C'est une question très importante, mais la seule idée que je peux porter en la matière consiste à insister sur la nécessité de faire évoluer nos systèmes d'éducation et d'enseignement, pour permettre à la population d'appréhender les enjeux actuels. Aux États-Unis, les CV et les parcours scolaires ne sont pas du tout adaptés au monde moderne. Aussi curieux que cela puisse paraître, le Texas est toujours agité par le débat sur l'enseignement de l'évolution et de la création dans les écoles. Ici, vous êtes un peu plus avancés, du moins je l'espère. Tout ce qui peut permettre d'ouvrir la discussion et d'inviter au débat doit être encouragé.
Par ailleurs, j'ai passé une partie de ma carrière à militer pour l'ouverture de la Réserve fédérale américaine, la Fed. J'étais membre de l'équipe de la Commission bancaire de la Chambre des représentants aux États-Unis entre 1974 et 1980, au moment où ont commencé les auditions publiques ouvertes entre le Congrès et le Président de la Fed. Ce système perdure depuis maintenant quarante ans. Comme quoi des actions lancées à l'âge de vingt-trois ans peuvent parfois avoir des conséquences à la fois durables et remarquables. Je n'y aurais pas pensé à l'époque. Grâce à cette ouverture vers le Congrès et le grand public, la qualité des dirigeants de notre Banque centrale s'est grandement améliorée depuis lors.
En Europe, vous avez malheureusement construit une banque centrale complètement fermée sur elle-même, aux mains, si je puis m'exprimer ainsi, de quelques « mollahs », autour du « califat » de M. Draghi. C'est une invitation à être gouvernés par des personnes médiocres. Je ne dis pas que ce soit le cas de M. Draghi, mais force est de constater que les objectifs et motivations de toutes ces personnes ne sont pas clairs. En 2011, un certain président de la Banque centrale européenne pour faire plier le gouvernement d'Irlande, l'avait menacé en ces termes : « Une bombe explosera à Dublin. » Voilà qui aurait été inconcevable si la Banque centrale avait une responsabilité envers le Parlement européen et le grand public. Je crois que l'avantage d'une démocratie répandue, technique comme vous dites, c'est qu'elle oblige les dirigeants à être plus « responsables » ; ce n'est pas mauvais en soi.
Je connais bien James Tobin pour avoir été son étudiant. Je ne pense pas que la taxe Tobin, qui a pris depuis des décennies une importance symbolique, soit une solution. Contrairement à ce que certains pensent, elle ne pourrait résoudre que quelques-uns des nombreux problèmes actuels. Une régulation efficace du système financier ne passera pas par l'instauration de mécanismes automatiques. Il faut des personnes qui savent ce qu'elles font, indépendantes, autonomes et qui puissent intervenir auprès des banques pour empêcher les conspirations frauduleuses. Il est dans la nature humaine de chercher le profit. De plus, les banquiers ne sont pas des anges. Des policiers sont nécessaires dans ce secteur, comme dans les autres.