Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Commission des affaires sociales — Réunion du 13 juillet 2016 à 10h00
Travail modernisation du dialogue social et sécurisation des parcours professionnels — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Baptiste LemoyneJean-Baptiste Lemoyne, rapporteur :

Deux semaines après avoir adopté ce projet de loi en séance publique et après l'échec de la commission mixte paritaire, nous voici face à un texte largement remanié par l'Assemblée nationale, et dont la rédaction est très proche de celle retenue en première lecture. Avec 182 amendements intégrés au texte de la commission et 111 autres considérés comme adoptés après engagement de la responsabilité du Gouvernement en nouvelle lecture, les députés ont modifié l'intitulé du texte et surtout supprimé quasiment tous les apports du Sénat. Si nous ne nous faisions guère d'illusions sur le sort réservé à certaines de nos modifications les plus emblématiques, nous regrettons que certains apports techniques ou de bon sens aient été écartés d'un revers de main.

Notre commission avait retenu 201 amendements pour répondre aux cinq enjeux essentiels que constituent la simplification et la sécurisation du cadre juridique applicable aux entreprises, le renforcement de leur compétitivité, la prise en compte des spécificités des TPE et PME, le développement de l'apprentissage et la défense des missions de la médecine du travail. Notre texte avait été enrichi en séance publique de 157 amendements, à l'issue de plus de 80 heures de discussion, au cours desquelles la ministre du travail a tenté de faire oeuvre de pédagogie car ce projet de loi, parfois dense et technique, est au fond peu connu et souvent caricaturé.

À l'article 1er, nous avions fixé une feuille de route précise et ambitieuse à la commission de refondation du code du travail, en remettant l'accent sur l'objectif initial de simplification, mais l'Assemblée nationale a rétabli sa rédaction en l'assortissant de deux modifications : la commission devra s'appuyer sur les travaux du Haut Conseil du dialogue social, et la consultation des partenaires sociaux ultramarins est prévue, selon une formulation assez peu compréhensible.

Si les députés ont approuvé l'article 1er bis A, introduit au Sénat, qui autorise le règlement intérieur à appliquer le principe de neutralité dans l'entreprise, ils ont écarté la possibilité pour un accord d'entreprise de modifier ce règlement, qui relève en effet du seul pouvoir de direction de l'employeur. Nous verrons les conséquences des conclusions que vient de rendre, sur une affaire française concernant le licenciement d'une salariée ayant refusé de retirer son foulard islamique, l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui semble estimer qu'il s'agit d'une discrimination directe fondée sur la religion. Les députés ont aussi rétabli la rédaction initiale de l'article 1er bis, en supprimant la distinction que nous avions opérée entre le régime probatoire du harcèlement sexuel, aligné sur celui prévu pour les discriminations, et le régime applicable au harcèlement moral, qui demeurait inchangé afin d'éviter la multiplication des contentieux. C'est mettre le doigt dans un engrenage dangereux, comme la ministre elle-même l'a reconnu en séance.

À l'article 2, suivant la logique du projet de loi et dans la lignée de la loi du 20 août 2008 et du rapport Combrexelle, nous avions placé la négociation collective en entreprise au coeur de la définition des règles en matière de durée du travail, de repos et de congé. Dans sa rédaction initiale, cet article n'apportait que peu de modifications au droit existant. En fait, c'était une réécriture selon un schéma ternaire : principes auxquels on ne peut déroger, champ de la négociation collective et règles supplétives. Nous avons tenté de lui donner plus d'ampleur. La durée légale aurait été supprimée et remplacée par une durée de référence fixée conventionnellement. En l'absence d'accord, un décret aurait eu à fixer la durée applicable, après concertation avec les partenaires sociaux, dans la limite de 39 heures. Il est dommage que cette rédaction n'ait pas été retenue. De même, le Sénat avait proposé de substituer à la durée minimale de travail à temps partiel uniforme de 24 heures hebdomadaires fixée dans la loi une durée conventionnelle déterminée par accord dans les entreprises ou, à défaut, dans les branches.

Pas moins de 44 amendements avaient été adoptés à cet article au Sénat, afin de lui rendre l'ambition qui était la sienne avant les reculs successifs qui ont émaillé le parcours de ce texte. Il aura fallu aux députés et au Gouvernement près de 60 amendements pour rétablir, sans surprise, leur version du texte et ne retenir que des dispositions secondaires introduites par le Sénat, comme l'inscription dans la loi du délai de prévenance supplétif de 15 jours pour les astreintes ou encore l'articulation des accords d'entreprise avec les accords de branche antérieurs à 2004. L'Assemblée nationale a introduit des dispositions nouvelles, comme la reconnaissance du caractère férié de la journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage dans les départements d'outre-mer, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.

À l'article 3, relatif aux congés spécifiques, l'Assemblée nationale a en outre repris l'ensemble des modifications adoptées par le Sénat, en particulier sur les congés pour événements familiaux. En séance publique, nous avions relevé la durée minimale de ce congé en cas de décès d'un proche de deux à trois jours et l'avions étendu à la disparition du concubin. Les députés ont également conservé la création d'un congé spécifique, qui ne pourra pas être inférieur à deux jours sauf accord d'entreprise, en raison de l'annonce de la survenue d'un handicap chez un enfant. Ces dispositions résultaient d'amendements de nos collègues Philippe Mouiller et Dominique Gillot.

Les députés n'ont pas suivi le Sénat dans la voie de l'assouplissement des règles relatives au compte épargne-temps, à l'article 4, et notamment sur la possibilité d'augmenter le nombre de jours de congés payés que le salarié peut utiliser pour obtenir un complément de rémunération. Ils ont également supprimé les deux articles 7 A et 7 B, que nous avions adoptés afin de relever les seuils sociaux, et refusé la généralisation de la délégation unique du personnel prévue à l'article 7 C, qui rapprochait pourtant la vie des entreprises du modèle allemand. Ils sont aussi revenus sur la suppression par le Sénat, en séance publique, avec l'article 7 AA, des commissions paritaires régionales interprofessionnelles instituées par la loi du 17 août 2015.

Les principales modifications que nous avions apportées aux nouvelles règles de négociation collective, aux articles 7 et 9, n'ont pas été retenues. Toutefois, le Gouvernement a modifié les modalités d'opposition à la publication d'un accord sur le futur portail internet dédié, ce qui offre un bon équilibre entre la protection des droits des signataires et l'exigence de transparence des accords.

À l'article 10, soucieux de ne pas bloquer le dialogue social, nous avions maintenu les règles actuelles de validité des accords collectifs, tout en introduisant la possibilité d'organiser une consultation des salariés, à l'initiative de l'employeur ou des syndicats signataires d'un accord frappé d'opposition, pour entériner cet accord. Sans surprise, les députés ont rétabli l'essentiel de leur texte, en prévoyant qu'à compter du 1er septembre 2019 tous les accords devront être signés par des syndicats représentant plus de la moitié des suffrages exprimés en faveur d'organisations ayant dépassé le seuil de 10 % lors des dernières élections professionnelles.

À l'article 11, relatif aux accords de préservation et de développement de l'emploi, dits « accords de compétitivité », seules la disposition relative à la clause de retour à meilleure fortune et celle précisant la procédure à suivre par l'employeur en cas de licenciement ont été accueillies favorablement par les députés. Le Gouvernement s'est toutefois largement inspiré de nos travaux pour clarifier le régime juridique applicable au parcours d'accompagnement personnalisé dont bénéficieront les salariés qui refuseront l'application de ces accords.

L'article 13, portant sur les missions des branches professionnelles, a acquis au fil de l'examen parlementaire une forte notoriété car il est apparu comme le contrepoids aux dispositions de l'article 2. L'Assemblée nationale a conservé l'essentiel de nos apports, qui renforçaient le rôle des commissions paritaires de branche, et je m'en réjouis. Mais cet article a été complètement modifié en nouvelle lecture par plusieurs amendements, qui sont en réalité d'une portée limitée par rapport aux dispositions actuelles du code du travail.

Tout d'abord, les accords d'entreprise ne pourront pas déroger aux accords de branche en matière de prévention de la pénibilité et d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ces deux domaines viennent s'ajouter aux quatre thèmes figurant déjà dans le code du travail depuis la loi du 4 mai 2004 - classifications, salaires minima, financement de la formation professionnelle et prévoyance. Ensuite, l'articulation entre accords de branche et accords d'entreprise est clarifiée : il est dit explicitement que les partenaires sociaux pourront décider sur quels sujets les accords d'entreprise ne pourront pas être moins favorables aux salariés que les accords de branche. En outre, les partenaires sociaux devront engager dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi une négociation portant sur l'ordre public conventionnel. Faute de négociation, le ministre du travail pourra même engager une procédure de fusion de la branche concernée avec une autre branche. Par ailleurs, les organisations patronales affiliées ou adhérentes à des organisations représentatives au niveau d'une branche auront la capacité de négocier des accords dans leur périmètre puis de demander leur extension. Enfin, les conventions et les accords d'entreprise portant sur la durée du travail devront être systématiquement transmis pour information aux commissions paritaires de branche.

L'Assemblée nationale a rétabli à l'article 15 l'indemnisation obligatoire d'une organisation syndicale lorsqu'une collectivité souhaite lui retirer la mise à disposition d'un local dont elle a bénéficié pendant plus de cinq ans. Elle a également rétabli l'augmentation généralisée de 20 % du nombre d'heures de délégation des délégués syndicaux, alors que le Sénat souhaitait une augmentation ciblée sur les délégués appelés à négocier, dans des conditions définies par accord d'entreprise.

L'Assemblée nationale a repoussé le choix du Sénat d'introduire à l'article 17 une forme de concurrence dans la désignation des experts mandatés par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et de faire participer le comité d'entreprise (CE) au financement de ces expertises. De même, elle a supprimé les dispositions qui permettaient, sous réserve d'accord unanime, d'affecter l'excédent du budget de fonctionnement du CE au financement d'activités sociales et culturelles. En revanche, les dispositions de l'article 18 ter, issues d'un amendement de Pascale Gruny et visant à clarifier les modalités de répartition de la subvention utilisée pour financer les activités sociales et culturelles dans les entreprises comportant plusieurs établissements ont été conservées.

À l'article 19, les règles relatives à la mesure de l'audience patronale pour désigner les conseillers prud'hommes ont été à nouveau modifiées à l'initiative du Gouvernement. Cette mesure, qui ne sera finalement pas réalisée à titre transitoire au niveau national en 2017, reposera pour moitié sur le nombre d'entreprises employant au moins un salarié et adhérentes à une organisation patronale, pour moitié sur le nombre de salariés qui y sont employés, et non plus sur le ratio 30 % / 70 %. Espérons que les règles de la représentativité patronale, après ce nouvel aménagement, soient enfin stabilisées.

Les députés ont par ailleurs supprimé plusieurs articles additionnels introduits à notre initiative. Je pense à l'article 10 A, qui autorisait les employeurs, dans les entreprises employant moins de 50 salariés dépourvues de délégué syndical, à conclure des accords directement avec les représentants élus du personnel ou, en leur absence, avec les salariés. Ou encore à l'article 20 bis, qui abaissait le taux du forfait social applicable à la participation et à l'intéressement.

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