L’ordonnance que ce projet de loi nous invite à ratifier traite une situation bien particulière, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État. Pour éviter tout malentendu, disons-le d’emblée : il n’est pas question ici de légiférer sur le principe même de la fin des tarifs réglementés de vente pour les consommateurs non résidentiels. Il ne faut pas non plus confondre ces tarifs réglementés avec les tarifs sociaux dont bénéficient et continueront à bénéficier les consommateurs en situation de précarité énergétique jusqu’à ce que le nouveau chèque énergie, créé par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte et actuellement en phase d’expérimentation, les remplace.
Le dispositif qui nous est soumis aujourd’hui vise en fait uniquement, comme son nom l’indique, à garantir la continuité de fourniture aux clients qui, bien qu’étant devenus inéligibles aux tarifs réglementés au 1er janvier 2016, n’ont pas souscrit d’offre de marché dans les temps et risquaient, du fait de leur inaction, une coupure d’alimentation.
Ainsi, sur les 576 000 sites concernés par l’échéance du 31 décembre 2015 – je rappelle qu’elle visait les clients consommant annuellement plus de 30 mégawattheures de gaz ou ceux dont la puissance électrique souscrite dépassait les 36 kilovoltampères –, un peu moins de 120 000 n’étaient pas encore passés en offre de marché au 1er janvier dernier. Pour éviter des coupures, la loi relative à la consommation du 17 mars 2014 avait déjà prévu une bascule automatique des clients imprévoyants sur une offre par défaut servie par leur fournisseur historique, dite « offre transitoire », en moyenne 5 % plus chère, mais valable pour une durée maximale de six mois, soit jusqu’au 30 juin 2016. Or, à cette date et malgré plusieurs courriers reçus, 30 000 sites – environ 8 000 en gaz et 22 000 en électricité – n’avaient toujours pas basculé.
C’est précisément pour ces derniers retardataires que l’ordonnance a prévu, à compter du 1er juillet, un dispositif original consistant à les alimenter, à un tarif majoré d’au plus 30 %, par des fournisseurs sélectionnés par la CRE après mise en concurrence. Le niveau de majoration retenu, supérieur à celui de l’offre transitoire, se veut suffisamment incitatif pour pousser les clients les plus inertes à souscrire une offre de marché, qu’elle soit proposée par leur fournisseur historique – EDF, ENGIE ou les entreprises locales de distribution, les ELD – ou par un fournisseur alternatif.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce dispositif semble fonctionner, puisque la CRE m’a transmis hier les derniers chiffres : au 11 juillet, seuls 15 500 sites, au lieu des 30 000 précédemment, n’ont pas encore basculé. Augmenter les tarifs a donc été efficace.
Au mois de mars dernier, la CRE a rédigé le cahier des charges, puis lancé l’appel d’offres pour désigner les fournisseurs attributaires. Pour favoriser l’ouverture du marché, les clients ont été répartis en différents lots, chaque fournisseur ne pouvant remporter au plus que 15 % des lots présentés, le prix facturé étant fixé dans le cahier des charges pour inclure la majoration.
Même s’il est difficile d’en estimer le niveau exact, le montant total de ces restitutions viendra alimenter le budget général et n’excédera vraisemblablement pas, compte tenu de l’efficacité du mécanisme, une quinzaine de millions d’euros, monsieur le secrétaire d’État. Si 30 000 sites avaient encore été concernés, vous auriez pu espérer 40 millions d’euros supplémentaires pour votre budget…
Dans ce nouveau dispositif, la protection des consommateurs est triplement assurée. D’abord, une communication préalable des conditions contractuelles applicables, puis de leurs modifications éventuelles à l’issue de la première année du contrat, est prévue. Ensuite, un droit d’opposition avant la prise d’effet du contrat ou en cas d’évolutions contractuelles après un an pourra être exercé. Enfin, au cours du contrat, un régime de résiliation dérogatoire au droit commun et très favorable au consommateur est mis en place, ce dernier pouvant résilier le contrat à tout moment, gratuitement et moyennant un préavis de seulement quinze jours.
Au début du mois de mai, la CRE a désigné les fournisseurs lauréats. En électricité, l’essentiel des lots attribués sur le territoire desservi par ENEDIS – ex-ERDF – a été réparti entre des acteurs déjà bien implantés et des nouveaux entrants sur le marché, pour un montant moyen reversé de 19, 50 euros par mégawattheure. En gaz, les vingt lots desservis par GRDF ont été attribués à des fournisseurs nationaux ou à des ELD, pour un montant de reversement moyen d’un peu plus de 8 euros par mégawattheure. Électricité et gaz confondus, cinquante-huit lots, représentant à l’origine plusieurs milliers de clients, ont cependant été déclarés infructueux faute d’offre déposée, dont cinquante-quatre lots sur le territoire des ELD. Toutefois, le nombre de clients concernés se résorbera « naturellement » et rapidement – nous en constatons déjà les premiers effets –, les ELD parvenant à convertir de nombreux clients en offre de marché.
Qui sont ces clients « dormants » ?
Le profil des clients concernés est très varié : il peut s’agir d’artisans, de commerçants, de PME ayant peu ou pas de temps à consacrer à une démarche de changement de fournisseur, même quand l’énergie constitue un poste de dépenses important, mais aussi, dans une proportion que l’on peut estimer entre 20 % et 30 %, des acheteurs publics, imprévoyants pour certains – j’ai rappelé les plus connus en commission –, ou dont tous les sites n’avaient pas été recensés correctement pour d’autres, notamment un certain nombre de gendarmeries sur notre territoire. Toutefois, qu’il s’agisse d’acteurs privés ou publics, chacun mesure les conséquences qu’une rupture d’approvisionnement aurait pu entraîner sur la vie économique ou sur la continuité du service public.
Au total, vous l’aurez compris, mes chers collègues, la commission des affaires économiques approuve le principe comme les modalités de mise en œuvre d’un dispositif, certes relativement complexe, mais qui a le mérite d’apporter une réponse pragmatique à une difficulté réelle. Faut-il une ordonnance ? Compte tenu du délai, je réponds par l’affirmative. Faut-il la ratifier ? Ma réponse est la même, car cette ratification présente l’intérêt de sécuriser juridiquement l’ordonnance : en lui conférant une valeur législative, elle rend ses dispositions non contestables devant le juge administratif.
Le Gouvernement ayant cependant tardé à inscrire le texte, la promulgation de la loi n’interviendra, au mieux, du fait de la navette parlementaire, que dans le courant du mois de septembre prochain, alors que les nouveaux contrats ont pris effet dès le 1er juillet.
Sur le fond cependant, le risque de voir d’éventuels recours prospérer me semble mesuré, car, même si l’on touche au droit des contrats, toutes les conditions sont réunies pour garantir la protection du consommateur.
J’ajoute que, si l’Autorité de la concurrence a émis, au mois de décembre dernier, des réserves sur le principe d’une « répartition administrative des clients inertes », ses quatre recommandations générales ont été très largement suivies par l’ordonnance : la possibilité de basculer à tout moment en offre de marché sans délai et sans pénalité, la pénalisation financière de l’inertie, l’accès des fournisseurs alternatifs aux données des fournisseurs historiques pour pouvoir démarcher les clients inertes, l’information des clients sur « les échéances contractuelles, les conséquences tarifaires de l’inertie et les risques de coupure sélective ».
Sur ce dernier point, l’information donnée à titre individuel aux clients aurait sans doute gagné à être accompagnée d’une communication institutionnelle plus importante pour mieux légitimer le processus. Quant à la menace de coupure – même non appliquée –, les pouvoirs publics se sont toujours refusés à la mettre en avant.
Concernant le respect de l’habilitation accordée par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte pour compléter la transposition des directives relatives aux marchés intérieurs de l’électricité et du gaz, je regrette qu’il n’ait pas été fait état d’un tel dispositif lors de l’examen des textes. J’observe toutefois qu’en prévoyant un mécanisme d’accompagnement de la fin des tarifs réglementés, elle-même rendue nécessaire par la transposition des directives, l’ordonnance est bien conforme au champ de l’habilitation.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires économiques propose d’adopter ce projet de loi sans modification.
Pour conclure, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer devant mes collègues en commission, l’histoire n’est sans doute pas finie, car, au-delà de la question spécifique traitée par l’ordonnance, c’est la pérennité des tarifs réglementés pour les particuliers qui pourrait, demain, être remise en cause.
En effet, dans le cadre d’une question préjudicielle posée par le Conseil d’État à la suite d’un recours déposé par les fournisseurs alternatifs contre les tarifs réglementés du gaz, la Cour de justice de l’Union européenne pourrait, dans les prochaines semaines, juger ces tarifs réglementés contraires au droit de la concurrence. En fonction des termes de la décision qu’elle rendra, la France pourrait être contrainte de revoir en tout ou partie le mécanisme des tarifs régulés pour les particuliers.
Monsieur le secrétaire d’État, même si le sujet dépasse largement le champ de l’ordonnance, je suis curieux de connaître l’état des réflexions du Gouvernement sur la question.