Monsieur le président, je vous remercie de vos paroles de bienvenue pour mon baptême du feu devant la Haute Assemblée.
Je tiens à remercier également le président de la commission des affaires culturelles, M. Jacques Valade, ancien ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, le rapporteur du projet de loi, M. Jean-Léonce Dupont, le rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Philippe Adnot, ainsi que l'ensemble des membres de la commission des affaires culturelles et des sénateurs, de la majorité comme de l'opposition, d'avoir accepté de travailler selon un calendrier extrêmement resserré, dicté par l'urgence de cette réforme qui est tant attendue.
Je leur sais gré de la qualité des relations que nous avons nouées et des discussions que nous avons eues depuis plusieurs semaines ; je suis sûre qu'elles permettront d'enrichir, de préciser et d'améliorer le projet de loi, conformément aux engagements que vous avez pris, monsieur le président.
« Nous devons favoriser l'avènement d'universités puissantes et autonomes, appelées à jouer un rôle central dans la formation des élites et dans l'effort de recherche. L'autonomie des universités est la clef de voûte de la réforme de notre système d'enseignement supérieur. » Ainsi s'exprimait Nicolas Sarkozy, dans son livre Témoignage.
Le Président de la République s'est aujourd'hui pleinement engagé en plaçant la réforme de l'université à la première page de l'agenda du gouvernement de François Fillon.
Armer nos universités dans la compétition mondiale de l'intelligence, leur permettre de s'adapter aux besoins de la société, de s'ancrer dans leur territoire tout en s'ouvrant au monde, mobiliser chaque membre de la communauté universitaire autour d'un véritable projet d'établissement, offrir à tous nos étudiants une formation de qualité et de véritables perspectives professionnelles, tels sont les objectifs du projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter.
La réforme de l'université est une impérieuse nécessité et nul ne peut nous reprocher de la mener tambour battant, car la bataille pour conserver en France nos emplois, nos centres de décision et nos centres de recherche est déjà lancée. Or, l'université française est un lieu stratégique pour mener cette bataille. À cet égard, voilà quelques semaines, le commissaire européen à l'enseignement supérieur Ján Figel' nous a mis en garde : sans réforme profonde, les universités européennes se trouveront bientôt concurrencées par leurs homologues chinoises et indiennes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, « L'éducation est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité » écrivait Hannah Arendt dans La crise de la culture. Eh bien, le monde d'aujourd'hui interpelle la France : la richesse de demain sera celle de la connaissance, de l'imagination, de la création, et notre pays ne peut plus rester à l'écart de cette ambition.
Certes, je n'ignore pas que la réforme de l'université est difficile et périlleuse ; depuis vingt ans, tous mes prédécesseurs, de droite comme de gauche, l'ont voulue ou l'ont tentée, convaincus qu'ils étaient de son caractère incontournable.
Aujourd'hui, c'est avec humilité, mais aussi fermeté, que je l'affirme et que je m'adresse à chacune et à chacun d'entre vous, quelle que soit la travée sur laquelle vous siégiez : nous n'avons plus le droit d'échouer ; le statu quo comme le renoncement seraient irresponsables, je dirais même coupables.
Disant cela, je pense avant tout à nos étudiants.
Ils sont en effet mal orientés, mal encadrés, trop nombreux à « décrocher » ou à être munis de diplômes qui ne leur ouvrent pas toujours les portes de la vie professionnelle. Ce constat est partagé par tous, et d'abord par les étudiants eux-mêmes et leurs familles.
Si près de un million et demi de nos jeunes sont aujourd'hui inscrits à l'université, deux sur trois ne l'ont pas choisi. Ils auraient préféré être inscrits ailleurs, dans une autre filière, en sections de technicien supérieur, STS, en instituts universitaire de technologie, IUT, ou en classes préparatoires. Pour nombre d'entre eux, l'échec est prévisible dès la première année.
Au total, 90 000 étudiants quittent, chaque année, l'université sans diplôme. Et la majorité des diplômés à bac + 4 recherchent encore un emploi un an après leur sortie de l'université.
Décidément, nous serions irresponsables et coupables de laisser tous ces jeunes dans une telle impasse !
Ce serait faire insulte à l'avenir d'une jeunesse qui nous a dit clairement, l'année dernière, son besoin de sens, de justice et de respect.
Ce serait faire insulte aussi à l'avenir du pays tout entier, qui risque de subir un véritable déclassement dans la bataille mondiale de l'économie du savoir.
La France connaît, en effet, une dégradation sensible de l'attractivité internationale de ses universités et de la visibilité de ses travaux de recherche. Ainsi, selon le dernier et désormais fameux classement de Shanghai, la première université française, l'université Pierre-et-Marie-Curie, occupe seulement la quarante-cinquième place.
Mesdames, messieurs les sénateurs, faut-il alors s'étonner que la France accueille encore trop peu d'étudiants étrangers en provenance des pays qui, demain, seront au coeur de la croissance mondiale ?
Faut-il s'étonner que les salaires et les conditions de travail peu incitatifs des enseignants-chercheurs encouragent, de fait, la fuite des cerveaux ?
Face à une exigence d'attractivité, qui est la condition même de l'excellence, l'université française est handicapée par des pesanteurs trop importantes. Elle est paralysée par sa gouvernance et ses modes de fonctionnement actuels, caractérisés par un manque de pilotage, de transparence et d'ouverture sur la société.
Pour illustrer mon propos, permettez-moi juste de vous donner trois exemples.
Le président d'une université est élu aujourd'hui par cent quarante personnes, parfois au terme de vingt-trois tours de scrutin.
Le conseil d'administration de l'université décide de tout, y compris de l'installation des parcmètres aux abords de ladite université, au détriment de ses missions essentielles que sont le recrutement, les formations et la stratégie de recherche.
Parfois, jusqu'à dix-huit mois sont nécessaires pour recruter un professeur.
Par conséquent, pour réformer l'université, il nous faudra accepter de rompre avec plusieurs comportements.
Il nous faudra, d'abord, rompre avec la complaisance politique qui consiste à faire croire aux étudiants et à leurs familles que l'égalité des chances, c'est le droit, pour tous, de tout faire, aussi longtemps que possible.
Ce n'est pas en laissant s'engouffrer des milliers d'étudiants dans des filières sans issue que nous donnerons à nos jeunes un enseignement de qualité, reconnu, qui leur assurera un avenir digne et une perspective d'emploi.
Il nous faudra rompre aussi avec l'indifférence politique qui nous a trop souvent conduits à jeter un voile pudique sur une situation que chacun savait explosive et à ne pas parler de l'université sous prétexte qu'il ne faut pas parler des sujets qui fâchent.
Si, actuellement, l'État français dépense chaque année 7 000 euros pour un étudiant quand il investit 10 000 euros pour un lycéen et 13 000 euros pour un étudiant de classes préparatoires, c'est aussi parce que nous avons laissé l'université, jugée irréformable, devenir petit à petit le parent pauvre de notre système d'enseignement supérieur.
Or, l'université est aujourd'hui le principal ascenseur social de ce pays, et je n'ai pas l'intention d'en faire descendre les étudiants talentueux à qui l'on n'aurait pas su donner ni le temps de la réussite ni les moyens pour la conquérir.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans le respect du pacte social qui lie notre pays à son université, dans le respect de ses traditions et de ses huit siècles d'histoire, la réforme que propose le Gouvernement fait le pari de la liberté et de la responsabilité, qui sont les valeurs cardinales, les principes fondateurs de notre projet politique.
Assurer la liberté et la responsabilité au coeur d'une gouvernance rénovée, voilà la première condition du redressement de nos universités. À cet égard, le texte que je vous soumets aujourd'hui permet d'y parvenir, par la mise en place d'une organisation rationnelle, fluide et transparente.
Les enseignants-chercheurs vont voir s'alléger le poids des complexités administratives, au bénéfice de leur coeur de métier, à savoir l'enseignement et la recherche, et cela au profit de leurs étudiants.
L'architecture institutionnelle des universités est maintenue, mais elle est rendue plus efficace. La définition de la politique scientifique et de formation sera dévolue à un conseil d'administration à la fois resserré et plus largement ouvert sur la cité.
Pour éclairer ce conseil d'administration dans sa prise de décision, le conseil scientifique se voit conférer une compétence consultative étendue.
Le conseil des études et de la vie universitaire verra ses champs d'expression élargis, avec l'attribution d'une nouvelle mission en matière d'évaluation des enseignements et la présence en son sein d'un vice-président étudiant.
En revanche, les pouvoirs de proposition de ces deux conseils, sources d'incessantes navettes et tractations, sont supprimés.
En outre, la mise en place, dans chaque université, d'un comité technique paritaire, destiné à devenir le lieu privilégié du dialogue social, constitue également une avancée remarquable. Cela aura pour effet de désencombrer singulièrement les ordres du jour des conseils d'administration.
Cette redéfinition et cette clarification des rôles des conseils s'accompagnent d'un renforcement de l'autorité et des compétences du président de l'université, légitimement élu, porteur du projet d'établissement, animateur d'une équipe largement ouverte sur le monde socio-économique et les collectivités locales. Il sera jugé sur ses résultats, dans le cadre d'un mandat de quatre ans renouvelable une fois.
Ce président se verra conférer un pouvoir que seul possède aujourd'hui un directeur d'IUT : celui de refuser, par décision motivée, l'affectation dans son établissement de tout membre du personnel ne correspondant pas au profil du poste.
Fortes d'une gouvernance rénovée, les universités seront enfin en situation d'assumer des compétences nouvelles. La liberté et la responsabilité au coeur d'une autonomie réelle, voilà le dynamisme indispensable que nous voulons pour nos universités.
Dès son entrée en vigueur, le projet de loi permettra aux universités de raccourcir les délais de recrutement de leurs enseignants-chercheurs, pour attirer et retenir les meilleurs d'entre eux. Dans le respect du principe constitutionnel de l'indépendance des professeurs et du statut de la fonction publique, des comités de sélection ad hoc seront créés à cette fin dans les universités, sous le contrôle du conseil scientifique de l'établissement. Cependant, pour éviter la tentation du « localisme », ils comprendront nécessairement une moitié de membres extérieurs à l'université.
Afin de soutenir les étudiants en difficulté et de permettre un meilleur accès aux ressources documentaires de l'établissement, les universités pourront désormais embaucher des étudiants sur des contrats rémunérés, pour remplir des fonctions de tutorat ou de service en bibliothèque. Ces emplois étudiants seront également bénéfiques pour leurs titulaires, qui y trouveront les conditions d'une indépendance financière sur le lieu même de leurs études.
Étape ultime de l'autonomie, d'ici à cinq ans, toutes les universités se verront confier la maîtrise pleine et entière de leur budget, pour le fonctionnement comme pour l'investissement, ainsi que la maîtrise de leur gestion des ressources humaines. Elles pourront ainsi faire appel à des contractuels français ou étrangers pour occuper les emplois de catégorie A qui n'auront pas été pourvus.
De plus, selon des règles générales fixées par le conseil d'administration, le président attribuera les primes de l'ensemble du personnel. Les obligations de service des enseignants-chercheurs pourront être modulées en fonction des besoins de l'université et des étapes de leurs parcours professionnels : devront-ils consacrer plus de temps à la recherche, ou à l'enseignement, ou encore à l'administration de l'établissement ou au suivi pédagogique des étudiants ?
Une telle souplesse dans l'organisation du travail, qui exige bien sûr une évaluation rigoureuse, est une condition indispensable pour assurer la mise en oeuvre d'une véritable stratégie d'établissement.
Enfin, aux universités qui le souhaitent, et à elles seules, l'État transférera la pleine propriété de leurs biens immobiliers, afin qu'elles puissent en faire le meilleur usage.
Toutefois, pour être durable, le déploiement d'une telle stratégie d'établissement exige une démocratie interne vivante.
Le président d'université sera tenu, chaque année, de rendre compte à son conseil d'administration du bilan de son action au regard de ses objectifs. La formation des élus étudiants et l'attribution de moyens permettant à ces derniers d'exercer leur mandat seront désormais assurées par la loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a voulu des universités modernes, ancrées dans leur époque, capables d'intensifier leurs relations avec des partenaires publics et privés, libres de créer plus facilement des fondations qui pourront soutenir leurs projets de formation et de recherche, amplifier leurs actions en faveur de la mobilité internationale, du bien-être et de l'ouverture culturelle des étudiants.
À l'évidence, cette liberté et cette responsabilité ainsi conquises ne seront pas effectives sans un État partenaire, fermement engagé auprès de son système universitaire.
D'abord, l'État doit être le garant des missions que la nation confie à ses universités.
Le caractère national des diplômes habilités par l'État, la fixation par ce dernier des montants des droits d'inscription, le rôle dévolu aux recteurs en matière de contrôle de légalité constituent l'armature d'un service public national de l'enseignement supérieur fidèle à ses valeurs originelles.
Ensuite, l'État doit accompagner les universités dans la véritable révolution culturelle qu'elles s'apprêtent à engager.
Des audits d'organisation seront réalisés dans les établissements qui souhaitent avoir la maîtrise globale de leur budget et de leurs ressources humaines ; des formations seront offertes à leur personnel ; un état du patrimoine immobilier leur sera fourni.
Chaque année, un comité de suivi évaluera la mise en oeuvre de la réforme et accompagnera les universités pour que, dans un délai de cinq ans, elles aient toutes atteint ? c'est notre ambition ?, dans les meilleures conditions, les objectifs fixés par la loi.
Dans ce cadre, le renforcement de l'évaluation, au travers du contrat quadriennal d'objectifs et de moyens scellé entre l'État et l'université, sera le principe structurant de la mise en oeuvre de la réforme.
Enfin, l'État doit consentir un effort budgétaire sans précédent, car c'est aussi cela qui symbolise son engagement auprès des universités.
Le Premier ministre, François Fillon, a rappelé dans son discours de politique générale que l'enseignement supérieur était la priorité budgétaire de la mandature, avec cinq milliards d'euros prévus dans les cinq années à venir. Cette promesse est à la hauteur des choix stratégiques d'un pays développé qui veut investir dans l'économie du savoir.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi est un socle sur lequel nous voulons construire la nouvelle université française. Sur le fondement de l'autonomie, le Gouvernement travaille d'ores et déjà à rebâtir notre service public d'enseignement supérieur et de recherche autour de cinq premiers piliers : les conditions de la vie étudiante ; les carrières des personnels ; la gestion de l'immobilier et des équipements ; la situation des jeunes chercheurs ; la réussite en licence.
Cette année encore, les résultats du baccalauréat sont bons, et c'est une bonne nouvelle, car l'objectif qui nous a été fixé au sommet européen de Lisbonne d'amener 50 % d'une classe d'âge au niveau de la licence est loin d'être atteint. C'est pourtant une nécessité pour tous les pays développés. Nous avons besoin d'étudiants plus nombreux et mieux formés.