Bonjour à toutes et à tous. Je suis très heureux d'accueillir le collège de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Il vient rendre compte devant l'Office, pour la neuvième fois consécutive, de son rapport annuel sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France. Cette présentation est prévue par la loi du 13 juin 2006.
Cette audition avait d'abord été fixée au 17 mai 2016. Mais comme la proposition de loi sur le centre de stockage géologique profond des déchets radioactifs, déposée par MM. Gérard Longuet et Christian Namy, sénateurs, était débattue simultanément au Sénat, nous avons décalé cette rencontre. La première lecture du texte de nos collègues au Sénat a été votée par trois cent trente-trois voix pour et dix voix contre. J'espère qu'elle pourra être inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale au mois de juin.
Je suis reconnaissant à l'ASN d'avoir accepté ce report. Je remercie de leur présence le président de l'ASN, M. Pierre-Franck Chevet, ainsi que ses collègues commissaires. Je salue également le directeur général de l'ASN par intérim, M. Alain Delmestre et les collègues qui l'accompagnent. En avril 2015, M. Pierre-Franck Chevet nous avait présenté le précédent rapport annuel. Nous l'avions auditionné également en juin concernant la cuve de l'EPR de Flamanville. Nous évoquerons certainement ce point.
La fréquence des contacts entre l'ASN et la représentation nationale me semble essentielle pour assurer la transparence de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Je me réjouis de nos échanges. L'actualité récente ne manquera pas de susciter de nombreuses questions.
Même si c'est la loi de 2006 qui impose cette démarche, je précise que l'OPECST avait souhaité la création d'une autorité administrative indépendante comme l'ASN. Dans des domaines comme la santé, il existe des agences qui ne sont pas des autorités administratives indépendantes et que nous ne parvenons pas a contrario à auditionner. Je profite de la présence de M. Bernard Accoyer, ancien président de l'Assemblée nationale, qui a rejoint l'OPECST, pour solliciter son aide à ce propos.
Je souhaite la bienvenue au Sénat à tous les membres de l'Office, de l'ASN et de la CNE2. Je salue particulièrement la présence de M. Bernard Accoyer qui connaît bien les sujets scientifiques et dont la contribution sera précieuse à nos travaux. Cette présentation prévue par la loi, effectuée pour la neuvième année consécutive, illustre bien l'intérêt porté par l'Office à la question cruciale de la sûreté nucléaire. À noter d'ailleurs que les relations entre l'autorité et l'Office ont toujours été excellentes et que l'autorité a toujours apporté à l'Office l'assistance requise par ses multiples travaux ainsi que les éclairages indispensables. Permettez au premier vice-président de l'Office de vous dire, au nom de tous les sénateurs et députés présents aujourd'hui, tout le plaisir et tout l'intérêt que nous éprouvons à vous accueillir au Sénat.
Pour la première fois, nous recevons le même jour le rapport de l'Autorité de sûreté nucléaire et celui de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs, dite CNE2. Cela est particulièrement opportun dans les circonstances présentes, puisque la filière nucléaire en général est l'objet d'articles quotidiens dans la presse et d'échos pluriquotidiens dans les médias audiovisuels. Nos concitoyens s'alarment de différents aspects, sur lesquels, Monsieur le Président, vous nous éclairerez au travers de l'impressionnant rapport que vous nous remettez officiellement aujourd'hui. Auparavant, je souhaite brièvement rappeler mes principales préoccupations en matière de sûreté nucléaire.
La filière nucléaire doit être au-dessus de tout soupçon et garantir la meilleure sûreté pour de très longues années. Le choix des hommes à la tête des structures de ce secteur est essentiel. Force est de reconnaître que certaines erreurs ont été commises dont il convient maintenant de tirer des leçons. Au-delà de ces choix, la pérennité des formations d'excellence dans le nucléaire doit constituer une priorité nationale pour que ce secteur continue d'attirer les meilleurs. À cet égard, et en complément des formations, la recherche liée au nucléaire doit demeurer à un niveau d'excellence, ce qui risque d'être compromis en partie par les coupes budgétaires annoncées ces derniers jours, affectant les grands organismes de recherche, alors même que la recherche est reconnue comme un secteur prioritaire pour l'année prochaine.
Je tiens à revenir sur l'initiative récente de la proposition de loi déposée - à la suite, d'ailleurs, d'amendements par le président Le Déaut et moi-même - par deux membres de l'Office, MM. Gérard Longuet et Christian Namy, débattue le 17 mai 2016, et votée par tous les groupes politiques, à l'exception de dix sénateurs écologistes. Grâce à ce texte, nous disposons enfin de la définition législative de la réversibilité, indispensable à la poursuite du projet Cigéo de stockage des déchets nucléaires de haute activité et moyenne activité à vie longue. À plusieurs reprises, ce texte accorde un rôle à l'OPECST dans ce domaine. Espérons qu'il soit adopté le plus rapidement possible par l'Assemblée nationale. Gageons que les députés membres de l'Office auront à coeur de favoriser cette bonne fin. J'adresse, d'ores et déjà, mes félicitations à l'ASN pour l'excellente qualité de son travail sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France.
Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les parlementaires, je suis heureux d'avoir l'occasion de rendre compte de notre vision de la radioprotection et de la sûreté nucléaire. J'assure cette tâche pour la quatrième fois. Vous avez souligné que l'ASN est une autorité administrative indépendante. Il nous revient effectivement de rendre compte aux parlementaires de la sûreté nucléaire lors de la remise de ce rapport annuel et chaque fois que vous le sollicitez. Le nucléaire constitue un enjeu public. Il justifie l'accomplissement de cette tâche auprès de nos concitoyens.
Ce rapport est volumineux, mais exhaustif. Il va être adressé en format papier à environ mille cinq cents personnes. Il sera mis en ligne après cette audition. Je donnerai demain une conférence de presse nationale pour répondre aux questions des médias. Ce rapport sera décliné dans les nouvelles régions au travers de dix-huit conférences.
Ce document résulte du travail quotidien des agents de l'ASN. Nous réalisons environ deux mille inspections annuelles. Une dizaine sont en cours en ce moment même. Elles sont soit prévues, soit consécutives à un accident, soit effectuées inopinément. Je salue le travail de nos agents, ainsi que l'action menée par le directeur général, M. Jean-Christophe Niel. Je me réjouis de sa nomination en qualité de directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Notre jugement sur la situation de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France est le suivant : dans le domaine de la sûreté des installations nucléaires et de leur exploitation, la situation est plutôt globalement bonne, mais dans un contexte préoccupant pour l'avenir. Dans le domaine de la radioprotection, notamment dans le secteur médical, la vigilance reste de mise, compte tenu des indicateurs à notre disposition.
En matière de sûreté nucléaire, des incidents surviennent nécessairement. Leur déclaration et leur traitement font partie des processus normaux d'amélioration de la sûreté. Compte tenu de leur nature et de leur nombre, nous n'en avons pas connu de majeurs, qui toucheraient la sécurité nucléaire en exploitation. C'est pourquoi la situation est « bonne ». J'ai précisé qu'elle était « globalement » bonne, car nous rencontrons des difficultés sur certains points.
Citons le cas de la Franco-belge de fabrication du combustible (FBFC) à Romans-sur-Isère. Il y a deux ans, nous avons placé ce site sous surveillance renforcée. Nous avons observé depuis une amélioration de la qualité d'exploitation. Néanmoins, le processus de mise aux normes n'a pas encore atteint son terme. Nous maintiendrons donc sa surveillance jusqu'à ce que nous obtenions pleine satisfaction.
Pour les centrales nucléaires, nous essayons d'établir des comparatifs annuels. En 2015, nous saluons la qualité d'exploitation de trois sites : Penly, Saint-Laurent-des-Eaux et Fessenheim. À l'inverse, nous distinguons négativement Cruas et Gravelines. La situation n'y est pas inacceptable. Si tel était le cas, nous aurions le pouvoir de les mettre à l'arrêt. Néanmoins, ces installations nécessitent une amélioration des pratiques au quotidien.
L'installation CIS Bio de Saclay pose également problème. Elle était très en retard en matière de protection contre l'incendie. Voilà plusieurs mois ou années que nous demandons une mise à niveau de ce site. Nous sommes probablement sur le point d'aboutir. Cette situation illustre néanmoins les difficultés que connaissent certaines installations en termes de sûreté.
L'avenir, disais-je, est préoccupant. Ce contexte résulte de trois constats.
Les enjeux auxquels les installations nucléaires auront à faire face sont sans précédent depuis quinze ans. Pour le parc des réacteurs nucléaires d'EDF, la question se pose de la prolongation, ou non, de leur fonctionnement au-delà de quarante ans. C'est un enjeu majeur pour l'industrie et la sûreté. Autant que possible, nous avons choisi d'améliorer leur sûreté pour nous rapprocher des standards de la troisième génération de l'EPR de Flamanville.
Nous sommes engagés dans un processus d'instructions techniques très lourd, sur l'ensemble des tranches, notamment les plus anciennes, de neuf cents mégawatts. En mars-avril 2016, nous avons rendu publique une première lettre d'orientation sur le sujet. Nous sommes attachés à ce que ce document et ses orientations fassent l'objet d'une participation renforcée du public.
La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a prévu que le passage au-delà de quarante ans d'un réacteur fasse l'objet d'une enquête publique. Puisque l'examen générique en cours servira de base aux décisions futures, nous avons décidé d'associer le public à ce processus, même si la législation ne l'impose pas.
Nous estimons pouvoir nous prononcer sur la prolongation au-delà de quarante ans des réacteurs d'EDF à la fin de l'année 2018 ou au début de l'année 2019. Le calendrier est tendu. Pourquoi cet enjeu est-il majeur ? Une soixantaine de réacteurs a été mise en service dans les années 1980. Ils atteindront donc leurs quarante ans à l'horizon 2020.
Nous nourrissons les mêmes préoccupations pour toutes les autres installations, pour les sites dédiés au combustible ou pour les réacteurs de recherche du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Toutes ont été mises en service en support du parc nucléaire français, préalablement ou simultanément à son lancement. Elles ont globalement le même âge et posent les mêmes interrogations.
Des réexamens de sûreté étaient prévus tous les dix ans pour les réacteurs mais pas pour les autres installations. Cet examen sera le premier pour elles. Nous comptons un stock d'une vingtaine de demandes de réexamen. Avant la fin de l'année 2017, ce stock devrait être de cinquante.
À la suite de Fukushima, une série de mesures mobiles et flexibles a été mise en oeuvre sur l'ensemble des installations, pas seulement les réacteurs. Les dernières ont été instaurées à la fin de l'année 2015. Elles doivent être développées « en dur ». Par exemple, nous avons installé de petits diesels non protégés. Ils devront être remplacés par de gros diesels disposés dans des bunkers. Ces mesures interviendront dans les cinq à dix prochaines années.
La contrepartie de la prolongation de certains réacteurs sera la construction de nouvelles installations : ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor, en français : réacteur thermonucléaire expérimental international), le réacteur de recherche Jules-Horowitz et le réacteur EPR. Sur la plupart de ces chantiers, nous connaissons des difficultés industrielles et des retards. D'ordinaire, celles-ci n'ont pas de conséquences en termes de sûreté. Je mettrai néanmoins à part les anomalies rencontrées sur la cuve de l'EPR. Elles pourraient toucher sa sûreté interne lors de sa mise en activité.
Ces enjeux en termes de sûreté ne sont pas nouveaux mais doivent être gérés. À l'inverse, les entreprises en charge de les traiter rencontrent des difficultés économiques ou budgétaires, comme c'est le cas pour le CEA. Le décalage entre l'accroissement des enjeux et les problèmes financiers crée potentiellement un risque pour la sûreté. C'est pourquoi il est nécessaire de procéder à des réorganisations industrielles. Il existe un risque que les investissements de sûreté ne soient pas opérés ou soient retardés.
Une mutation industrielle est en cours. Ses schémas ont été arrêtés au plus haut niveau de l'État. Entre leur adoption et leur mise en oeuvre, une transition doit avoir lieu. Ses phases peuvent être à risque en termes de sûreté. C'est pourquoi nous appelons à ce qu'elles soient les plus réduites possibles. Quelle sera l'organisation du nucléaire à terme ? Nous serons vigilants à ce que les personnes clés, disposant des compétences idoines, soient présentes et affectées aux bons endroits.
Nous-mêmes, autorité de contrôle, ne disposons pas de la totalité des moyens nécessaires pour accomplir notre tâche. Nous avions déclaré que nous nous dirigions vers une impasse en termes de charge. Nous estimons, avec l'IRSN, que notre effectif pour assurer le contrôle représentait mille personnes. Nous devrions passer à mille deux cents à terme. Le Gouvernement nous a accordé trente emplois. Je l'en remercie.
Au regard des enjeux, il reste un fossé à franchir. Nous espérons des renforcements en 2017. Il existe actuellement un décalage entre nos moyens et le nombre de dossiers qui nous parvient. Par exemple, nous venons de recevoir la documentation concernant le nouveau modèle d'EPR. Ma priorité va aux installations en fonctionnement. Je ne peux pas classer autrement les priorités. J'en appelle une nouvelle fois à un changement de paradigme de fonctionnement, afin que nous disposions de moyens adaptés et adaptables.
Nous avons enregistré dix incidents de niveau 2 suivant l'échelle INES (International Nuclear Event Scale, en français : échelle internationale des événements nucléaires). La quasi-totalité concerne le domaine médical, essentiellement la radiothérapie. Ces incidents sont extrêmement sérieux, même ils n'ont rien à voir avec les événements vécus à Épinal, il y a une dizaine d'années. Les derniers en date ne sont pas très techniques mais ont des conséquences lourdes sur les malades. Récemment, une patiente a reçu un traitement sur le sein non-affecté par la maladie durant vingt-cinq séances sur vingt-huit. Nous devons maintenir la vigilance sur ce point.
Trois grands domaines doivent faire l'objet d'une vigilance renforcée. Le premier est celui de la radiologie interventionnelle. Avec cette technique, l'acte opératoire est guidé par une radiographie. Cette méthode est positive pour le patient qui peut plus rapidement rejoindre son domicile. Néanmoins, si des précautions ne sont pas prises, ces mesures sont « dosantes » non seulement pour le patient, mais également pour le personnel. Le développement de cette pratique induit des risques en termes de radioprotection.
Le deuxième domaine porte sur le développement des techniques hypofractionnées pour le traitement des cancers par radiothérapie. Au lieu de délivrer à la tumeur de petites doses de radiation au cours de très nombreuses séances, on préfère appliquer une dose très importante en très peu de séances. Cette méthode est plus efficace et confortable. Toutefois, en cas d'erreur sur l'endroit à traiter ou sur le dosage, les conséquences sont plus importantes.
Le troisième domaine concerne la bonne maîtrise d'outils de plus en plus complexes. Les machines employées sont de plus en plus performantes, mais aussi plus complexes. Leur bonne maîtrise par le personnel constitue un enjeu central. Avec nos experts, nous avons identifié de bonnes pratiques. Nous travaillons actuellement à leur déclinaison auprès des différents professionnels.
La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a apporté nombre d'innovations positives pour conforter la sûreté nucléaire et la radioprotection. Elle a renforcé nos missions et également la participation du public. Les enjeux nucléaires sont sans précédent. Il était important que le dispositif s'adapte. Ces évolutions concernent l'ASN, mais aussi l'IRSN. Les commissions locales d'information (CLI) pourront solliciter la visite d'un site après un incident. Dans les zones frontalières, les membres étrangers pourront y participer de droit. Nous avons introduit le principe d'enquêtes publiques pour la prolongation des sites au-delà de quarante ans.
L'ASN a vu ses responsabilités et ses pouvoirs renforcés. Nous manquions de sanctions intermédiaires entre la fermeture et la mise en demeure. Il n'est jamais positif qu'une autorité ne dispose pas d'une palette de mesures pour répondre à l'ensemble des situations. La loi nous a donné la capacité d'infliger des amendes quotidiennes tant qu'une situation ne rentre pas dans l'ordre. En période de difficultés économiques, cette mesure est adaptée car la tentation peut être grande de reporter des investissements.
Parmi les nouveaux domaines que nous prenons en charge, citons les sources radioactives. Celles-ci sont utilisées dans le domaine industriel, par exemple pour effectuer la radiographie des tuyaux. Ce sujet était globalement orphelin en termes de prise en charge administrative. La loi comble cette lacune. L'ASN est à présent chargée de ce sujet. Avec les ministères concernés, nous préparons actuellement les textes d'application dans la perspective d'une mise en oeuvre de nos contrôles en 2017.
Pour conclure, je souhaite évoquer deux points d'actualité en lien avec l'anomalie de la cuve de l'EPR que vous souligniez. Lorsque l'anomalie a été détectée en avril 2015, nous nous sommes engagés dans son traitement. Nous avons demandé à EDF et Areva d'apporter des justifications. À la fin de l'année 2015, nous avons été amenés à valider leur premier programme d'essais. Les premiers tests, réalisés en début d'année 2016, n'étaient guère positifs. Nos interlocuteurs ont été amenés à nous proposer une extension de leurs contrôles. Leur calendrier pour l'ensemble des analyses destinées à montrer l'acceptabilité de la cuve en termes de sûreté est attendu pour la fin de l'année. Après examen, nous aurons besoin de quatre à six mois pour nous prononcer.
Quand l'anomalie de la cuve est survenue, c'est-à-dire un excès de carbone qui fragilise le métal, elle nous a conduits à formuler deux questions. D'une part, existe-t-il d'autres pièces, pour l'EPR ou dans le parc en exploitation, qui souffrent de cette anomalie de taux de ségrégation du carbone ? La réponse est positive. Nous en avions identifié un certain nombre, il y a quelques mois. Les recherches se poursuivent dans les historiques de fabrication. Nous discutons avec EDF pour mesurer l'impact de ces anomalies sur la sûreté. D'autre part, de quelle manière cette anomalie a-t-elle été découverte ? Nous avons demandé à Areva, sur de nombreuses années, d'étendre ses contrôles à des zones qu'elle n'examinait pas auparavant, jugeant cette démarche inutile.
En résumé, ce ne sont pas les contrôles internes qui ont amené à détecter une anomalie mais les contrôles externes. J'ai demandé à Areva d'engager une revue historique de la qualité des fabrications, qui aille au-delà du problème de la ségrégation du carbone. Nous étions effectivement en présence d'une défaillance d'organisation. Des audits ont donc été menés.
Ils ont récemment mis en évidence des irrégularités sur des dossiers de fabrication et sur des pièces du Creusot. Elles sont en nombre assez significatif. Sur dix mille dossiers examinés, remontant au début des années 1960, les responsables ont identifié quatre cents pièces présentant potentiellement une irrégularité. J'emploie le terme « irrégularité » à dessein. Quand un écart de fabrication est détecté, ce qui est fréquent, cette anomalie doit être déclarée et un dossier ouvert. Cet incident fait l'objet de discussions avec le client ou l'autorité de sûreté.
En l'occurrence, le processus de détection fonctionnait mais le dossier n'était pas transmis. Il était néanmoins archivé. Nous avons demandé à nos interlocuteurs de nous apporter des justifications sur ces soixante cas. Ils ont commencé à le faire, mais le processus d'expertise est en cours. Je considère ces pratiques industrielles comme inacceptables. Areva a déclaré y avoir mis fin en changeant l'organisation à partir de 2012. Le travail d'audit doit se poursuivre au Creusot, à Saint-Marcel et à Jeumont.
Le management a pris, ces derniers mois, des décisions fortes pour mener à terme cette revue. Ce point est positif. Néanmoins, du temps sera nécessaire pour identifier d'autres anomalies éventuelles et les actions rétroactives à mener.
Nous vous remercions pour cette présentation et ce rapport volumineux.
Au cours des derniers mois, certains de nos voisins ont émis des protestations concernant la sûreté des centrales nucléaires de Fessenheim et de Cattenom. Vous nous avez indiqué que vous aviez classé Fessenheim parmi les sites présentant un bon niveau de sûreté en 2015. Vous ne vous êtes pas prononcé sur le cas de Cattenom. Cette centrale n'est donc distinguée ni par l'excellence des installations, ni par les difficultés qu'elle pourrait rencontrer ?
Qu'est-ce qui peut expliquer ce regain d'inquiétude de la part de nos voisins ? Disposent-ils d'informations ? La proximité géographique est-elle en cause ? Comment les pays frontaliers sont-ils assurés du suivi de la sûreté de nos centrales nucléaires ? C'est une question d'actualité que je relaie en tant que député lorrain.
Je souhaite vous poser une question d'actualité. La CGT a brandi la menace de grèves, d'arrêts ou de ralentissements partiels de centrales nucléaires. De tels mouvements sont-ils possibles vu les exigences de sûreté de ces installations ? Des gestes, des comportements techniques ne risquent-ils pas d'être commis, qui pourraient mettre en danger la sûreté des centrales ?
Vous indiquez dans votre rapport que l'ASN devra, avant la fin de l'année 2017, engager le réexamen d'une cinquantaine de dossiers des autres grandes installations nucléaires. Ce sont notamment celles dédiées au cycle du combustible et à la recherche. Avez-vous d'ores et déjà établi le calendrier ou le plan de charge de cette démarche ?
À la fin de ce document, vous précisez que l'ASN et l'IRSN n'ont pas obtenu pour l'exercice 2016 les renforts d'effectifs nécessaires afin de faire face à un certain nombre d'enjeux. Quelles sont vos demandes pour 2017 ? Nous sommes en mai 2016. Dans peu de temps débuteront les préparations budgétaires pour 2017.
Un certain nombre de membres de l'OPECST s'est déjà inquiété des manques de moyens budgétaires de la recherche, spécialement pour le CNRS et le CEA. Cette situation peut avoir des répercussions sur l'ASN. Vous y faites explicitement référence pour 2016. Pouvez-vous nous fournir des éléments ? Ces sujets sont suffisamment stratégiques. Nous disposons en France d'une filière nucléaire performante. L'ASN a pour mission de veiller à la sûreté.
Les deux points de ma question sont liés. Il existe une corrélation entre le plan de charge pour 2017 et vos besoins.
J'avais eu l'occasion, voici deux ans, d'exercer un contrôle et de produire un rapport d'information, au sein de la commission des finances du Sénat, sur le financement du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. J'avais constaté qu'il était nécessaire, pour que l'ASN assume ces enjeux, de créer cent quatre-vingt-dix emplois. Vous en avez obtenu trente.
Le Gouvernement a essayé de répondre aux questions soulevées dans mon rapport. Il n'avait pas pris soin d'évaluer les charges nouvelles, présentes et à venir, de l'IRSN et de l'ASN. Nous avons l'impression de nous trouver dans une impasse. Des besoins s'expriment et les réponses se font attendre.
Si ces moyens ne sont pas mis à disposition, vous expertiserez en priorité les équipements existants, au détriment des projets et de la recherche, avez-vous dit. Pouvez-vous nous fournir davantage d'éléments que ceux dont j'ai pu prendre connaissance à la page 87 de votre rapport ? Quel dialogue doit-il s'instaurer entre l'ASN et l'IRSN, d'une part, et les ministères de l'environnement et des finances, d'autre part ? Le projet avance-t-il ? Dans le cas contraire, les parlementaires ne manqueront pas d'apporter leur concours pour régler cette question.
Je nourris une grande inquiétude personnelle pour trois raisons. Premièrement, j'habite à dix-neuf kilomètres et demi à vol d'oiseau de la centrale de Gravelines. Son périmètre de plan particulier d'intervention (PPI) a été étendu, le mois dernier, de dix à vingt kilomètres. Je me retrouve à présent à l'intérieur de celui-ci.
Deuxièmement, en 2006-2007, j'ai fait part à un haut responsable d'EDF de mes inquiétudes sur le fait que ce site se trouve dans une zone de wateringues. Ces polders réunissent quatre cent cinquante mille habitants sur quatre-vingt-cinq mille hectares au niveau, voire sous le niveau de la mer. À l'époque, Xynthia et Fukushima n'avaient pas eu lieu. Mon interlocuteur m'a ri au nez, affirmant qu'il ne peut rien arriver à Gravelines.
Malgré tout, les changements climatiques existent et le niveau de la mer s'élève. Dans les zones de polders, il existe des phénomènes de rétraction par temps sec. Xynthia peut parfaitement se produire chez nous. Il suffit d'avoir un vent du nord et des surcotes marines. Dans ma région, elles avoisinent fréquemment les deux mètres trente, alors que Xynthia n'atteignait pas deux mètres.
Troisièmement, nous sommes également confrontés à des tremblements de terre. Le dernier a eu lieu il y a un an. L'épicentre était situé dans le Kent. La magnitude était de 4,4. J'ajoute que M. Pierre-Franck Chevet a déclaré à l'instant que le fonctionnement de Gravelines n'était pas satisfaisant.
Concernant les moyens de contrôle, vous souhaitez rapidement obtenir deux cents postes supplémentaires. Pouvez-vous nous indiquer la répartition que vous envisagez entre l'ASN et l'IRSN ? Quels sont les secteurs dans lesquels les besoins se font plus particulièrement sentir ? S'agit-il de missions nouvelles ? Si vous n'obteniez pas rapidement les moyens espérés, quels problèmes précis poserait leur non-obtention ?
Ma question porte sur l'urbanisation à proximité des sites nucléaires. Les agglomérations concernées se sont constituées en association : l'ARCICEN (Association des représentants des communes d'implantation de centrales et établissements nucléaires). Monsieur le président de l'ASN, vous avez animé, aux côtés de l'autorité ministérielle, un groupe de travail pour préciser les modalités de maîtrise des activités autour des installations nucléaires de base.
Vous avez proposé un projet de guide permettant de préserver l'opérabilité de secours, de répondre aux besoins de la population et de ses élus. Des travaux complémentaires se sont déroulés depuis la consultation publique dont a fait l'objet ce projet de guide. Pouvez-vous nous éclairer sur l'évolution de ces travaux permettant de répondre aux attentes des communes ? Elles sont parfois confrontées à un phénomène de quasi-inconstructibilité dans les zones d'alerte d'urgence des plans particuliers d'intervention des sites nucléaires.
J'aurai trois questions à poser. La première concerne le quotidien. Où en sommes-nous en termes de distribution de pastilles d'iode aux populations voisines des sites nucléaires ? Où en sommes-nous en termes de renouvellement, d'approvisionnement et de présence éducative en direction des populations concernées ?
Vous n'avez pas évoqué l'effondrement d'une partie d'un tunnel du projet Cigéo. Il me semble important d'en parler. Quel dispositif d'information comptez-vous mettre en place sur ces deux points ?
Ma deuxième question porte sur le recrutement de compétences. Vous avez chiffré les besoins entre cent trente et deux cents personnes. Je m'interroge, non pas sur les nouveaux recrutements, mais sur le renouvellement des compétences actuelles, à la suite des départs en retraite. Dans un contexte médiatico-politique de défiance, qu'en est-il de ce vivier ? Les jeunes peuvent-ils mettre leur espoir dans une vie professionnelle de haut niveau dans le secteur nucléaire français ?
Troisièmement, quel est le provisionnement pour charge et pour inquiétude ? Ce phénomène alourdit considérablement la facture nucléaire française. Elle la rend « indécidable », en termes économique et politique. Je voudrais connaître votre avis sur la prudence nécessaire dans ce domaine.
Par ailleurs, nous passons en permanence dans des portiques dans les aéroports. Ces dispositifs sont-ils surveillés, du point de vue de leur impact éventuel sur la santé humaine, d'autant plus qu'il est question d'en placer aussi dans les lycées ?
Je souhaite parler de Fessenheim. Vous avez salué son niveau de sûreté or il est de plus en plus question de démanteler cette centrale. Bien sûr, l'ASN n'a pas à juger de l'opportunité de la fermeture. Néanmoins, quelle charge de travail supplémentaire celle-ci risque-t-elle de créer pour l'ASN alors même que vous manquez de personnel ? Interviendrez-vous dans l'évaluation de l'indemnisation à accorder à EDF ?
Vous avez parlé du réacteur en construction Jules-Horowitz. Je l'ai récemment visité avec des membres de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Nous avons cru comprendre que sa construction avait pris du retard. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est ?
Si nous ne parvenons pas à obtenir des réponses détaillées sur tous ces points aujourd'hui, je vous propose de nous les fournir par écrit.
Tenant compte du retard du réacteur de recherche Jules-Horowitz, n'aurions-nous pas pu maintenir Osiris plus longtemps ? Nous allons nous retrouver en rupture de technétium et rencontrer de grandes difficultés en termes de médecine nucléaire. La balance entre les bénéfices et les risques n'aurait-elle pas pu être étudiée, dans la mesure où nous allons perdre du temps ?
Le basculement du générateur de vapeur usé de la centrale nucléaire de Paluel, haut de vingt-cinq mètres et pesant quatre cent cinquante-cinq tonnes, a-t-il eu des conséquences ? Si tel est le cas, quelles sont-elles ?
Concernant Cigéo, ce chiffre de 25 milliards d'euros me semble ridicule. Il me paraît difficile de chiffrer le coût d'une installation, dont il conviendra d'assurer la maintenance jusqu'au bout de l'exploitation, sans connaître le terme de celle-ci. Comment parvenons-nous à ce chiffrage ? Ne devrions-nous pas estimer les travaux sur vingt ans, en précisant que ceux-ci devront se poursuivre au-delà ? Pensez-vous que ce débat soit établi sur des bases solides ?
Au début de la discussion sur la transition énergétique, vous aviez indiqué que l'ASN veillerait à ce que les moyens de production soient suffisamment dimensionnés pour faire face, sans perturbation, à une décision inopinée de l'arrêt d'un ou plusieurs réacteurs. Quelle est votre position dix mois après ?
Je m'interroge également sur les moyens du CEA aujourd'hui. Vous avez dit que les entreprises en charge de gérer un certain nombre de moyens subissent des difficultés. Vous faisiez référence au gel des crédits de recherche, à hauteur de 64 millions pour le budget du CEA. J'ai personnellement indiqué au Président de la République, oralement et par des notes, que je trouvais cette situation anormale. Pensez-vous que ce gel affectant le CEA obérera la sûreté ? Si tel est le cas, je demanderai à mes collègues que l'OPECST adopte une motion sur ce sujet.
Nous répondrons effectivement par écrit aux questions pour lesquelles je n'ai pas d'éléments de réponse en cet instant.
Vous parliez, Monsieur le Président, des attaques contre Fessenheim et Cattenom. Bugey fait également l'objet d'un contentieux de la part des Suisses. D'expérience, j'ai toujours connu de telles attaques. En l'occurrence, il convient simplement de noter qu'elles sont simultanées. J'ai vécu la polémique des Luxembourgeois à l'encontre de Cattenom. J'ai été délégué territorial de l'ASN, il y a quinze ans. Ce phénomène ne constitue pas une nouveauté. Il existe simplement un effet de convergence que je me garderai bien d'expliquer.
Ces pays riverains sont associés. La loi améliorera la possibilité, pour ces pays, pas seulement pour les élus, de participer aux réunions. Ils sont déjà invités aux commissions locales frontalières ; les mêmes informations sont fournies aux populations française et étrangères.
Concernant les grèves, un certain nombre de règles encadrent leur condition d'exercice en termes de sûreté et nous pouvons contrôler leur respect au travers d'inspections. Il existe notamment des critères sur les effectifs minimaux. Bien évidemment, les consignes habituelles de conduite du fonctionnement d'un réacteur doivent continuer d'être respectées. Si tel n'était pas le cas, nous serions amenés à prononcer des sanctions. À ce stade, nous devons être vigilants mais ce sujet ne m'inquiète pas.
Sur nos demandes de moyens, j'ai parlé de discussions en cours avec le ministère de l'Écologie pour 2017. En 2014 nous avions produit ce chiffre de deux cents personnes. Depuis, nous avons connu différents événements comme le retard de l'EPR de Flamanville, le problème de la cuve, l'incident du Creusot ou le nouveau modèle d'EPR. En fonction des contraintes budgétaires, nous avons réactualisé ce chiffre à cent quarante ou cent cinquante personnes. L'emploi de dix personnes supplémentaires est prévu chaque année. Pour 2017, nous souhaiterions obtenir vingt collaborateurs en sus des dix accordés.
À quel emploi destinons-nous ces salariés ? Nous avons engagé un travail pour générer des gains d'efficience. Nous essayons de travailler sur nos méthodes pour opérer un contrôle plus proportionné. En d'autres termes, toute installation dont le responsable ne se comporte pas bien ou dont les enjeux sont importants mérite un contrôle renforcé. À l'inverse, d'autres sites, à moindre enjeu, pourraient bénéficier d'un contrôle allégé. Nous estimons pouvoir obtenir des gains d'efficience de l'ordre de 5 %. Ce travail est en cours. Il est facilité par un certain nombre de dispositions de la loi de transition énergétique.
L'affectation de ces ressources serait destinée aux enjeux nouveaux. Quoi qu'il en soit, nous interviendrons sur la question de la prolongation de la durée de vie des centrales. Cette procédure prévoit une enquête publique. Cette tâche devra donc être accomplie en temps et en heure.
À l'inverse, nous sommes déjà très en retard pour les réexamens habituels. Par exemple, lorsqu'une centrale atteint trente ans, nous sommes amenés à nous prononcer trois à cinq ans après cette échéance. En l'absence d'enquête publique, nous ne sommes pas confrontés à une date butoir. Nous utilisons donc ce délai. Cela n'est pas satisfaisant. Nous ne pourrons pas agir ainsi pour l'inspection des quarante ans, car les enjeux sont majeurs. Je m'y engage. Pour les installations nouvelles comme l'EPR et Cigéo, nous pouvons décaler et prendre plus de temps. Nous devons faire face aux priorités.
Concernant notre capacité d'embauche et notre attractivité, nous parvenons à recruter. Nous ne rencontrons pas de difficultés majeures en ce domaine. L'intérêt de la mission, que je vous confirme personnellement, constitue un élément de motivation pour tous les agents. En revanche, nous devons effectivement former ces professionnels. C'est pourquoi nos demandes anticipent nos besoins. Six mois à un an de formation intensive sont nécessaires.
Concernant nos moyens, des discussions sont en cours. Le financement de l'ASN est entièrement assuré par le budget de l'État. Je comprends très bien que celui-ci subisse des contraintes mais nous aurons besoin de moyens supplémentaires dans l'avenir. L'une des suggestions, reprises par le sénateur Michel Berson, consisterait à revoir les règles de financement. De plus, une partie de nos missions, dans le domaine médical, relève aussi de l'État.
Nous pourrions compléter le budget par une taxe, payée par les exploitants et affectée au système de supervision, sous le contrôle du Parlement. Cette idée a été évoquée par le rapport du Gouvernement au Parlement à la fin de l'année dernière. Je n'en partage pas beaucoup les conclusions. Pour confier une taxe affectée à l'ASN, celle-ci devrait devenir une autorité administrative publique indépendante. Or le Gouvernement estime que cela n'est pas possible, car une loi serait nécessaire tandis que je considère qu'il ne serait pas nécessaire d'adopter un tel texte. Quoi qu'il en soit, nous devons trouver une solution pérenne au-delà de 2017, car nous subissons une montée en charge importante.
Nous avons travaillé sur ces chiffrages et leur révision avec l'IRSN. À chaque fois, nous avons une chronique dans le temps de l'examen de chacun des sujets. Nous avons mené cet exercice le plus rigoureusement possible. Nous sommes parfois confrontés à des surprises en termes de planification. Par exemple, pour l'EPR, en 2014 nous ne pouvions pas prévoir ses retards. Moyennant les mises à jour nécessaires, j'estime néanmoins que nos prévisions sont robustes.
Concernant la campagne de distribution d'iode, elle doit être accomplie. Les pastilles sont des produits pharmaceutiques avec une date de péremption. Les anciens comprimés, pour lesquels nous engageons la cinquième campagne, arrivent à échéance. Il est également urgent d'informer sur le risque suivant les règles actuelles, ce que nous avons prévu de faire. La campagne se passe raisonnablement bien. Les comprimés doivent être récupérés en pharmacie par les personnes concernées, sinon on les leur envoie au bout de quelques mois. La dernière fois, seuls 50 % des personnes concernées se sont rendues en pharmacie. Pourquoi ? Elles avaient une double vision de l'accident : le déni et l'inutilité. Si nous n'engageons pas une campagne d'information, nous serons confrontés à ce type de réaction.
Par ailleurs, nous sommes favorables à l'élargissement à terme des périmètres de protection des populations. Mme Ségolène Royal a porté cette idée. Cependant, ce travail nécessite une préparation et implique d'imaginer un dispositif complet. Il existe déjà des dispositifs au-delà de dix kilomètres. Des stocks départementaux peuvent notamment être mobilisés en cas d'accident plus large. L'objectif est d'opérer la distribution nécessaire, selon les conditions actuelles, tout en travaillant sur cette extension. Des réunions sont prévues sur ce sujet avec le ministère de l'Intérieur.
Concernant Gravelines, nous avons connu un incident d'inondation après la tempête de 1999. À la suite de ce processus, nous avons opéré un retour d'expérience. Nous avons examiné tous les phénomènes liés à l'eau. Ce travail a conduit, au Blayais mais également à Gravelines, à augmenter la hauteur des digues pour faire face aux événements que vous évoquez. Parallèlement, nous réexaminons tous les dix ans toutes les agressions externes, comme les séismes. Nous mettons à jour nos mesures par rapport aux connaissances acquises. Ainsi nous tenons compte de l'impact du réchauffement climatique.
S'agissant de la maîtrise de l'urbanisation, nous avons publié un guide renouvelé. Je ne suis pas certain d'aller dans votre sens. Actuellement, nous avons un système en termes de « porté à connaissance ». Il invite les élus à faire ce qu'il convient en termes de maîtrise du plan d'urbanisme. Une telle invitation ne conduit pas nécessairement à l'engagement de ces procédures. Dans un certain nombre de cas, nous devrions passer à un système plus contraignant, pour éviter concrètement que l'urbanisme ne se développe dans des zones de danger. Nous n'évoquons cette problématique qu'après un accident. Notre doctrine doit évoluer pour disposer d'outils juridiques contraignants afin que les mauvaises démarches ne s'accomplissent pas.
Concernant les 25 milliards d'euros de Cigéo et le provisionnement en général, l'esprit de la loi veillait à ce qu'une difficulté majeure relative à une entreprise n'engage pas l'État à prendre en charge la totalité du processus : le démantèlement, le traitement du combustible et le stockage des déchets. Un fonds devait être abondé pour y pourvoir. Il convenait donc de dresser une chronique des travaux à engager et de placer les fonds nécessaires pour pouvoir en disposer le moment venu.
L'esprit de la loi me semble positif, y compris en termes de sûreté. Le rôle de l'ASN consiste à vérifier que tous les types de travaux correspondent à nos critères en termes de sûreté technique. L'ANDRA a mené une étude statistique, car il est effectivement très difficile d'estimer le coût du travail et de l'énergie dans cent cinquante ans. Un certain nombre d'hypothèses techniques nous semblaient assez optimiste, ainsi que les chiffres retenus. Ainsi que je l'ai indiqué à la ministre et au Gouvernement, il me semble important que des sommes soient provisionnées et revues.
Au fur et à mesure que le projet Cigéo avance, nous disposons de plus d'informations et de données concernant les coûts. Je conçois que ce chiffre de 25 milliards d'euros puisse être critiqué. Il constitue cependant un point zéro. L'arrêté du Gouvernement prévoit, à chaque fois que Cigéo franchira une étape, de revoir cette évaluation. Cette démarche me semble simple et robuste. C'est la seule manière de progresser vers un chiffrage qui s'affine.
Concernant Fessenheim, nous avons l'expérience d'un certain nombre de démantèlements. Pour surveiller la centrale en exploitation et gérer le dossier d'un démantèlement, les ordres de grandeur sont similaires. Nous n'avons pas été consultés sur les dernières propositions. Nous avons autorisé Fessenheim 1 et 2 à aller globalement jusqu'à leur prochain réexamen de sûreté, respectivement en 2021 et 2022. À partir de là, il pourra être procédé à des calculs d'indemnisation, mais qui ne relèvent pas de l'ASN.
Depuis de nombreuses années, le CEA s'était engagé à fermer Osiris en 2015. Il nous avait soumis des dossiers de sûreté tenant compte de cette hypothèse. À partir de 2013, il a indiqué qu'il devrait procéder à une prolongation. Nous lui avons demandé d'étudier la mise en oeuvre de moyens de sûreté pour assurer une prolongation sur dix ans. Le CEA n'a pas été en mesure de formuler des propositions qui « tiennent la route ». In fine, le Gouvernement a pris une décision négative.
L'ASN a rendu un avis plus nuancé. Il est globalement négatif, sauf si une pénurie de production de radionucléides était confirmée par le ministère de la santé. Pour Osiris, notre avis public tenait compte d'une possibilité de fonctionnement exceptionnelle pour faire face à la pénurie. La décision du Gouvernement a toutefois été négative.
Cette décision est-elle bonne dans la mesure où le réacteur de recherche Jules-Horowitz va être retardé ?
Le ministère de la santé a été consulté. L'avis a considéré que gérer une telle pénurie ne posait pas problème.
Concernant les marges électriques, j'ai affirmé que nous pouvions être amenés, en cas d'anomalie, à arrêter une dizaine de réacteurs en l'espace d'une semaine. Le dispositif global de production d'énergie devait tenir compte de ce cas de figure pour pouvoir l'absorber d'une manière ou d'une autre.
Différentes modalités sont possibles : développer des marges de production en France, réserver des capacités de production en France ou à l'étranger, prévoir des mesures de baisse de la consommation avec des clients choisis, etc. Je ne suis pas sûr que la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) soit totalement disponible. J'ai pris connaissance d'études sur les énergies renouvelables et nucléaire. En l'espèce, ce problème renvoie à la question de l'assemblage de tout le réseau électrique.
Concernant les moyens du CEA, l'exploitant est confronté maintenant, de manière passive, au problème du démantèlement. Il dispose de beaucoup d'installations anciennes, civiles et militaires. Il a commencé à procéder à leur démantèlement, ou tel devrait être le cas. Nous avons constaté que les calendriers sont distendus, qu'il existe des situations qui posent question en termes de sûreté, notamment pour des installations très anciennes.
Nous avons discuté conjointement avec l'autorité de sûreté en charge de la défense, pour demander au CEA une remise à plat de ses engagements en termes de démantèlement. Ce processus prend un temps certain. Nous reviendrons vers le Gouvernement, au vu des différents scénarios, pour dire ce que nous en pensons. En l'état des budgets, les capacités du CEA à démanteler en temps et en heure sont limitées. Même en ne tenant pas compte du gel du budget sur une année, le sujet est majeur.
En France, dans les aéroports, nous ne procédons pas à des radiographies. Ce ne sont que des détecteurs de métaux, contrairement à ce qui existe aux États-Unis d'Amérique.
Monsieur le Président, nous vous remercions. Les nombreuses questions des parlementaires montrent la nécessité de cet exercice. Ils s'inquiètent plus particulièrement, à juste titre, du devenir des centrales situées dans leurs circonscriptions électorales. Vous avez apporté des réponses. Le dialogue entre l'OPECST et l'ASN est permanent. Quand nous n'échangeons pas assez, nous vous le disons. Dans certains cas, nous aurions souhaité disposer de certaines informations avant qu'elles ne se retrouvent dans la presse. Cela étant, nos relations sont bonnes.
En conclusion, je souhaiterais que l'OPECST adopte la motion suivante :
« L'OPECST a auditionné le 25 mai l'ASN qui s'est inquiétée des effets des réductions budgétaires de certains organismes de recherche ayant en charge des installations nucléaires en fonctionnement ou en phase de démantèlement. Celles-ci pourraient avoir des conséquences en termes de sûreté. Il demande au Gouvernement de rétablir ces crédits, par tous les moyens dès 2016, si ces coupes budgétaires avaient pour effet de réduire le niveau de sûreté. »
Cela concerne la sûreté. Par ailleurs, la loi de 2013 confie à l'OPECST une compétence concernant les organismes de recherche. Nous aurons un rapport sur ce sujet à rendre l'année prochaine. Une première audition du Commissariat général à l'investissement (CGI) est prévue à la fin du mois de juin concernant les investissements d'avenir. Plus généralement, nous ne voulons pas voir peser sur les seuls organismes de recherche les gels budgétaires demandés à un ministère englobant l'éducation, l'enseignement supérieur et la recherche. Parce que l'on n'a pas voulu impacter une partie du budget de l'éducation nationale, seuls les organismes de recherche sont touchés.
La fin de la motion serait la suivante :
« L'OPECST souhaite également que cent cinquante postes soient affectés sur trois ans (2017-2019) à l'ASN et à l'IRSN, qui demandent ce renforcement depuis 2014. »
Voilà la proposition que je vous ferai. Je viens de la rédiger. Elle me semble consensuelle par rapport à ce qui a été dit.
Je suis très heureux de vous accueillir aujourd'hui pour la présentation de votre dixième rapport d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs. Cette réunion est empreinte d'une solennité particulière. Elle réunit la CNE2 pour la dernière fois dans sa configuration actuelle, puisqu'elle est en passe d'être renouvelée. Je voudrais témoigner à l'ensemble des membres ici présents de ma sincère reconnaissance pour le travail de très grande qualité qu'ils ont réalisé bénévolement depuis leur nomination. Les évaluations et avis de la CNE2 ont été, pour les parlementaires, un élément essentiel d'information sur l'avancement de ces travaux de recherche et d'étude.
C'est avec satisfaction que j'ai constaté que mon intervention auprès de la ministre de l'écologie pour accélérer le renouvellement de la CNE2 avait rapidement produit des effets. L'Office n'a pas encore été sollicité par le président de l'Assemblée nationale pour désigner de nouveaux membres. Mais cela ne saurait tarder.
Je voudrais aussi vous remercier d'avoir accepté de décaler le début de notre réunion. Nous n'avions pas d'autre solution pour entendre l'Autorité de sûreté nucléaire, dont l'audition avait été prévue longtemps à l'avance le 17 mai car, à la même date, le Sénat a décidé d'inscrire à son ordre du jour la proposition de loi sur le centre de stockage géologique profond des déchets radioactifs, déposée par nos collègues sénateurs Gérard Longuet et Christian Namy. Comme vous l'avez appris, cette proposition a fait l'objet d'un large consensus, avec trois cent trente-trois votes en sa faveur. Je crois que ce résultat justifie ce report. Nous avions également déposé dans les mêmes termes une proposition de loi à l'Assemblée nationale, notamment avec les députés Christian Bataille et Anne-Yvonne Le Dain.
Mais je me dois d'abréger mon propos, puisque nous disposons de moins de temps qu'à l'habitude pour vous écouter et vous poser des questions. Je suis certain que nos collègues ici présents seront nombreux à vouloir poser des questions à la suite de la présentation de votre rapport. Mais je les invite dès à présent à la concision. Avant l'intervention de M. Jean-Claude Duplessy, je donne la parole à notre hôte et premier vice-président, le sénateur Bruno Sido.
Je me joins à ces remerciements. Ce travail considérable est très apprécié, à Paris comme sur le terrain et je le sais bien puisque je suis très concerné par ces questions. Il a le mérite d'être clair. Je vous poserai tout à l'heure une question sur la réversibilité. La définition qu'en fournit l'ASN ne me semble pas être la même que la vôtre.
Nous sommes très sensibles à vos remerciements et à l'intérêt que vous portez aux travaux de la commission. Je les transmettrai à ceux de nos collègues absents aujourd'hui.
Au cours de la période 2015-2016, nous avons mené dix auditions publiques et huit auditions restreintes. Ces dernières étaient destinées à traiter de problèmes un peu délicats avec le CEA, l'ANDRA, EDF ou Areva. Nous avons présenté le précédent rapport au CLIS de Bure, à Joinville, le 29 octobre 2015. Nous avons visité la centrale de Chooz, en cours de démantèlement, le site d'ITER, qui nous a beaucoup impressionnés, et l'INB 56 à Cadarache. Sur ce dernier site, le travail de reconditionnement de déchets en vrac est considérable. Il est très intéressant de mesurer les efforts accomplis par le CEA dans ce domaine où les conditions de travail sont difficiles. Enfin, nous avons organisé un séminaire pour définir les éléments que nous souhaitions vous présenter.
Le projet Cigéo (Centre industriel de stockage géologique) est actuellement mené par l'ANDRA. Il a pour objectif la conception, la construction puis l'exploitation d'un stockage géologique pour les déchets radioactifs de haute activité à vie longue (HAVL) et de moyenne activité à vie longue (MAVL) inscrits au programme industriel de gestion des déchets (PIGD). Il serait réalisé à cinq cent mètres de profondeur dans la couche d'argilite du Callovo-Oxfordien, en Meuse-Haute-Marne. Se situant au milieu de cette couche argileuse épaisse d'environ cent trente mètres, il disposerait de soixante mètres de garde d'argile au-dessus et en dessous par rapport à l'environnement géologique non argileux.
Le calendrier prévisionnel de l'ANDRA fixe à présent une nouvelle échéance pour le dépôt de la demande d'autorisation de création (DAC), à la mi-2018. Compte tenu du délai d'instruction de trois ans, la publication du décret d'autorisation de création pourrait intervenir à la fin de l'année 2021. Ce délai n'a guère évolué. La DAC est en cours de préparation. Les matériels scientifiques et techniques contenus dans la DAC résulteront de l'avant-projet simplifié, qui est achevé, et de l'avant-projet détaillé, qui est en cours.
La DAC devra prendre en compte les règles générales relatives à la création des installations nucléaires de base (INB). Elle devra également suivre les dispositions spécifiques au stockage des déchets radioactifs telles qu'inscrites dans la loi de 2006. Le rapport de la CNE2 reprend le détail des dispositions qui devront être traitées par l'ANDRA.
La sûreté du stockage est assurée en dernier lieu par la barrière géologique. Il est donc impératif de pouvoir garantir que ses propriétés, en champs proche, moyen et lointain, seront préservées durant toute la durée nécessaire au confinement. Nous parlons ici de sa vie active et de sa vie passive après fermeture.
Parmi les garanties scientifiques qui assurent ce préalable, la CNE2 a insisté sur trois questions qui ont fait l'objet d'auditions. Elles ne sont pas toutes arrivées à maturité mais devront cependant être maîtrisées au moment du dépôt de la DAC, pour garantir la sûreté de Cigéo en exploitation et après fermeture.
La première de ces questions scientifiques concerne le modèle thermo-hydro-mécanique (THM). Nous l'avions déjà évoqué dans le rapport n° 9. Il s'agit du comportement de la roche perturbé par des déchets à dégagement thermique.
La deuxième porte sur le comportement mécanique du massif rocheux. C'est-à-dire tous les éléments qui garantiront la stabilité des ouvrages permettant d'accéder aux chambres de stockage et d'exploiter celui-ci.
La troisième question est relative aux scellements qui n'auront pas pu être validés à l'échelle 1 au moment de la DAC. Nous devrons prendre toutes les garanties, au niveau de la modélisation, afin d'assurer que ces dispositions répondent au cahier des charges.
La CNE2 a formulé des recommandations.
En premier lieu, pour les phénomènes THM, l'ANDRA devra présenter une solution de référence pour les quartiers HA1 et HA2 ; un dessin intégrant toutes les incertitudes subsistant lors de la DAC. Dans la mesure où ces quartiers ne seront exploités que dans soixante-dix ans au mieux, la CNE2 estime que l'ANDRA dispose du temps nécessaire pour tester le modèle THM à échelle pertinente.
En deuxième lieu, pour le comportement mécanique, l'ANDRA n'est pas encore parvenue à développer un modèle mécanique rendant compte de la relation contrainte-déformation dans le milieu et de la totalité des observations opérées dans le laboratoire souterrain. Par exemple, il n'est pas certain que les outils actuels permettent d'aboutir à une solution enveloppe pour dimensionner l'épaisseur de béton d'ouvrages destinés à durer plus d'une centaine d'années. La CNE2 estime que les traits principaux du comportement mécanique du massif rocheux à l'échelle du siècle doivent être établis en priorité.
En troisième lieu, pour les scellements, un grand nombre d'expérimentations ont été conduites dans le laboratoire souterrain. Elles doivent être pleinement validées pour établir un modèle de fonctionnement des scellements qui permette de se projeter dans l'avenir, aux différentes phases de la vie du stockage.
Si le décret d'autorisation de création est pris à la fin de l'année 2021, la première tranche de travaux de Cigéo pourra débuter. Ce sera le début d'une phase industrielle pilote (PIP), au sens de l'ANDRA, qui pourrait débuter en 2025. Elle devrait durer une dizaine d'années. Cette phase constitue une étape essentielle de la démonstration de la maîtrise industrielle de Cigéo et de la qualité de sa réalisation. Elle devra permettre la mise en place des essais de scellements à l'échelle 1.
On n'a pas le droit à l'erreur durant cette phase. Tout au long du creusement, l'ANDRA devra exploiter son retour d'expérience en toute transparence vis-à-vis du public et présenter un rapport annuel d'avancement.
Nous sommes tous conscients de l'importance de cette phase industrielle. Elle ne doit être ni bâclée, ni ratée.
Pour établir dans les temps requis le schéma industriel robuste indispensable à la présentation de la DAC, la CNE2 recommande, d'une part, que l'ANDRA fige au plus tôt les options techniques de réalisation de la première tranche de Cigéo en s'assurant d'une grande marge de robustesse et, d'autre part, qu'elle réserve, dans le cadre de la flexibilité de Cigéo, les optimisations qui doivent encore faire l'objet d'études aux tranches ultérieures.
Par un arrêté de janvier 2016, la ministre en charge de l'énergie a retenu le chiffre de 25 milliards d'euros pour le coût de Cigéo. La première estimation était sensiblement plus faible. L'ANDRA avait ensuite produit le chiffre, nettement plus élevé, de 33 milliards d'euros. À la suite des optimisations menées dans le cadre d'un groupe de travail organisé par la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), l'ANDRA et les producteurs avaient abouti à une nouvelle évaluation de 29 milliards d'euros.
Le chiffre de 25 milliards d'euros qui conditionne la fixation des provisions de la part des producteurs a finalement été retenu par la ministre. Nous en prenons acte. Ce projet étant appelé à durer longtemps, d'autres optimisations seront nécessaires. Néanmoins, la CNE2 s'interroge sur la façon dont sera répercutée la révision à la baisse du coût estimé par l'ANDRA. Elle recommande que les options techniques de la première tranche, adoptées conjointement par l'ANDRA et les producteurs, soient maintenues et ne soient pas affectées par des considérations budgétaires.
Dans le futur, nous devrons également nous interroger sur les modalités concrètes de financement de cet investissement. Comment les producteurs répondront-ils aux appels de fonds de l'ANDRA ? Quelles seront les règles de tarification de l'accès à ce projet ? Ce budget sera-t-il fixé au moment de la réservation de capacités, à celui du dépôt des colis ? Ces questions ne sont pas urgentes, mais traitent d'enjeux financiers importants.
Depuis plusieurs années, l'ANDRA effectue des recherches géologiques concernant la faisabilité d'un site de stockage de déchets de faible activité à vie longue (FAVL) sur le territoire de la communauté de communes de Soulaines, dans l'Aube. Des profils sismiques et des ouvrages de reconnaissance ont été publiés. L'ANDRA commence donc à maîtriser la géométrie du sous-sol, l'épaisseur des couches cibles dans les argiles du Crétacé.
La CNE2 considère, d'une part, que des progrès doivent être accomplis sur l'inventaire des radionucléides contenus dans ces FAVL et, d'autre part, que nous devons disposer de davantage d'informations sur les choix qui seront opérés pour le mode de stockage, pour l'épaisseur des gardes sous le stockage ainsi que sur la façon dont seront considérées les couvertures reconstituées. Cette démarche est nécessaire afin de conduire une analyse de sûreté réaliste incluant tous les paramètres géologiques du site.
Toujours dans ces déchets à radioactivité naturelle renforcée, les TENORM (Technologically Enhanced Naturally Occurring Radioactive Materials), la directive 2013-59-Euratom stipule que ces déchets devront être considérés comme résultant de l'activité nucléaire même si, de facto, tel n'est pas le cas.
Areva a engagé des travaux sur la possibilité de stockage in situ des déchets produits par l'usine Comurhex de Malvési, près de Narbonne. Comme pour l'ANDRA à Soulaines, des données géophysiques ont été acquises.
La CNE2 recommande de considérer le milieu géologique sur un volume plus important. Dans ce secteur, les argiles oligocènes cibles reposent sur des carbonates aquifères qui ont des propriétés de transferts de fluides. En outre, il existe différentes fractures à l'échelle du bassin de Narbonne. La CNE2 recommande donc de mener des modélisations d'écoulements à l'échelle régionale, pour mieux établir la relation entre les circulations de flux à grande échelle et la sécurité du stockage plus localisé.
Les déchets de très faible activité (TFA) ont également retenu l'attention de la CNE2. Ils sont actuellement stockés au sein du Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES) de Morvilliers. Sa capacité de stockage autorisé de 650 000 mètres cubes devrait être saturée vers 2030, malgré l'extension déjà prévue. Les besoins en capacité de stockage des déchets TFA ont été évalués jusqu'en 2080. Ils sont considérables et varient selon les différents scénarios d'évolution du parc nucléaire français. Quoi qu'il en soit, il conviendra d'ouvrir un nouveau centre de grande capacité pour absorber les TFA issus du démantèlement du parc.
En conséquence, la CNE2 émet deux recommandations.
D'une part, elle encourage les organismes de recherche, les industriels et les autorités à poursuivre leurs études sur des modalités innovantes de gestion des matériaux issus du démantèlement et classés comme des déchets alors qu'ils contiennent peu, ou très peu, d radioactivité ajoutée. Ce point pose le problème de la nature d'une classification dont les critères varient d'un pays à l'autre.
D'autre part, la CNE2 renouvelle sa recommandation de développer des méthodes de mesure des très faibles radioactivités de lots très importants de matériaux. Elles devront être au point pour accompagner toute stratégie innovante de gestion des déchets de très faible activité.
La loi de 2006 dispose que les recherches sur la séparation des actinides mineurs et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue doivent être conduites en relation avec celles menées sur les nouvelles générations de réacteurs nucléaires.
Pour répondre à ces objectifs, le CEA développe le projet ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) consistant à construire un démonstrateur industriel d'un réacteur à neutrons rapides de génération IV. Dans ce cadre, il doit être possible d'encore améliorer la sûreté de la génération III.
Ce projet constitue une étape indispensable à l'introduction de réacteurs à neutrons rapides dans le parc électrogène français. Le prototype ASTRID devra démontrer la faisabilité industrielle du multi recyclage de son propre combustible et également la possibilité de transmuter l'américium à une échelle industrielle.
La demande d'autorisation de construction du réacteur ne serait déposée qu'en 2020, comme nous l'avons appris lors des auditions de cette année. Cette échéance a été adoptée en raison de la réduction des moyens humains et financiers alloués au CEA et du souhait de celui-ci, également, d'étudier un nouveau système de conversion d'énergie à gaz et de le porter au même niveau que le système de conversion d'énergie eau-vapeur.
Cette modification du calendrier rend plus réaliste le projet ASTRID. La CNE2 estime que ce retard doit être maîtrisé et utilisé pour faire progresser l'expertise et les compétences du CEA et de tous les organismes impliqués dont AREVA.
Des éléments nous ont été présentés pour monter des assemblages de combustibles. La recherche et le développement ont progressé. La CNE2 recommande d'assurer durablement la recherche et le maintien des filières indispensables pour mener ce projet. Une quinzaine d'organismes d'ingénierie se sont engagés ; ils ne doivent pas délaisser ce projet.
Le retraitement des combustibles usés des réacteurs à neutrons rapides (RNR) présente différentes difficultés qui devraient conduire à l'adoption d'un nouveau procédé de retraitement des combustibles. Actuellement, tout le monde utilise le procédé PUREX (plutonium uranium refining by extraction). Toutefois, il ne serait pas si bien adapté pour le retraitement des combustibles usés des RNR. La CNE2 recommande donc de lancer dès maintenant un programme de recherche et développement à long terme pour assurer industriellement le retraitement du combustible usé RNR.
Pour préparer ensuite la transmutation de l'américium, évoquée dans le rapport n° 9 de la CNE2, il faudrait que ce plan de recherche soit soutenu de façon continue car les expériences à réaliser sont très longues et doivent être coordonnées avec toutes les recherches menées à l'étranger.
Trois pays sont en avance dans le processus de stockage géologique profond des déchets de haute activité : la France, la Finlande et la Suède.
En novembre 2015, le gouvernement finlandais a pris la première décision mondiale concernant le stockage profond de combustibles usés. Selon le concept KBS-3 (kärnbränslesäkerhet), le même qu'en Suède où le processus de décision est également bien avancé. Toutefois, la Cour environnementale, les communes et le gouvernement doivent encore rendre leur avis. Deux ans seront sûrement nécessaires avant que la construction du site de stockage puisse débuter.
La CNE2 contribue également à la coopération internationale. À ce titre, je souhaite évoquer le projet ADS (Accelerator Driven Systems). La Belgique est le pays hôte de ce système. Ce sont des RNR destinés à la transmutation des actinides. Une phase préliminaire de cette installation pourrait être mise en service en 2024. Le CEA et le CNRS participent également à ce projet.
L'année 2024 ne correspondra qu'à une toute première phase. L'accélérateur alors ne dépassera pas les 100 MeV. Il devra ensuite être porté à 600 MeV. Nos collègues belges doivent donc mener un programme étendu pour porter un ADS au niveau industriel.
Il y a deux ans, l'OPECST avait interrogé la CNE2 sur le projet Allegro. Les informations que nous avions alors reçues du CEA, qui n'était alors qu'un participant mineur, ne nous avaient pas permis de répondre. Depuis, nous nous sommes rendus en Europe de l'Est pour rendre visite aux partenaires de cette opération. Allegro est un projet de RNR avec caloporteur gaz haute température. Il a été lancé en 2002 dans le cadre du Forum international Génération IV. Le CEA y a consacré une activité importante jusqu'en 2009. Il a défini les caractéristiques d'un réacteur expérimental à haute température.
En 2010, sur proposition du CEA, trois instituts se sont engagés à étudier ensemble le développement et les conditions d'accueil d'Allegro : en Hongrie, en Slovaquie et en République Tchèque. Deux ans plus tard, la Pologne a rejoint le consortium. Au cours de la visite de la CNE2 dans ces pays, nos interlocuteurs nous ont présenté leur projet, sachant qu'ils bénéficiaient de tout l'acquis du CEA.
Ce projet en est encore au stade conceptuel, loin d'un avant-projet sommaire. La réflexion menée par ces scientifiques de très haute qualité a permis d'identifier toutes les questions de sûreté et tous les verrous technologiques. Ceux-ci sont considérables. Par exemple, les matériaux devront résister à des températures de 1 200°C voire 1 800°C. Un effort de recherche et développement considérable apparaît nécessaire pour atteindre les objectifs ambitieux d'Allegro. Actuellement, les partenaires travaillent sur un prototype qui n'atteindrait pas ces températures maximales.
Dans l'état actuel, Allegro se trouve dans une toute première étape de qualification. Vu les éléments qui nous ont été présentés, ces réacteurs ne pourront être disponibles pour un usage industriel avant longtemps. Des obstacles considérables doivent encore être surmontés avant qu'il ne soit possible d'envisager un prototype.
Un accident est intervenu dans le laboratoire de Cigéo. Vous ne l'avez pas évoqué. Certes, cette affaire est entre les mains de la justice, pour déterminer les causes et les responsabilités. Avez-vous examiné cette question ? Sinon, pensez-vous le faire pour tirer les conclusions de cet événement pour l'exploitation industrielle du véritable site de stockage ?
Dans le rapport que nous a remis précédemment l'ASN, elle fournit une définition de la réversibilité. La CNE2 nous a toujours affirmé qu'il convenait de ne pas confondre réversibilité et récupérabilité. L'ASN dit le contraire. Je souhaite obtenir votre opinion sur ce sujet.
Avec les 25 milliards d'euros que vous avez évoqués, nous avons le sentiment qu'un chiffrage officiel était nécessaire pour engager les travaux. Sur un projet couvrant cent ou cent cinquante ans, nous savons pertinemment que de telles évaluations sont douteuses, puisque, déjà, le budget d'un programme décennal est fréquemment porté du simple au double. Quelle valeur accordez-vous à cette estimation ? Quel est l'intérêt de produire ce chiffrage ?
Je souhaite m'exprimer sur le processus cauteleux de certains des initiateurs du projet Cigéo. Je l'ai ressenti depuis la loi de 1991. Nous sommes en présence d'un projet ambitieux, qui s'inscrit dans la longue durée. L'ANDRA et d'autres spécialistes souhaitent le découper en phases et ne passent jamais à l'étape définitive. N'oublions pas que le laboratoire fonctionne et qu'il a constitué un investissement considérable et utile.
Il ne faudrait pas que la phase industrielle pilote constitue une seconde phase de laboratoire. Il convient d'insister auprès de tous sur le fait que la phase industrielle pilote constitue le début de la construction du stockage. S'il est donc nécessaire de se montrer observateur et prudent, cependant, aucun arrêt ne devra intervenir à la fin de cette phase.
Il convient d'insister sur ce point, sur l'engagement du processus de stockage et sur sa continuité, phase industrielle pilote comprise. Ce ne serait pas de bonne politique, après la construction coûteuse d'un laboratoire, qui a donné des résultats, d'engager une seconde phase d'expérimentation. Ressentez-vous ce comportement cauteleux de la part du pouvoir politique dont l'ANDRA est l'organe d'exécution un peu craintif ?
Ma seconde question porte sur la génération IV. Avec l'EPR, nous avons connu des difficultés, des déceptions et des hésitations. Nous cherchons à produire un réacteur plus petit. Nous subirons la concurrence de l'AP1000 américain. Est-il possible d'accélérer le développement du programme de la Génération IV, pour qu'elle prenne, plus vite que prévu, le relais de l'EPR ? La recherche et la mise au point technologique sont-elles mûres, où l'attente devra-t-elle être assez longue ?
Je m'interroge toujours sur le stockage. Je partage les propos de M. Christian Bataille sur le concept d'expérimentation. La décision a été prise en 1991. Trente ans plus tard, nous ne devons pas prendre autant de temps pour engager ce processus de stockage. En tant que personnalité politique, je n'ignore pas que ces décisions sont difficiles à prendre. Toutefois, les experts ne doivent pas être paralysés par le débat.
Vous n'avez pas abordé la notion de fluage. Le terme n'est jamais employé, ses conditions ne sont pas évoquées. Or ces déchets chaufferont. Les argiles sont certes sèches mais ne sont pas insensibles à des questions de température. Par ailleurs, comment maîtriserons-nous la fabrication de tuyaux droits de cent vingt mètres sans aucun repère ? Ces questions sont simples. Personne ne semble se les poser, ce qui m'inquiète. Je pense que nous devons accélérer les évaluations mais non les précautions. Nous devons être prudents mais, en pratique, sans demeurer au stade des principes. Il y aura des problèmes de fluage.
Je me pose également des questions sur les matériaux assurant les fermetures. Quel béton utiliserons-nous, de quel type, avec quelle granulométrie ? Le béton contient toujours de l'eau. Ne faut-il pas plutôt utiliser de l'acier ? Ou quel type de matériau métallique ? Qu'en sera-t-il des opercules de fermeture ? Seront-ils en céramique, en porcelaine ? Personne ne semble s'interroger sur ces points. Si ces questions sont posées dans les laboratoires, elles ne remontent pas jusqu'au politique, qui est le décideur in fine, pour éclairer ses choix.
Concernant la réversibilité, je ne suis pas convaincue qu'elle soit indispensable. Aujourd'hui, les combustibles usés sont toujours stockés en surface. Même si je ne doute pas que toutes les précautions ont été prises, ils seraient plus sécurisés en sous-sol. Quelqu'un travaille-t-il à ce rapport de temporalité entre le moment où la décision a été prise, en 1991, et le début de l'engagement du stockage ? Pendant ce temps-là, nos concurrents progressent.
Les Finlandais opèrent dans le granit. En tant que géologue, cet environnement me pose problème. Je souhaite avoir votre opinion sur ce point.
Vous considérez que la compréhension des phénomènes thermo-hydro-mécaniques doit encore progresser avant le dépôt de la DAC, pour concevoir l'architecture des quartiers HA1 et HA2. Disposez-vous d'une estimation du temps nécessaire pour y parvenir ? Nous avons la nécessité de connaître l'horizon auquel la DAC pourra être déposée.
L'OPECST doit être informé sur l'accident consécutif à l'effondrement du front de taille de Bure. Que faudrait-il faire pour renforcer la sûreté de ce chantier ?
Je reprends la question de la réversibilité. Le rapport annuel sur l'état de la sûreté nucléaire en France indique que l'ASN donnera sa position sur la réversibilité en 2016. Si ce point est relatif à la question de la sûreté, nous en sommes d'accord. À partir du moment où cette installation sera réversible, en fonction de l'inventaire des déchets, le calibrage du stockage doit permettre qu'on ne détecte aucun problème de sûreté. Il m'apparaît normal que l'ASN indique sa position avant un débat parlementaire sur la réversibilité. Toutefois, Il ne revient pas à une autorité de sûreté de décider de la réversibilité. Le Parlement aurait pu faire le choix d'un stockage irréversible, comme prévu dans la première version de la loi. Il revient également au Parlement de définir la réversibilité. Nous devrons engager ce débat.
Vous avez évoqué le risque de radiolyse sur des déchets de moyenne activité à vie longue et de fabrication d'hydrogène à un moment donné. Ce point figure dans votre rapport. Pouvez-vous nous en dire plus ? En quoi cette question doit-elle modifier les dispositions prises ?
Notre réflexion s'opère dans le cadre de la loi de 2006, c'est-à-dire avec le stockage de déchets ultimes dans Cigéo. Par conséquent, nous avons essentiellement des déchets de moyenne activité à vie longue et de haute activité à vie longue. Concernant la réversibilité et la récupérabilité, je cède la parole à M. Pierre Demeulenaere.
Ce sujet est complexe. D'un côté, nous devons mener une réflexion intellectuelle sur ce que la réversibilité peut signifier. De l'autre, nous avons la nécessité d'inscrire cette définition dans la loi, dès lors que le Parlement a décidé ce stockage réversible. Nous avons distingué la notion de réversibilité de celle de récupérabilité, car la réversibilité est conceptuellement plus complexe. Nous nous sommes intéressés au processus de décision associé au principe de réversibilité. Il implique pratiquement de mettre en oeuvre un stockage qui permette une certaine récupérabilité, qui est elle-même évolutive en fonction du temps.
Le processus de décision doit appréhender, suivant les différentes étapes, l'état exact de la récupérabilité, son coût, les options techniques, etc. C'est pourquoi la réversibilité se situe en amont d'un processus de décision. Il s'agit de préparer la possibilité que le politique prenne la décision à chacune de ces étapes, soit de continuer, soit d'arrêter, soit de revenir en arrière, en fonction de critères et de coûts variés. Le principe de réversibilité se situe au niveau de la décision, la récupérabilité étant une condition pratique, elle-même évolutive en fonction du temps.
La CNE2 a délibérément décidé de ne pas évoquer l'accident de Bure dans son rapport. Ce choix était dicté par deux raisons. Premièrement, l'affaire est à l'instruction. Or une instruction est secrète, si bien que nous ne disposons que des informations relatées dans la presse. Deuxièmement, nous voulions laisser aux experts de l'ANDRA et à ceux mandatés par la justice le temps d'évaluer les causes possibles de l'accident.
Il s'agit d'un accident de chantier. Il s'est produit avant la pose du revêtement. En mode d'exploitation de Cigéo, les galeries seront recouvertes, si bien que ce type d'incident ne pourra plus se produire à moins que le terrain ne cède. Là il s'agit d'un accident de chantier en relation avec le travail de la mine.
Effectivement, le mot « fluage » ne figure pas dans le rapport. Toutefois, nous évoquons bien le comportement des matériaux dans le modèle mécanique ; les variables d'état se modifiant suivant la température. Ce point est bien contenu dans nos recommandations sur le modèle mécanique.
Je n'en doute pas. Cependant, ces questions ne sont pas évoquées publiquement. La population et ses représentants ont besoin d'être informés. Je suis députée, élue de l'Hérault, et géologue. Mes interlocuteurs m'interrogent et je ne sais que leur répondre. Je peux simplement évoquer l'existence d'un laboratoire souterrain. Des scientifiques effectuent des modélisations. Fournissez-nous des réponses.
Nous ne disposons pas davantage de réponse. Chaque année, les mêmes questions - dont le fluage - nous sont soumises dans le cadre du CLIS.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. - Je n'ai pas d'avis sur la question. Aujourd'hui, que disent les scientifiques travaillant sur ce sujet ? Voilà quinze ans que les scientifiques réalisent des modèles. J'ai déjà formulé cette interrogation il y a trois ans.
De toute manière, nous ne pourrons pas passer ce point sous silence au moment d'examiner la DAC.
En relisant nos rapports, nous nous sommes aperçus que nous formulions également les mêmes questions depuis cinq ou six ans. Nous avons prévenu l'ANDRA que, si nous n'obtenions pas de réponse, nous tirerions les conséquences au moment de rendre un avis sur la DAC. Malheureusement, nous ne pouvons pas vous fournir de réponses alors que nous-mêmes n'en obtenons pas, y compris sur des points majeurs.
Le chiffre de 25 milliards d'euros est important parce qu'il conditionne les provisions des producteurs de déchets. La première estimation était de seize milliards d'euros. EDF, en particulier, doit augmenter ses provisions pour des raisons juridiques. L'opinion publique évoque beaucoup le coût d'enfouissement des déchets de haute et moyenne activité à vie longue. D'une part, ces 25 milliards d'euros s'étendront sur un siècle, d'autre part, il convient de comparer ce budget à des dépenses similaires.
Par exemple, le grand carénage des cinquante-huit réacteurs d'EDF était estimé à 55 milliards d'euros, puis à 51 milliards d'euros. Il sera lui-même étalé dans le temps. Autre exemple, chaque année, les Allemands, avec la contribution au titre de la loi sur les énergies renouvelables (Erneuerbare Energien Gesetz Umlage ou EEG-Umlage), dépensent 23 milliards d'euros de surcoût du fait des énergies renouvelables. Dans son dernier rapport, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) française estime le surcoût des énergies renouvelables, sur la période 2014-2025, à 73 milliards d'euros.
Il convient donc de remettre ces chiffres en perspective. 25 milliards d'euros ne représentent pas un montant faramineux sur un siècle.
Quel est le coût des énergies renouvelables pour les consommateurs français ?
La part de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) pour les énergies renouvelables s'élèvera à 73 milliards d'euros entre 2014 et 2025. Alors que la CSPE s'élève aujourd'hui à 5 milliards d'euros par an, la CRE estime qu'elle se montera à 6 ou 7 milliards d'euros par an. Sur une dizaine d'années, nous obtenons ce chiffre de 73 milliards d'euros.
Ce surcoût ne me semble pas dû uniquement aux énergies renouvelables. De plus, cette augmentation de 5 à 7 milliards d'euros ne représente que 2 milliards d'euros par an.
Ce surcoût est essentiellement dû aux énergies renouvelables. La CSPE 2015 doit s'établir à 4,8 milliards d'euros, dont 3,8 milliards d'euros dus au surcoût des énergies renouvelables. En effet, elle ne comprend pas seulement le surcoût des énergies renouvelables mais également d'autres éléments, comme la péréquation spatiale. Pour la CSPE, si nous passons à 5 ou 6 milliards d'euros par an, nous atteindrons un cumul sur dix ans de 73 milliards d'euros, dont les deux tiers seront dus au surcoût des énergies renouvelables.
L'an dernier, dans le rapport n° 9 nous avions expliqué qu'il n'était possible d'avoir une idée que du coût de la première tranche. Il est bien évident que ce chiffre de 25 milliards d'euros ne vaudra pas pour un siècle ; il devra être réestimé. Nous recommandons de le revoir périodiquement en procédant à une évaluation glissante du coût de Cigéo, en fonction du retour d'expérience, afin d'éviter un effet « falaise » entre deux estimations.
La phase industrielle pilote constitue le début du stockage et non une phase de laboratoire. C'est pourquoi cette phase ne doit pas échouer. L'ANDRA doit investir tous les moyens nécessaires pour les installations, avec toute la robustesse indispensable. Elle doit ainsi démontrer aux populations locales et aux différents observateurs que cette solution fonctionne bien.
Cette phase de démonstration à l'échelle 1 ne pouvait pas avoir lieu en laboratoire. L'ANDRA a été obligée de concevoir un laboratoire qui soit un modèle réduit d'un stockage. Nous avons été confrontés à une contrainte sociologique. Nous devrons encore régler des détails durant la phase industrielle pilote. Néanmoins, cette dernière ne constitue pas une phase de laboratoire mais bien le début du stockage et c'est pour cela qu'il ne faut pas la rater. Vous devez insister auprès de l'ANDRA pour que cette phase soit réalisée dans des conditions de sécurité et de robustesse élevées. La presse ne doit pas avoir à nouveau l'occasion de se faire l'écho de difficultés.
La Génération IV dépend de problèmes politiques majeurs. Si des centrales ne vivent que quarante ans et sont détruites dans peu de temps, il sera nécessaire de les remplacer par des EPR pour faire face aux besoins électriques. Si ces mêmes centrales pouvaient durer très longtemps, la politique de gestion devrait être revue. Il convient néanmoins d'agir pour que le réacteur à neutrons rapides (RNR) devienne opérationnel.
Ma question repose sur les déclarations du président d'EDF. Il avait annoncé un programme assez important de construction d'EPR, sans évoquer la Génération IV, ce qui m'avait stupéfié. Il ne misait donc que sur la technologie de l'EPR. Quel est l'avis de la CNE2 sur ce point ?
Beaucoup de problèmes restent à régler concernant la Génération IV. Il est actuellement impossible de construire un RNR opérationnel. Si nous devions passer au stade industriel avec un grand nombre de RNR, il conviendrait de régler de nouveaux problèmes concernant le traitement du combustible. Pour un prototype comme ASTRID, nous pouvons intelligemment utiliser les installations existantes, en mélangeant le combustible employé dans le RNR ASTRID avec celui sortant d'un réacteur à eau, afin qu'il soit plus facile à retraiter par le procédé PUREX.
Si nous devions passer à un cycle utilisant majoritairement des RNR, nous devrions revoir le cycle du combustible. Nous devrions mener des travaux extrêmement lourds pour lesquels nous ne disposerons pas de la solution industrielle dès demain.
La Génération IV ne sera donc pas disponible à court terme.
Elle peut cependant être accessible à moyen terme car les compétences existent mais la mise en oeuvre dépend des priorités. Actuellement le CEA profite du retard d'ASTRID pour étudier un système de conversion à gaz. Il constituerait une très belle innovation s'il parvenait à fonctionner avec un rendement raisonnable. Existe aussi la volonté de ne pas engager les dépenses importantes liées à la constitution d'un prototype. Mais, pour que la recherche avance, il faut leur en donner les moyens.
Il y a deux ans, nous vous avions présenté des scénarios qui peuvent être plus ou moins étalés. L'introduction de seulement quatre réacteurs à neutrons rapides dans le cycle permettrait de stabiliser le plutonium que nous produisons. Il faudrait néanmoins que ceux-ci soient au point et que les installations soient préparées.
J'ai entendu parler de trente tonnes de plutonium.
Il s'agit en effet de cet ordre de grandeur.
Vous posez la question d'une possible accélération du programme de développement de la Génération IV. Même si nous passions très rapidement le stade du prototype ASTRID, nous devrions disposer de suffisamment de plutonium, c'est-à-dire attendre qu'il se forme dans les réacteurs. Il n'est donc guère possible d'accélérer le calendrier.
Pour faire démarrer ASTRID, un réacteur de 600 mégawatts électriques, cinq tonnes de plutonium sont déjà nécessaires, suivies de recharges de vingt à vingt-cinq tonnes. Pour le premier RNR commercial, il faudrait avoir suffisamment de plutonium (Pu). Il se trouve actuellement dans les combustibles MOX (mixed oxides) usés qu'il faut retraiter. La Hague pourrait s'en charger pour partie, mais pas à un niveau industriel.
Il est dommage de ne pas pouvoir réutiliser les recharges de Superphénix.
Cela ne constituerait jamais qu'une recharge.
La CNE2 et l'ANDRA sont conscientes des problèmes de la radiolyse. On peut espérer que moins nous trouverons de métaux, moins d'hydrogène sera produit. Les industriels sont capables de traiter ces questions. L'ANDRA doit éviter de se retrouver avec un niveau d'hydrogène mélangé à l'oxygène qui atteint des concentrations explosives dans ses configurations de stockage.
Il nous reste à vous remercier pour la qualité de votre rapport et la précision de vos réponses. Nous remercions également nos collègues pour leurs questions. Aujourd'hui, le regroupement fortuit des remises des rapports de l'ASN et de la CNE2 nous a permis d'obtenir des réponses assorties d'une diversité de points de vue.