain réexamen de sûreté, respectivement en 2021 et 2022. À partir de là, il pourra être procédé à des calculs d'indemnisation, mais qui ne relèvent pas de l'ASN.

Depuis de nombreuses années, le CEA s'était engagé à fermer Osiris en 2015. Il nous avait soumis des dossiers de sûreté tenant compte de cette hypothèse. À partir de 2013, il a indiqué qu'il devrait procéder à une prolongation. Nous lui avons demandé d'étudier la mise en oeuvre de moyens de sûreté pour assurer une prolongation sur dix ans. Le CEA n'a pas été en mesure de formuler des propositions qui « tiennent la route ». In fine, le Gouvernement a pris une décision négative.

L'ASN a rendu un avis plus nuancé. Il est globalement négatif, sauf si une pénurie de production de radionucléides était confirmée par le ministère de la santé. Pour Osiris, notre avis public tenait compte d'une possibilité de fonctionnement exceptionnelle pour faire face à la pénurie. La décision du Gouvernement a toutefois été négative.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion