Intervention de Hervé Maurey

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 13 juillet 2016 à 9h35
Communication sur le déplacement de la commission au svalbard

Photo de Hervé MaureyHervé Maurey, président :

J'en viens maintenant au déplacement de notre commission au Svalbard qui s'est déroulé du 9 au 14 juin. Ce déplacement était l'un des deux principaux déplacements de l'année 2016 pour notre commission, étant entendu que le deuxième aura lieu en Californie en septembre. Notre délégation comprenait cinq sénateurs, Odette Herviaux, Alain Fouché, Annick Billon, Nicole Bonnefoy ainsi que moi-même.

Pourquoi l'Arctique ? Tout simplement parce que, dans le prolongement de l'Accord de Paris du 12 décembre 2015 qui entend contenir l'élévation de la température moyenne de la planète en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et tenter de la limiter à 1,5°C, il nous est apparu important de nous rendre au plus près des conséquences peut-être les plus spectaculaires, en tout cas certainement les plus rapides, du changement climatique et de l'élévation de la température. Nous avons souhaité comprendre pourquoi le réchauffement y était beaucoup plus rapide qu'ailleurs et quelles en étaient les conséquences directes, voire les catastrophes à craindre. Nous avons également voulu appréhender une zone dont les enjeux sont multiples et complexes, ce qui permet de replacer les questions liées au changement climatique dans un contexte plus global.

À l'inverse de l'Antarctique, qui est un continent à lui seul et surtout terra nullius, sans aucune souveraineté étatique, l'Arctique est une zone largement déterminée par la souveraineté des États, exploitée depuis longtemps et dont les enjeux géopolitiques sont cruciaux.

Si notre déplacement était ainsi principalement articulé autour des questions climatiques, les différentes rencontres et les entretiens que nous avons eus étaient structurés autour de quatre axes principaux : la situation juridique particulière du Svalbard, régie par le traité de Paris sur le Spitzberg de 1920 ; l'importance de l'imbrication des questions géopolitiques, climatiques et énergétiques au Svalbard ; l'importance de la recherche scientifique au Svalbard, avec notamment une coopération franco-norvégienne très développée ; et la question de la conservation des ressources génétiques végétales. Nous avons passé trois journées au Svalbard où nous avons eu des entretiens politiques et scientifiques de haut niveau, ainsi qu'effectué des visites de terrain. Nous avons ainsi rencontré dès notre arrivée la gouverneure du Svalbard, Mme Kjerstin Askholt, en poste depuis octobre 2015.

Depuis 1925, l'archipel du Svalbard est administré par la Norvège, qui a obtenu la souveraineté sur ce territoire avec le traité de Paris de 1920. Ce traité prévoit un principe de non-discrimination dans l'accès aux ressources halieutiques de l'archipel et dans ses eaux territoriales, ainsi qu'un principe de non-discrimination dans l'exercice et l'exploitation de « toute entreprise maritime, industrielle, minière ou commerciale tant à terre que sur les eaux territoriales ». Le traité prévoit que la fiscalité, établie par la Norvège, doit être exclusivement consacrée au Svalbard, d'où une fiscalité réduite. L'État norvégien est représenté par un gouverneur, un « Sysselman », nommé par le roi, et basé à Longyearbyen, principale ville de l'archipel, afin d'administrer le territoire. Il remplit les fonctions que l'on attribuerait chez nous au préfet et exerce les compétences de chef de police ou encore de notaire. C'est également lui qui est chargé de veiller à la protection de l'environnement et de la faune de l'archipel. Ce premier entretien passionnant nous a permis d'avoir une présentation des principales particularités et des enjeux de l'archipel.

Le Svalbard constitue le territoire le plus septentrional de la Norvège, bordé par l'océan glacial arctique au Nord, la mer de Barents au Sud et la mer du Groenland à l'ouest. Il est le dernier endroit sauvage facilement accessible de l'Arctique européen, notamment grâce au Gulf Stream, qui le dégage des glaces. D'une superficie d'environ 60 000 kilomètres carrés, soit un cinquième de la Norvège, 60% de son territoire est recouvert par la glace. L'île principale, le Spitzberg, où nous étions, comprend 22 000 kilomètres carrés de glaciers.

Deuxième particularité, le Svalbard est une terre de biodiversité. Près de 65 % de sa superficie se composent de zones protégées, avec trois réserves naturelles, six parcs nationaux, quinze réserves ornithologiques et une zone de protection du géotope. Les plus grandes concentrations d'oiseaux et d'ours blancs de l'Atlantique Nord se trouvent au Svalbard. Nous avons d'ailleurs appris que les ours blancs n'étaient pas menacés en Arctique, et que leur nombre avait même augmenté, malgré les effets du changement climatique, depuis l'interdiction de leur chasse en 1973 et leur classement en tant qu'espèce protégée. On en compte aujourd'hui environ 3 000 au Svalbard, alors qu'on ne compte que 2 400 habitants. On trouve aussi une faune marine très variée. La gouverneure nous a indiqué que la faune du Svalbard est constituée de peu d'espèces mais avec beaucoup de représentants de chaque espèce.

Troisième particularité, il s'agit d'une terre sauvage mais exploitée. Les trois principales activités du Svalbard sont la recherche, l'activité minière et le tourisme. L'archipel est en effet la base d'une importante activité scientifique internationale. La France y est présente depuis 1963 avec la base Charles Rabot, qui peut accueillir une dizaine de scientifiques, et la base Jean Corbel. La France partage en outre une base avec l'Allemagne à Ny-Alesund, où nous devions nous rendre mais nous avons dû renoncer à ce projet au bout de quatre heures de navigation, en raison de conditions climatiques mauvaises. Nous avons en revanche eu un entretien par vidéo-conférence avec cette base la semaine dernière. Cette base est cogérée par l'Institut polaire français Paul-Émile Victor, l'IPEV, et constitue la station la plus au Nord du monde : elle abrite un centre international de recherche sur l'Arctique et de surveillance de l'environnement depuis 1966, date à laquelle la ville de Ny-Alesund, ville minière à l'origine, s'est reconvertie dans la recherche après un dramatique accident minier, qui a coûté la vie à 21 mineurs en 1961. Une communauté scientifique internationale pouvant aller jusqu'à 150 chercheurs y est installée, avec une dizaine de pays représentés.

L'exploitation minière a longtemps été importante au Svalbard, pour l'extraction du charbon. À Longyearbyen, sept mines ont été ouvertes au fil du temps, souvent à flanc de montagne, et portant chacune un numéro correspondant à l'éloignement de la ville. Nous avons ainsi visité la mine n°3, dont l'exploitation a cessé en 1997 et qui, chose surprenante, n'ayant jamais été rentable en 100 ans d'exploitation, semblait donc davantage servir un objectif d'occupation et d'exploitation du territoire. La mine n° 7 est la seule encore en exploitation mais est déficitaire et semble avoir un avenir incertain. Nous avons également pu voir sur la montagne, au-dessus de la mine n° 7, un parc d'antennes pour la recherche sur les couches supérieures de l'atmosphère et les aurores boréales. L'exploitation de la houille est aujourd'hui concentrée dans la mine de Svea, petite ville située à 60 km au sud de Longyearbyen.

Nous nous sommes rendus à Barentsburg, dernière implantation russe au Svalbard, qui nous a beaucoup surpris tant l'atmosphère y semble figée et le temps suspendu : buste de Lénine, architecture soviétique... Alors qu'environ 800 mineurs russes et ukrainiens y vivaient, embauchés sur des contrats de deux ans au temps de l'URSS, 450 personnes seulement y vivent aujourd'hui, dont 350 travaillent pour la compagnie charbonnière Arctikugol. Cette présence russe répond aussi à des objectifs stratégiques dans cette zone. Enfin, l'activité touristique est importante, avec des bateaux de croisière qui peuvent amener jusqu'à 40 000 touristes par an.

Notre séjour a également été l'occasion de visiter le dépôt international de graines du Svalbard, construit et financé par le gouvernement norvégien, associé à la Banque nordique de gènes et au Fonds fiduciaire mondial pour la diversité des cultures. Il accueille depuis 2008 des échantillons de toutes les semences végétales du monde. Nous avons eu la chance de visiter l'entrepôt situé dans la montagne, bien au-dessus du niveau de la mer et donc à l'abri des inondations, à une température de - 18°C, soit un site de stockage conçu pour résister à l'épreuve du temps ou à d'éventuelles catastrophes naturelles. S'il existe dans le monde plus de 1 700 banques génétiques de cette nature, aucune n'a la dimension mondiale de la Global Seed Vault, ni cette garantie de sécurité, liée au pergélisol et à la roche dure, qui font que les échantillons de semences restent congelés sans nécessiter de refroidissement additionnel. La réserve de semences a une capacité suffisante pour stocker 4,5 millions de variétés de cultures différentes. Chaque variété contient en moyenne 500 semences, par conséquent au maximum, 2,5 milliards de semences peuvent être stockées dans la réserve. Actuellement, la réserve possède plus de 830 000 échantillons, provenant de chaque pays du monde, soit environ 40 % de la diversité génétique végétale mondiale, ce qui en fait la collection la plus grande et la plus diverse de cultures au monde.

L'objectif de cette réserve est de sauvegarder le plus possible de matériel génétique de culture unique du monde, tout en évitant une reproduction non nécessaire. Chaque pays ou institution reste toujours le détenteur et le contrôleur de l'accès aux semences qu'il a déposées, avec un système de boîtes noires impliquant que le déposant est la seule personne qui puisse retirer les semences et ouvrir les boîtes. Les banques de graines du Nigéria, du Bénin, d'Afrique du Sud, du Canada, du Mexique, de Colombie, de Syrie, de l'Inde, des Philippines, ou encore même de Corée du Nord et de près de 80 pays ont transféré une première collection de 300 000 variétés de graines : du blé, du maïs, du riz, de l'orge, des poids, du sorgho, des fèves, des arachides, des haricots emballés dans des sachets aluminium scellés. Cette réserve, surnommée « Arche de Noé végétale » a été pour la première fois mise à contribution en septembre 2015 du fait du conflit syrien. La banque de gènes dans la ville syrienne d'Alep ayant été détruite, le Centre international de recherche agricole dans les zones arides (l'Icarda) a demandé à récupérer des graines pour reconstituer ses stocks dans les pays voisins de la Syrie, mais pas en Syrie même. La destruction de la banque de gènes d'Alep illustre l'importance d'une telle réserve mondiale, d'autant que ce type d'événements n'est malheureusement pas inédit. En 2003 par exemple, la banque de semences d'Abu Ghraib en Irak a été pillée et a définitivement perdu des variétés de blé et de lentilles séculaires. Ou encore en 2004, le tsunami asiatique a emporté le grenier de semences de riz de la région.

En France, nous n'avons à ce jour pas fait le choix de déposer nos ressources dans cette banque mondiale. La conservation des ressources phytogénétiques est assurée chez nous par une multitude d'acteurs gestionnaires de collections : institutions publiques, entreprises privées, associations, collectivités et même particuliers. Tous les modes de conservation sont complémentaires. La priorité politique est pour l'instant donnée à un soutien de ces acteurs nationaux. Le décret du 22 décembre 2015 relatif à la conservation des ressources phytogénétiques pour l'agriculture et l'alimentation a ainsi créé les conditions d'une reconnaissance officielle des acteurs impliqués dans la conservation de ces ressources génétiques végétales. Le ministère de l'agriculture français a par ailleurs mis en place une structure nationale de coordination des gestionnaires, qui aura notamment pour mission de recenser et soutenir les gestionnaires et les collections de ressources. C'est un sujet passionnant. Les enjeux sont immenses. Nous sommes en contact avec le Fonds fiduciaire mondial, dont nous pourrions, par exemple, entendre les responsables s'ils se rendaient en France.

Enfin, nous avons terminé notre séjour par une matinée d'entretiens scientifiques au Centre universitaire du Svalbard, l'UNIS, et à l'Institut polaire norvégien du Svalbard. Nous avons eu un entretien avec Kim Holmen, directeur scientifique de l'Institut polaire, qui nous a permis de replacer l'exemple du Svalbard dans la perspective du changement climatique mondial. Les principales activités de recherche de cet institut, qui est le principal contributeur de données et d'études scientifiques relatives aux régions polaires norvégiennes, concernent la détection du changement climatique (le climat change-t-il ? ces changements sont-ils inédits ?) ; les causes de ce changement (ces variations sont-elles naturelles ? dues aux émissions de gaz à effet de serre ? ont-elles des origines anthropiques ?) ; la prospective du changement via l'élaboration de modèles ; l'analyse des effets et des impacts de ce changement climatique sur les écosystèmes, mais aussi sur la société, les infrastructures, ou l'agriculture ; et enfin ce que l'on appelle les « effets combinés ».

Le directeur est revenu sur l'augmentation de la population d'ours polaires malgré la pollution et les effets du changement climatique, pour illustrer la complexité de ces effets combinés. Il nous a indiqué que 2015 avait été l'année la plus chaude jamais enregistrée au Svalbard. Y travaillant depuis 30 ans, il lui suffit de regarder par sa fenêtre pour mesurer que le changement est évident ! La neige fond plus vite, les glaciers se réduisent, etc. Le changement climatique est indéniablement déjà là dans l'Arctique norvégien, qui devient plus chaud et plus humide. Et ce changement y est plus rapide. En 2071, la température moyenne aura augmenté là-bas de +8°C par rapport à 1961 ! La température y augmente plus vite qu'ailleurs à cause de la disparition de « l'effet miroir » de la neige, ce phénomène de réflexion de la neige, grâce auquel la chaleur n'est pas conservée dans le sol mais renvoyée dans l'air. Dans des zones comme le Svalbard, où la température avoisine les 0°C (alors qu'en Antarctique, les températures de départ sont de l'ordre de -30°C), les conséquences sont plus importantes car une différence de 2 degrés fait fondre la neige et donc disparaître cet effet miroir. C'est pourquoi le réchauffement climatique est deux fois plus important en Arctique qu'ailleurs. Les « courbes en crocodile » qui montrent la différence entre ce que l'on mesure et ce que l'on devrait mesurer sans l'ajout de CO2 dans l'atmosphère sont particulièrement révélatrices à cet égard.

Je voudrais souligner, enfin, l'importance de l'université du Svalbard, spécialisée dans les questions arctiques et qui accueille des étudiants du monde entier pour former des experts de haut niveau sur la biologie, la biodiversité, la géologie, la géophysique (comme avec l'observation des aurores boréales) ou encore la technologie liées à l'Arctique. M. Hansen, directeur des infrastructures, nous a reçus et a beaucoup insisté sur l'importance de la formation « sur le terrain » de ces étudiants.

Ce déplacement fut passionnant à de nombreux égards. Nous avons eu sous les yeux, dans ce « bout du monde », les conséquences palpables du climat qui se réchauffe.

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