Le texte étant identique à celui de la première lecture, je ne vais pas ménager un trop grand suspense pour vous dire que le groupe écologiste, pour sa part, renouvellera son vote positif.
Nous aussi, nous avons avec le Gouvernement de sérieuses divergences d’appréciation sur la politique budgétaire et fiscale qui est menée – je l’ai rappelé en première lecture. Pour autant, il ne nous paraît pas justifié de prétendre que les comptes publics sont insincères, qui plus est lorsqu’ils sont certifiés par la Cour des comptes. Plusieurs orateurs de la majorité sénatoriale ont rétorqué que celle-ci avait formulé de nombreuses critiques. Je rappelle que les comptes de l’État sont certifiés par la Cour depuis dix ans. Je vous renvoie aux rapports des années passées : dans certains cas, les critiques des magistrats financiers étaient bien plus vives qu’elles ne le sont présentement.
Je crois que nous devrions plutôt, mes chers collègues, garder notre capacité de dénonciation pour le jour où des comptes réellement inexacts nous seront présentés. Comme le berger mauvais plaisant de la fable d’Ésope, à trop crier au loup sans raison, nous risquons de ne pas être entendus le jour où nous dénoncerons un vrai danger.
En attendant, à part le plaisir – que je ne néglige pas – de nous retrouver ici une fois de plus, ce rejet systématique ne nous apporte pas grand-chose. Je vois en revanche une difficulté que nous pourrions peut-être davantage étudier : je veux parler de la minoration progressive du rôle du Parlement dans la procédure budgétaire.
Il y a d’abord, à l’automne, lors de l’examen concomitant du projet de loi de finances et du projet de loi de finances rectificative de fin d’année, ces délais intenables qui sont appliqués au Sénat, entre la transmission des textes par l’Assemblée nationale et la séance publique. Ces délais étriqués sont d’autant plus problématiques que les textes sont désormais systématiquement gonflés par nombre d’amendements roboratifs, certains déposés par le Gouvernement lui-même, d’autres déposés par nos collègues de la majorité présidentielle ou d’autres. Au final, les textes sont particulièrement complexes à étudier.
Le projet de loi de finances rectificative, dont l’examen est nécessairement plus court, de véhicule budgétaire se transforme en voiture-balai du projet de loi de finances, en contradiction totale avec l’esprit de la loi organique relative aux lois de finances. Les exemples sont légion chaque année – encore l’année dernière avec la réforme de la contribution au service public de l’électricité –, mais s’il fallait n’en retenir qu’un seul, je choisirais celui du CICE, avec ce double amendement au projet de loi de finances rectificative qui valait 20 milliards d’euros !
Outre qu’elle dépouille de fait le Parlement de sa faculté d’examen, cette pratique dispense le Gouvernement d’étude d’impact et d’avis du Conseil d’État.
À cela s’ajoutent une réserve de précaution dont rien ne semble pouvoir stopper l’accroissement et un recours de plus en plus important, en cours d’année, aux décrets d’avance et d’annulation, en lieu et place des projets de loi de finances rectificative.
Cette pratique n’est pas sans effet. On a ainsi vu, par deux fois cette année, le Président de la République procéder à des annonces budgétaires en s’affranchissant totalement de la procédure parlementaire : la première fois au lendemain de l’adoption du projet de loi de finances, entraînant un décret d’avance massive, et la seconde fois à quelques jours du débat d’orientation des finances publiques, conduisant le Gouvernement à transmettre son rapport hors délai.
Il en va des espaces ouverts par la LOLF comme du 49.3 : ce n’est pas parce qu’une pratique est jugée constitutionnelle que son abus est politiquement légitime. De plus en plus, l’exécutif détourne les procédures d’exception ménagées dans le droit pour les appliquer à tout venant.
Madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, je me demande si notre commission ne devrait pas prendre l’initiative d’une proposition de loi organique visant à mieux encadrer, dans la procédure budgétaire, les possibilités de contournement du Parlement, désormais devenu systématique. Nous aurons, je n’en doute pas, l’occasion d’en reparler.