Intervention de Philippe Mauguin

Commission des affaires économiques — Réunion du 13 juillet 2016 à 11h15
Audition de M. Philippe Mauguin candidat proposé aux fonctions de président de l'institut national de la recherche agronomique

Philippe Mauguin, candidat proposé par le président de la République aux fonctions de président de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) :

Je suis très honoré d'être devant vous après que le président de la République, en accord avec les ministres chargés de la recherche et de l'agriculture, m'a proposé comme candidat pour ce poste, et après mon audition auprès du comité d'experts.

Je suis ingénieur agronome et c'est en tant que tel que je me présente devant vous. Une campagne de communication, voire de dénigrement, se déroule depuis plusieurs mois, sans que je puisse répondre. C'est pourquoi je suis impressionné et heureux d'être devant vous pour m'exprimer publiquement. Je ne suis pas docteur, mais ingénieur agronome, investi depuis trente ans dans les secteurs agricole, alimentaire et environnemental, ayant travaillé au ministère de la recherche, donc pouvant prétendre être candidat à une telle fonction.

L'Inra, organisme de recherche unique au monde, a été créé par des ingénieurs agronomes en 1946. Depuis, il concilie sciences cognitives et applications sur le terrain avec les attentes des entreprises et des agriculteurs, dans tous les secteurs. C'est pourquoi il y a eu d'excellents présidents de l'Inra tantôt ingénieurs, tantôt docteurs. Loin de moi l'idée de critiquer la valeur et la qualité du doctorat.

L'Inra obtient ses résultats grâce à la qualité et à la diversité de sa communauté de travail. Vous citiez le chiffre de 8 000 agents titulaires, mais en réalité plus de 11 000 si l'on compte les doctorants, les chercheurs étrangers et les contractuels. La diversité des profils -chercheurs, mais aussi ingénieurs et techniciens - est à l'origine de l'efficacité de la recherche, de l'amont jusqu'à l'application en aval. C'est pour cela que, depuis très longtemps, depuis que j'ai travaillé avec l'Inra - lorsque je conseillais Hubert Curien, avec le président Jacques Poly, puis avec Pierre Douzou, Guy Paillotin, Paul Vialle, Marion Guillou et François Houllier - j'ai souhaité m'y investir, du fait de l'engagement, de la qualité des travaux scientifiques et des attentes de l'institution. J'ai connu différentes expériences de management, en lien avec la recherche. J'avais très envie de travailler à ce poste, non par parachutage ni par confort : il est très difficile de piloter un tel établissement, mais j'en avais sincèrement très envie.

L'Inra est au coeur de trois grands défis planétaires - climatique, alimentaire, énergétique - qui convergent vers le secteur agricole et interrogent la recherche agronomique. En 2050, la Terre comptera 9 milliards d'habitants, ce qui augmente les besoins alimentaires. La transition énergétique, la fin progressive du carbone fossile exigeront plus de carbone renouvelable - biomasse agricole et forestière. Dans le même temps, le changement climatique réduit les rendements agronomiques : durant ces vingt dernières années, les rendements du blé et du maïs ont diminué de 4 % à 5,5 %. Paradoxalement, 1,5 milliard d'habitants dans le monde souffrent d'obésité ou de surpoids, y compris dans les pays émergents, et 2 milliards de personnes souffrent de la faim ou de malnutrition. Or nos agriculteurs sont soumis à des chocs de plus en plus importants et répétés, au fur et à mesure de la volatilité des cours et des crises. L'Inra s'intéresse à ces immenses défis, et j'ai envie de contribuer aux réponses qu'il apportera.

Depuis 50 ans, le progrès technique a été impressionnant, avec l'intensification - la mécanisation et le recours aux intrants - et la simplification des modèles agricoles, avec le resserrement de la sélection variétale sur les grandes cultures, ce qui a augmenté les rendements. Tant mieux ! Mais depuis quelques années, on atteint les limites de ce modèle, avec une stagnation des rendements, la résistance de parasites, les pollutions ou les problèmes nutritionnels : en Afrique, certaines carences sont dues au resserrement des variétés utilisées. Les agriculteurs, malgré de nombreux efforts, coincés entre les agro-fournisseurs - de services et de produits - et l'aval, ont perdu de la valeur ajoutée.

Inventons ensemble un nouveau modèle - et non une révolution totale - pour aller vers une diversité des cultures. Les agriculteurs le savent : les assolements et les rotations, ainsi que la redécouverte de l'agronomie, sont un facteur de résilience aux accidents climatiques et sanitaires, et ont un meilleur impact environnemental. La démarche agro-écologique n'est pas un concept de propagande, mais une réalité scientifique, étudiée par l'Inra depuis 2010, avant d'être incluse dans la loi d'avenir agricole. Comment utiliser de façon intensive les concepts naturels ? Ainsi, grâce au bio-mimétisme et au bio-contrôle, on peut protéger les plantes en utilisant moins de produits phytosanitaires. Pour pouvoir répondre à ces défis dans les vingt à trente prochaines années et trouver de nouveaux systèmes agricoles, il faudra être très bon en recherche, en innovation et en formation.

Une innovation incrémentale - changement de semence, de tracteur ou de produit - est plus facile à réaliser qu'un changement complet de système agricole, qui conduirait à retrouver de l'autonomie fourragère et changer les assolements : ces changements longs, faciles à expliquer, mais difficiles à mettre en oeuvre par l'agriculteur, passeront par l'appui technique, l'innovation et la formation.

L'Inra doit renforcer son travail avec l'enseignement supérieur en France et dans le monde entier. L'Institut agronomique et vétérinaire de France peut contribuer à diffuser rapidement ces innovations vers les lycées agricoles, la formation technique et donc les nouvelles générations d'agriculteurs.

En tant que nouveau et humble candidat, je dois m'inscrire dans un grand établissement. Je me suis appuyé sur le rapport du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES), très intéressant, pour construire mon projet. Il faut conforter les points forts de l'Inra : l'excellence scientifique et les qualités des ressources humaines. Il montre aussi les points de vigilance et d'amélioration - je le dis dans le respect du travail des équipes de l'Inra et de son président actuel, François Houllier, comme l'innovation et les partenariats, notamment avec les instituts techniques et les réseaux d'agriculteurs innovants.

Deuxième enjeu, les stratégies internationales sont insuffisamment clarifiées. Les chercheurs de l'Inra sont très présents à l'international : près d'une publication de l'Inra sur deux est co-publiée avec un chercheur étranger. Mais certains choix stratégiques de recherche - collaboration avec les États-Unis, la Suède, les Pays-Bas, la Russie et la Chine - pourraient être clarifiés. Vous le savez, le paysage de l'enseignement supérieur bouge beaucoup avec la loi Recherche et les communautés d'universités et établissements (Comue). L'Inra est très sollicité et doit être pleinement acteur et partenaire des universités, comme cela se fait à Saclay ou dans le cadre du contrat entre le centre Inra de Bourgogne et l'université régionale, sans pour autant diluer ses actions. Il doit tirer parti de ses points forts pour accueillir plus de doctorants et être plus visible à l'international.

Lorsqu'on est candidat, il faut être motivé, avoir une vision et être très humble envers la communauté scientifique et les partenaires avec lesquels a été construite la stratégie de recherche. Quelques thèmes mériteraient d'être regardés avec les équipes de l'Inra, si vous m'accordez votre confiance : d'abord, l'agro-écologie. Selon le HCERES, de nombreux travaux de l'INRA ne sont pas suffisamment renforcés ni déployés, ce qui pose la question des partenariats - agronomie, écologie, sciences de l'information, capteurs, numérique... Il faut des approches globales interdisciplinaires. Deuxième axe, les filières d'élevage sont attaquées au niveau international, sur leur contribution aux émissions de gaz à effet de serre, les effets de la consommation de viande sur la santé, le bien-être animal. Y compris au sein de la communauté des chercheurs, le résultat n'est pas simple. Comment se projeter ? L'Inra peut proposer un projet d'avenir, avec des progrès dans la génomique animale - sélection et non transgénèse -, l'alimentation des bovins et la nutrition - pour limiter les acides gras polyinsaturés. Ainsi, utiliser le lin ou d'autres graines a un impact positif sur les maladies cardiovasculaires et l'environnement. L'Inra devrait travailler sur ces liens entre agriculture, alimentation et environnement. Intégrons davantage les enjeux environnementaux et nutritionnels dès la conception des systèmes de culture.

Je suis conscient du contexte particulier de la polémique que vous avez évoquée. J'y répondrai de façon sincère et transparente. J'ai été troublé. La meilleure façon de répondre, c'est d'être dans une démarche pleine d'enthousiasme, d'écoute, d'humilité et de dialogue avec les experts scientifiques du comité de direction, les responsables territoriaux et ceux du personnel, et de partager ma vision avec tous les acteurs, afin de faire de l'Inra, dans les dix prochaines années, un acteur encore plus efficace de la recherche, de l'enseignement et de l'innovation au service de défis majeurs pour l'humanité.

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