Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Réunion du 13 juillet 2016 à 9h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La réunion est ouverte à 9 h 35.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Nous connaissons enfin, depuis hier, le candidat pressenti pour remplacer M. Pierre Cardo dont le mandat de président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) se termine le 23 juillet. Le Gouvernement propose M. Bernard Roman, député du Nord. Depuis la loi Macron, l'Arafer bénéficie de pouvoirs renforcés, qui ont notamment été étendus au transport par autocar et aux autoroutes. C'est une autorité jeune, créée en 2009, qui a réussi à trouver ses marques et à s'imposer grâce à son premier président, Pierre Cardo. Elle a su veiller à faire appliquer la loi de réforme ferroviaire de 2014, même si certains points de dissension avec la SNCF continuent d'exister. Elle a également su affirmer sa grande indépendance, en retoquant le candidat que le Gouvernement avait initialement proposé pour la présidence de SNCF Réseau. On craignait d'ailleurs qu'en représailles, Pierre Cardo soit remplacé par un président fonctionnaire. Ce ne sera heureusement pas le cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Dans quelle mesure notre vote pourra-t-il être déterminant ? Je partage ce que vous venez de dire à 200 %. Le fret ferroviaire peine à se développer à cause du problème de l'attribution des sillons. Grâce à son indépendance, l'Arafer pourrait contribuer à débloquer la situation.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

C'est une question que nous pourrons poser au candidat pressenti. Je rappelle qu'il faut que les 3/5èmes des votes cumulés de l'Assemblée nationale et du Sénat soient négatifs pour que la nomination échoue. Un nom a circulé, il y a quelques mois ; il a suffi que la rumeur relaie des réactions très vives pour qu'on le retire.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Nous nous sommes rendus en Corse, le 8 avril dernier, avec pour sujet d'étude la prévention et la gestion des déchets dans l'île. Notre délégation était composée de Guillaume Arnell, Ronan Dantec, Didier Mandelli, Hervé Poher et moi-même.

Lors de la nouvelle lecture du projet de loi de transition énergétique, nous avions vu arriver en séance, à la dernière minute, un amendement du Gouvernement proposant de créer une nouvelle dérogation à la loi Littoral pour débloquer la situation en Corse, où la gestion des déchets risquait de déboucher sur une crise, du fait de l'absence d'exutoire pour les déchets ultimes à très proche échéance. Nous avions alors fait le choix de ne pas voter l'amendement, en l'absence d'éléments suffisamment précis et compte tenu de la prudence à observer dès lors qu'il s'agit de modifier la loi Littoral. Mais nous nous étions engagés à envoyer une mission sur place pour faire le bilan des éventuelles modifications législatives à apporter pour améliorer la gestion des déchets en Corse.

Notre déplacement s'est déroulé en plusieurs temps : le matin, nous avons suivi un point de situation à la préfecture avec les services de l'État, en présence du préfet de Corse, M. Mirmand, de la Direction régionale de l'environnement de l'aménagement et du logement (DREAL) et de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). Nous avons ensuite rencontré Mme Agnès Simonpietri, présidente de l'office de l'environnement, chargée de la gestion des déchets au sein de la collectivité territoriale de Corse. L'après-midi, nous avons pu échanger avec M. Tatti, président du Syvadec et de la communauté d'agglomération de Bastia, puis avec M. Marcangeli, député-maire d'Ajaccio, et M. Ferrara, président de la communauté d'agglomération du pays ajaccien. Enfin nous avons effectué une visite de terrain à Albitreccia, dans la commune où l'on avait envisagé d'ouvrir un nouveau site de stockage des déchets.

En Corse, hors déchets du bâtiment, le tonnage de déchets non dangereux est estimé à 360 000 tonnes par an, dont 188 000 tonnes, soit environ la moitié, sont éliminées par enfouissement. Quatre installations de stockage reçoivent ces 188 000 tonnes annuelles de déchets produits dans l'île. Le site de Vico a une capacité autorisée de 30 000 tonnes par an, et la préfecture estime que le premier casier, le seul actuellement en exploitation, pourrait atteindre la saturation à l'été 2016. Sur ce site, un collectif U Pumonte s'oppose à l'exploitation d'un deuxième casier.

Le site de Viggianello a une capacité autorisée de 45 000 tonnes par an et dispose encore à ce stade de 3 à 5 ans d'exploitation. Une demande du prestataire a été déposée pour créer le site de Viggianello 2, mais le comité de suivi s'oppose à la poursuite de l'exploitation et un collectif de riverains est en création. Par ailleurs, la voirie d'accès n'est pas adaptée à une augmentation de trafic.

Le site de Prunelli a une capacité autorisée de 43 000 tonnes par an, avec des casiers en bioréacteur. Ce site pourrait encore être exploité entre 4 et 6 ans avant d'atteindre la saturation. Cependant, l'installation est relativement proche d'une zone urbanisée, et des problèmes d'odeurs constatés en 2015 ont conduit à une forte opposition locale à une éventuelle augmentation de capacité du site. La décharge présente par ailleurs des problèmes d'accès.

Enfin, le site de Tallone 1 a fermé en juin 2015, ce qui a fortement réduit la capacité de stockage de la Corse. La mise en chantier de Tallone 2 a été interrompue par le maire qui subordonnait l'ouverture de ce deuxième site de décharge à la création d'une installation de tri mécano-biologique (TMB) au même endroit. Or, le permis de construire pour ce TMB a été annulé par le juge administratif pour non-respect de la loi Littoral, d'où la suggestion de la ministre de déroger à cette loi.

Par conséquent, avec la probable fermeture du site de Vico arrivé à saturation, la Corse connaîtra un déficit de traitement de 15 000 tonnes de déchets au premier semestre 2016, et un déficit de 70 000 tonnes au deuxième semestre, et cela uniquement si l'on arrive à ouvrir Tallone 2 en septembre prochain, ce qui n'est pas acquis, compte tenu de l'opposition de la commune.

Une solution partielle au problème consisterait à augmenter les capacités de stockage des trois autres sites en mettant en oeuvre un principe de solidarité. Des discussions ont eu lieu pour rapatrier les tonnes de déchets non prises en charge sur les autres sites, mais elles ont achoppé, les maires des communes concernées refusant d'accroître leur prise en charge des déchets tant que Tallone s'oppose à l'ouverture de sa deuxième décharge.

Autre piste évoquée : l'exportation de déchets sur le continent. Pour l'heure, cette solution n'est envisagée par la préfecture que comme une solution de dernier recours, dans le cas où aucun nouveau casier de stockage ne pourrait être ouvert et si l'augmentation de capacité des installations existantes n'était pas mise en oeuvre. Selon les évaluations des services, une exportation de quelque 30 000 tonnes serait envisageable, même si les contraintes seraient nombreuses : contraintes réglementaires, avec la nécessité d'obtenir les autorisations nécessaires, contraintes administratives, car il faudrait obtenir l'accord des autorités locales (préfets, conseils départementaux, communes), et contraintes économiques, car le coût global de mise en balles, de transport et de traitement pour l'exportation est estimé à 280 euros par tonne de déchets.

Dans ce contexte très complexe, la priorité des services de l'État pour gérer la fin de l'année 2016 est d'abord d'obtenir la mise en service de Tallone 2. Ils sont pour cela en négociation avec la commune, avec un projet d'engagement pour une durée limitée de 3 ans sur le site, avec une capacité de 50 000 tonnes par an. Une fois cette mise en service obtenue, il faudra augmenter les capacités de stockage des trois autres sites, ce qui implique de convaincre les collectifs mobilisés sur place et d'ajuster les autorisations administratives de ces installations. Enfin, pour les tonnes de déchets restant à la marge sans solution de traitement, il conviendra d'organiser leur mise en balles provisoire sur le site de la communauté d'agglomération du pays ajaccien.

Il s'agit essentiellement de mesures d'urgence pour gérer la crise à très court terme. Il reste à mettre en oeuvre dans les années à venir une politique de gestion des déchets suffisamment ambitieuse pour anticiper ce type de crises.

Il est intéressant de noter la répartition institutionnelle originale de la compétence de gestion des déchets. La collectivité territoriale de Corse dispose de la compétence de planification, avec la définition d'orientations générales. Les communes disposent de la compétence collecte, les deux tiers d'entre elles ayant délégué leur compétence traitement au principal syndicat de l'île, le Syvadec.

Sur ces enjeux de répartition des compétences et d'articulation entre les acteurs se superposent des enjeux politiques, depuis l'élection en décembre 2015 des nationalistes à la tête de l'exécutif régional. La nouvelle direction de la collectivité territoriale de Corse ne souscrit pas à la planification actuelle en matière de déchets. Elle a adopté en janvier dernier une feuille de route qui doit guider l'action publique dans les années à venir. En trois ans, elle souhaite atteindre l'objectif d'éviter 50 % des déchets à la source. Nous en sommes loin, et il faudra un ambitieux programme pour rationaliser le tri et passer du tri en point d'apport volontaire à un tri en porte à porte en réduisant le nombre de flux, tout en passant à un financement par la redevance incitative. Nous suivrons attentivement ces évolutions, car la transition sera sans doute difficile.

En tout état de cause, la question de l'ouverture de nouveaux sites de stockage se posera très rapidement, compte tenu de la saturation progressive des sites existants. La préfecture estime qu'en se fondant sur l'objectif actuel de 50 % de réduction de la quantité de déchets, et sans augmentation des capacités des sites de Viggianello et Prunelli, il faudrait disposer d'ici dix ans d'au moins deux sites de traitement supplémentaires, idéalement un par département.

Le risque aviaire achève de compliquer la situation. Nous avons visité le site envisagé pour l'ouverture d'une nouvelle installation de stockage, dans la commune d'Albitreccio. Cette installation n'a finalement pas pu voir le jour car la direction générale de l'aviation civile (DGAC) y a opposé un veto. Le risque aviaire est important pour les aéronefs dans la région d'Ajaccio. Les goélands se nourrissent sur les installations de stockage, ce qui entraîne le maintien d'une population importante de ces oiseaux. En l'espèce, la localisation du projet à proximité de l'aéroport d'Ajaccio et son positionnement, perpendiculaire aux pistes, ont été jugés trop risqués par la DGAC.

En définitive, sur la question qui motivait notre déplacement, à savoir l'opportunité de modifier la loi Littoral, je conclurai de la même manière que les experts envoyés par le ministère de l'écologie pour faire le bilan de la situation en Corse. Une modification de la loi Littoral ne suffirait pas à permettre la construction du TMB de Tallonne, puisqu'elle devrait s'accompagner à la fois d'une modification du Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC), adopté le 2 octobre 2015, et de l'élaboration d'un PLU à Tallone (le PLU de la commune a récemment été annulé). Ces étapes s'étalent sur plusieurs années, de sorte qu'elles sont incompatibles avec le calendrier de gestion de crise que je vous ai présenté pour 2016.

Par ailleurs, ainsi que le relève la mission du ministère, il est possible en l'état du droit de construire des installations de stockage des déchets sur les communes relevant de la loi Montagne. Celle-ci est plus souple que la loi Littoral : elle ménage des possibilités de dérogation dès lors qu'il s'agit d'implanter des ouvrages nécessaires aux services publics, « si leur localisation dans ces espaces correspond à une nécessité technique impérative ».

Il faut donner la priorité à la prévention des déchets et à la réduction de la quantité de déchets à éliminer. C'est le sens des objectifs votés dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique, et c'est d'autant plus fondamental en Corse, compte tenu de sa spécificité insulaire. Tels ont été les enseignements que nous avons tirés de ce déplacement.

J'ajouterais que même si la modification de la loi Littoral n'est pas la solution en l'espèce, il faudrait néanmoins réfléchir à des évolutions. En Corse, les restrictions en matière d'urbanisme s'appliquent sur la totalité de la commune et pas seulement sur un périmètre proche du littoral, ce qui n'est pas tout à fait logique, dans la mesure où les communes sont disposées en lanières par rapport à la côte. Peut-être conviendrait-il de définir un périmètre plus resserré et de prévoir des dérogations quand il s'agit d'installer des dispositifs publics ? La question vaut aussi en Bretagne, où l'on se heurte aux interdits de la loi Littoral lorsqu'il s'agit de construire des stations d'épuration dans certaines communes. Enfin, d'après le préfet de Corse, on gagnerait à faciliter la mise en oeuvre des outils juridiques. C'est une autre piste à explorer.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Mandelli

En réalité, la loi Littoral et la loi Montagne sont en vigueur dans de très nombreuses communes, en France. La Corse est particulière, car l'une et l'autre s'y appliquent. Cette crise structurelle traduit surtout le manque d'engagement, d'anticipation et de volonté des élus locaux. On évalue à 12 % seulement la part des déchets triés en Corse contre 72 % en Vendée, sans parler du conteneur unique à Ajaccio. L'État pourrait intervenir à Tallone, mais le préfet refuse de faire escorter les véhicules de transport des déchets par des CRS. Quant à la solution de l'export, quand on sait que le repreneur de la compagnie maritime est aussi le transporteur des ordures sur l'île, on ne s'étonne plus que rien n'aboutisse, avec les frais qui s'ensuivent pour le contribuable corse et plus largement français. Il faut une volonté politique pour faire évoluer la situation. Les relations difficiles entre la collectivité territoriale nouvelle et les élus locaux ne facilitent pas la sortie de crise.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Poher

J'ai été faussement étonné de découvrir que nous parlions la même langue que les Corses, mais que nous ne vivions pas dans le même pays. Voilà deux décennies que les élus locaux subissent toutes sortes de pressions pour faire évoluer le système de collecte des ordures ménagères : aménagement de décharges, ressourceries, incinérateurs... La loi nous l'impose, l'augmentation des taxes sur les mises en décharge nous y incite. Sur le continent, on pratique le tri, la valorisation et au stade ultime l'incinération et la décharge. En Corse, c'est d'emblée la décharge. Certains déchets sont transportés en camion, mais tous les camions de transport sont aux mains de la même famille. Je n'en dirai pas plus...

La collectivité territoriale de Corse ne souhaite qu'une seule chose : le tri. Encore faudrait-il qu'elle prenne le temps de le mettre en place, en faisant intervenir des ambassadeurs de tri, en modifiant les habitudes, etc. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Comment lutter contre le système corse ? Quant à l'exportation, c'est une solution un peu trop facile : je ne crois pas que sur la côte, on ait particulièrement envie d'assumer les ballots de déchets corses de l'année passée.

Il ne faut pas toucher à la loi Littoral pour faire plaisir aux Corses. Cela créerait un précédent qui pourrait donner des idées à tous les insulaires. L'île de Beauté mérite son nom. Les Corses sauront prendre les décisions qui s'imposent si l'on se montre un peu strict avec eux. C'est en tout cas ce que je leur souhaite.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Le sujet est complexe. Il n'y a aucune raison de modifier la loi Littoral à cause de la crise corse, qui est surtout la manifestation d'oppositions politiques fortes entre les anciens clans et les nationalistes. Les uns et les autres jouent la politique du pire pour sortir gagnants. La décharge de Vico est à nouveau bloquée, ce matin. Le mois de juin n'a été qu'un jeu de ping-pong avec les comités de défense de Vico qui refusent l'ouverture d'un nouveau casier. Le préfet a mobilisé 120 CRS pour rouvrir la décharge. Les déchets s'entassent dans les rues d'Ajaccio et de Bastia, et les touristes arrivent.

Il y a effectivement un système corse, mais on ne peut pas nier non plus les particularités de l'insularité. Pour mettre en place une économie circulaire, il faudra que la solidarité nationale fonctionne, car cela coûte beaucoup plus cher de traiter les déchets sur une île que sur le continent. Cela pourra se faire dans le cadre d'un plan, et il faudra veiller à ne pas être dupe du jeu politique des uns et des autres. Tout n'est pas toujours la faute des Corses. Preuve en est, la pollution créée par la centrale au fioul lourd de Viazzo, à Ajaccio. La centrale aurait dû cesser son activité, mais les atermoiements de l'État, notamment au sujet du gazoduc, empêchent la mise en place de solutions de remplacement. On devrait bientôt en entendre parler dans les médias.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Herviaux

Je n'étais pas des vôtres lors du déplacement de la commission en Corse, mais j'ai beaucoup travaillé sur la loi Littoral. Sans la détricoter, il faudrait faciliter les dérogations. En Corse, les zones littorales protégées couvrent un périmètre important. Les associations environnementales locales déplorent que les constructions se fassent en dépit du bon sens dans certaines grandes villes sur le littoral. Plutôt que d'attaquer les permis de construire un à un, c'est contre le PLU des communes qu'elles se retournent. Dans les dérogations, on devrait pouvoir tenir compte des efforts qui ont été fournis par la collectivité pour protéger son littoral. Enfin, n'oublions pas que la Corse est une île, avec toutes les particularités propres à l'insularité.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaspart

Il est grand temps pour nous de nous pencher sur la révision de la loi Littoral. Depuis le rapport de nos collègues Herviaux et Bizet, rien n'a évolué. Le même problème se pose dans les communes de montagne qui ont des grands lacs. Personne ne souhaite remettre en cause cette loi. En revanche, il faut en clarifier certains points. Par exemple, il est absurde de prévoir qu'en zone littorale, l'implantation d'une zone d'activité ne puisse se faire qu'en continuité avec une zone d'habitation. La voie législative est le seul moyen d'aboutir à des solutions. Commençons par simplifier la tâche des élus qui souhaitent protéger leur littoral. Pouvons-nous accepter qu'une commune des Côtes d'Armor qui ne compte pas plus de 2 600 habitants soit condamnée à verser 8 millions d'euros d'indemnités, à la suite d'un recours ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Miquel

En matière de gestion des déchets, la Méditerranée est un exutoire. C'est vraiment dommage, d'autant qu'on fait beaucoup mieux sur la côte Atlantique. En Corse, il y a surtout un problème d'abus financier. Les Corses exportent leurs déchets en métropole pour 450 euros la tonne. À qui profite le crime ? Vous n'enlèverez pas si facilement le pain de la bouche aux transporteurs.

La solution serait d'utiliser les déchets comme matières premières, en procédant à un tri simplifié, et en aménageant une unité de traitement thermique pour transformer les produits non recyclables en énergie. On a laissé aux communes la compétence générale, alors qu'elles sont incapables de l'exercer. C'est au niveau du territoire qu'il faudrait organiser les systèmes de collecte simplifiée. Rien ne pourra se faire sans la volonté des élus. C'est partout pareil : en Martinique, en Guadeloupe, à la Réunion... Quand il y a une volonté politique, les citoyens suivent. Les enjeux financiers et le système clientéliste risquent de faire perdre beaucoup de sa beauté à la Corse.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Je connais bien la Corse pour avoir travaillé notamment sur la liaison de l'île avec le continent. La loi Littoral s'applique sur tout le littoral et pas seulement en Corse. Avec le syndicat que je préside, nous tentons depuis plus de sept ans d'implanter une station d'épuration. Le dossier est bloqué. N'y a-t-il pas ici une belle occasion de montrer que le Parlement existe et sert à quelque chose ? Après tout, c'est le Parlement qui fait la loi. À nous de prendre les dispositions qui s'imposent pour résoudre les problèmes, sans pour autant remettre en cause la loi Littoral. Les classements dans les PLU se font un peu à l'emporte-pièce. Un système de dérogations aiderait les élus de terrain à régler leurs problèmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

La gestion des déchets en Corse est un dossier ancien. Les projets n'ont pas abouti. C'est l'ensemble de la Méditerranée qui est concerné. Soyons exemplaires plutôt que de donner des leçons aux autres. Je ne suis pas favorable à la remise en question de la loi Littoral pour résoudre le problème corse. Ce serait donner une prime à un très mauvais élève, alors que d'autres insulaires ont su s'en sortir au prix de gros efforts, comme à la Réunion. Faut-il aménager la loi Littoral ? Je m'y suis toujours opposée, lorsque j'étais secrétaire d'État, car la sagesse de notre commission n'est pas forcément partagée par tous. C'est une loi délicate. Quoi qu'il en soit, on ne peut pas s'appuyer sur le problème corse pour justifier une remise en question de cette loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Je connais bien la Corse comme président des élus du littoral. Je ne crois pas que le législateur, en 1986, ait voulu qu'une loi soit votée et promulguée à l'unanimité pour qu'on interdise la création de stations d'épuration ou d'équipements propres aux énergies marines renouvelables (EMR). On a déjà modifié la loi Littoral pour implanter des EMR en outremer. On a mis en place une disposition spécifique pour un territoire spécifique. C'est un précédent que la Corse ne manquera pas de nous opposer.

Je ne crois pas non plus que le législateur, en 1986, ait été en mesure d'intégrer toutes les modifications législatives qui ont pu intervenir, comme la loi Alur, qui impose à un certain nombre de communes d'avoir un pourcentage de logements qu'elles sont incapables de produire au regard des contraintes qui leur sont imposées.

Enfin, je ne pense pas qu'en 1986, le législateur ait été en mesure d'imaginer combien les dispositifs et outils d'aménagement du territoire changeraient aussi massivement, les SCOT, en particulier. La loi Littoral interdit de construire une station d'épuration s'il n'y a pas de continuité d'urbanisme dans la commune concernée, et cela quand bien même il y aurait continuité avec la commune voisine. C'est absurde. Mieux vaudrait raisonner à l'échelle du territoire. Revenons-en à l'esprit du législateur, lorsqu'il a fait promulguer la loi Littoral, en 1986.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

La crise des déchets en Corse, ce sont d'abord des collectifs d'habitants qui ne veulent plus de casiers à ciel ouvert ou de décharge qui pue devant chez eux. Ce n'est pas propre à la Corse. À côté de Bastia, le maire s'est fait élire contre l'extension de la décharge. Idem à Ajaccio où l'on ne veut pas d'un nouveau casier, d'où la crise actuelle. C'est la même chose partout en France. S'il y a une particularité corse, c'est que les jeux politiques font que depuis vingt ans, on n'a pas réussi à construire de vraie stratégie des déchets sur l'île. À cela s'ajoutent les difficultés liées à l'insularité : il est très difficile de structurer des filières de récupération sur des quantités produites par 300 000 habitants, car les flux sont insuffisants. C'est là qu'il faut faire jouer la solidarité nationale et payer le surcoût. Le problème en Corse n'est pas lié à la loi Littoral.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Les problèmes concrets nous aident à mesurer l'application effective de la loi. La crise corse a manifestement des effets à court terme, à moyen terme et à long terme. Les solutions doivent être adaptées à toutes ces temporalités, valoir dans l'immédiat comme pour l'avenir. Il faut donner aux Corses les moyens d'organiser le tri de leurs déchets. Les habitants ne veulent plus qu'on ajoute de nouveaux casiers. C'est un phénomène général et pas seulement corse. Cependant, le problème est complexe et la solution ne pourra émerger que si les habitants sont sollicités en même temps que les exploitants et la commune pour y réfléchir. Il faudra évidemment exclure certaines solutions, comme l'exportation ou le rejet des ballots à la mer. Soyons fermes là-dessus.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Nul n'entend jeter l'opprobre sur la Corse. Mais, avec 12 % de tri, la Corse reste très en retard. Monter à 50 % est un objectif ambitieux, d'autant plus dans le contexte politique actuel : victoire des nationalistes aux élections régionales, concurrence entre grandes villes sur des lignes politiques très différentes...

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Avec en outre le renversement d'alliances à Bastia !

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

On ne réglera pas la question des déchets en Corse par une simple modification de la loi Littoral. La ministre doit regretter de s'être laissée entraîner dans cette voie... Le point de vue du préfet semble être de court terme. La loi Littoral est fondamentale. Rien n'interdit toutefois d'envisager, avec prudence, des dérogations, mais attention à ne pas ouvrir la boîte de Pandore ! Les élus se plaignent de rigidités et il est vrai que le cadre a évolué depuis 1986. Le groupe d'études « Mer et littoral » co-présidé par M. Vaspart pourrait étudier la question. Je vous propose d'y revenir à la rentrée.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Je partage votre avis. Ce déplacement était utile, il a éclairé notre vision. Nous devrons aider les territoires insulaires ou enclavés à tenir leurs engagements en matière de développement durable. L'État doit jouer son rôle de garant de la solidarité territoriale...

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

La solidarité doit être double et d'abord jouer entre les collectivités de Corse.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Poher

La Sardaigne, voisine de la Corse, est réputée être une île « zéro déchets » et dotée d'une économie circulaire. Je m'y suis rendu, la situation est moins grave qu'en Corse, mais la réalité reste très éloignée des discours !

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Le responsable de l'Office de l'environnement de la Corse citait plutôt en exemple la Toscane.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

J'en viens maintenant au déplacement de notre commission au Svalbard qui s'est déroulé du 9 au 14 juin. Ce déplacement était l'un des deux principaux déplacements de l'année 2016 pour notre commission, étant entendu que le deuxième aura lieu en Californie en septembre. Notre délégation comprenait cinq sénateurs, Odette Herviaux, Alain Fouché, Annick Billon, Nicole Bonnefoy ainsi que moi-même.

Pourquoi l'Arctique ? Tout simplement parce que, dans le prolongement de l'Accord de Paris du 12 décembre 2015 qui entend contenir l'élévation de la température moyenne de la planète en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et tenter de la limiter à 1,5°C, il nous est apparu important de nous rendre au plus près des conséquences peut-être les plus spectaculaires, en tout cas certainement les plus rapides, du changement climatique et de l'élévation de la température. Nous avons souhaité comprendre pourquoi le réchauffement y était beaucoup plus rapide qu'ailleurs et quelles en étaient les conséquences directes, voire les catastrophes à craindre. Nous avons également voulu appréhender une zone dont les enjeux sont multiples et complexes, ce qui permet de replacer les questions liées au changement climatique dans un contexte plus global.

À l'inverse de l'Antarctique, qui est un continent à lui seul et surtout terra nullius, sans aucune souveraineté étatique, l'Arctique est une zone largement déterminée par la souveraineté des États, exploitée depuis longtemps et dont les enjeux géopolitiques sont cruciaux.

Si notre déplacement était ainsi principalement articulé autour des questions climatiques, les différentes rencontres et les entretiens que nous avons eus étaient structurés autour de quatre axes principaux : la situation juridique particulière du Svalbard, régie par le traité de Paris sur le Spitzberg de 1920 ; l'importance de l'imbrication des questions géopolitiques, climatiques et énergétiques au Svalbard ; l'importance de la recherche scientifique au Svalbard, avec notamment une coopération franco-norvégienne très développée ; et la question de la conservation des ressources génétiques végétales. Nous avons passé trois journées au Svalbard où nous avons eu des entretiens politiques et scientifiques de haut niveau, ainsi qu'effectué des visites de terrain. Nous avons ainsi rencontré dès notre arrivée la gouverneure du Svalbard, Mme Kjerstin Askholt, en poste depuis octobre 2015.

Depuis 1925, l'archipel du Svalbard est administré par la Norvège, qui a obtenu la souveraineté sur ce territoire avec le traité de Paris de 1920. Ce traité prévoit un principe de non-discrimination dans l'accès aux ressources halieutiques de l'archipel et dans ses eaux territoriales, ainsi qu'un principe de non-discrimination dans l'exercice et l'exploitation de « toute entreprise maritime, industrielle, minière ou commerciale tant à terre que sur les eaux territoriales ». Le traité prévoit que la fiscalité, établie par la Norvège, doit être exclusivement consacrée au Svalbard, d'où une fiscalité réduite. L'État norvégien est représenté par un gouverneur, un « Sysselman », nommé par le roi, et basé à Longyearbyen, principale ville de l'archipel, afin d'administrer le territoire. Il remplit les fonctions que l'on attribuerait chez nous au préfet et exerce les compétences de chef de police ou encore de notaire. C'est également lui qui est chargé de veiller à la protection de l'environnement et de la faune de l'archipel. Ce premier entretien passionnant nous a permis d'avoir une présentation des principales particularités et des enjeux de l'archipel.

Le Svalbard constitue le territoire le plus septentrional de la Norvège, bordé par l'océan glacial arctique au Nord, la mer de Barents au Sud et la mer du Groenland à l'ouest. Il est le dernier endroit sauvage facilement accessible de l'Arctique européen, notamment grâce au Gulf Stream, qui le dégage des glaces. D'une superficie d'environ 60 000 kilomètres carrés, soit un cinquième de la Norvège, 60% de son territoire est recouvert par la glace. L'île principale, le Spitzberg, où nous étions, comprend 22 000 kilomètres carrés de glaciers.

Deuxième particularité, le Svalbard est une terre de biodiversité. Près de 65 % de sa superficie se composent de zones protégées, avec trois réserves naturelles, six parcs nationaux, quinze réserves ornithologiques et une zone de protection du géotope. Les plus grandes concentrations d'oiseaux et d'ours blancs de l'Atlantique Nord se trouvent au Svalbard. Nous avons d'ailleurs appris que les ours blancs n'étaient pas menacés en Arctique, et que leur nombre avait même augmenté, malgré les effets du changement climatique, depuis l'interdiction de leur chasse en 1973 et leur classement en tant qu'espèce protégée. On en compte aujourd'hui environ 3 000 au Svalbard, alors qu'on ne compte que 2 400 habitants. On trouve aussi une faune marine très variée. La gouverneure nous a indiqué que la faune du Svalbard est constituée de peu d'espèces mais avec beaucoup de représentants de chaque espèce.

Troisième particularité, il s'agit d'une terre sauvage mais exploitée. Les trois principales activités du Svalbard sont la recherche, l'activité minière et le tourisme. L'archipel est en effet la base d'une importante activité scientifique internationale. La France y est présente depuis 1963 avec la base Charles Rabot, qui peut accueillir une dizaine de scientifiques, et la base Jean Corbel. La France partage en outre une base avec l'Allemagne à Ny-Alesund, où nous devions nous rendre mais nous avons dû renoncer à ce projet au bout de quatre heures de navigation, en raison de conditions climatiques mauvaises. Nous avons en revanche eu un entretien par vidéo-conférence avec cette base la semaine dernière. Cette base est cogérée par l'Institut polaire français Paul-Émile Victor, l'IPEV, et constitue la station la plus au Nord du monde : elle abrite un centre international de recherche sur l'Arctique et de surveillance de l'environnement depuis 1966, date à laquelle la ville de Ny-Alesund, ville minière à l'origine, s'est reconvertie dans la recherche après un dramatique accident minier, qui a coûté la vie à 21 mineurs en 1961. Une communauté scientifique internationale pouvant aller jusqu'à 150 chercheurs y est installée, avec une dizaine de pays représentés.

L'exploitation minière a longtemps été importante au Svalbard, pour l'extraction du charbon. À Longyearbyen, sept mines ont été ouvertes au fil du temps, souvent à flanc de montagne, et portant chacune un numéro correspondant à l'éloignement de la ville. Nous avons ainsi visité la mine n°3, dont l'exploitation a cessé en 1997 et qui, chose surprenante, n'ayant jamais été rentable en 100 ans d'exploitation, semblait donc davantage servir un objectif d'occupation et d'exploitation du territoire. La mine n° 7 est la seule encore en exploitation mais est déficitaire et semble avoir un avenir incertain. Nous avons également pu voir sur la montagne, au-dessus de la mine n° 7, un parc d'antennes pour la recherche sur les couches supérieures de l'atmosphère et les aurores boréales. L'exploitation de la houille est aujourd'hui concentrée dans la mine de Svea, petite ville située à 60 km au sud de Longyearbyen.

Nous nous sommes rendus à Barentsburg, dernière implantation russe au Svalbard, qui nous a beaucoup surpris tant l'atmosphère y semble figée et le temps suspendu : buste de Lénine, architecture soviétique... Alors qu'environ 800 mineurs russes et ukrainiens y vivaient, embauchés sur des contrats de deux ans au temps de l'URSS, 450 personnes seulement y vivent aujourd'hui, dont 350 travaillent pour la compagnie charbonnière Arctikugol. Cette présence russe répond aussi à des objectifs stratégiques dans cette zone. Enfin, l'activité touristique est importante, avec des bateaux de croisière qui peuvent amener jusqu'à 40 000 touristes par an.

Notre séjour a également été l'occasion de visiter le dépôt international de graines du Svalbard, construit et financé par le gouvernement norvégien, associé à la Banque nordique de gènes et au Fonds fiduciaire mondial pour la diversité des cultures. Il accueille depuis 2008 des échantillons de toutes les semences végétales du monde. Nous avons eu la chance de visiter l'entrepôt situé dans la montagne, bien au-dessus du niveau de la mer et donc à l'abri des inondations, à une température de - 18°C, soit un site de stockage conçu pour résister à l'épreuve du temps ou à d'éventuelles catastrophes naturelles. S'il existe dans le monde plus de 1 700 banques génétiques de cette nature, aucune n'a la dimension mondiale de la Global Seed Vault, ni cette garantie de sécurité, liée au pergélisol et à la roche dure, qui font que les échantillons de semences restent congelés sans nécessiter de refroidissement additionnel. La réserve de semences a une capacité suffisante pour stocker 4,5 millions de variétés de cultures différentes. Chaque variété contient en moyenne 500 semences, par conséquent au maximum, 2,5 milliards de semences peuvent être stockées dans la réserve. Actuellement, la réserve possède plus de 830 000 échantillons, provenant de chaque pays du monde, soit environ 40 % de la diversité génétique végétale mondiale, ce qui en fait la collection la plus grande et la plus diverse de cultures au monde.

L'objectif de cette réserve est de sauvegarder le plus possible de matériel génétique de culture unique du monde, tout en évitant une reproduction non nécessaire. Chaque pays ou institution reste toujours le détenteur et le contrôleur de l'accès aux semences qu'il a déposées, avec un système de boîtes noires impliquant que le déposant est la seule personne qui puisse retirer les semences et ouvrir les boîtes. Les banques de graines du Nigéria, du Bénin, d'Afrique du Sud, du Canada, du Mexique, de Colombie, de Syrie, de l'Inde, des Philippines, ou encore même de Corée du Nord et de près de 80 pays ont transféré une première collection de 300 000 variétés de graines : du blé, du maïs, du riz, de l'orge, des poids, du sorgho, des fèves, des arachides, des haricots emballés dans des sachets aluminium scellés. Cette réserve, surnommée « Arche de Noé végétale » a été pour la première fois mise à contribution en septembre 2015 du fait du conflit syrien. La banque de gènes dans la ville syrienne d'Alep ayant été détruite, le Centre international de recherche agricole dans les zones arides (l'Icarda) a demandé à récupérer des graines pour reconstituer ses stocks dans les pays voisins de la Syrie, mais pas en Syrie même. La destruction de la banque de gènes d'Alep illustre l'importance d'une telle réserve mondiale, d'autant que ce type d'événements n'est malheureusement pas inédit. En 2003 par exemple, la banque de semences d'Abu Ghraib en Irak a été pillée et a définitivement perdu des variétés de blé et de lentilles séculaires. Ou encore en 2004, le tsunami asiatique a emporté le grenier de semences de riz de la région.

En France, nous n'avons à ce jour pas fait le choix de déposer nos ressources dans cette banque mondiale. La conservation des ressources phytogénétiques est assurée chez nous par une multitude d'acteurs gestionnaires de collections : institutions publiques, entreprises privées, associations, collectivités et même particuliers. Tous les modes de conservation sont complémentaires. La priorité politique est pour l'instant donnée à un soutien de ces acteurs nationaux. Le décret du 22 décembre 2015 relatif à la conservation des ressources phytogénétiques pour l'agriculture et l'alimentation a ainsi créé les conditions d'une reconnaissance officielle des acteurs impliqués dans la conservation de ces ressources génétiques végétales. Le ministère de l'agriculture français a par ailleurs mis en place une structure nationale de coordination des gestionnaires, qui aura notamment pour mission de recenser et soutenir les gestionnaires et les collections de ressources. C'est un sujet passionnant. Les enjeux sont immenses. Nous sommes en contact avec le Fonds fiduciaire mondial, dont nous pourrions, par exemple, entendre les responsables s'ils se rendaient en France.

Enfin, nous avons terminé notre séjour par une matinée d'entretiens scientifiques au Centre universitaire du Svalbard, l'UNIS, et à l'Institut polaire norvégien du Svalbard. Nous avons eu un entretien avec Kim Holmen, directeur scientifique de l'Institut polaire, qui nous a permis de replacer l'exemple du Svalbard dans la perspective du changement climatique mondial. Les principales activités de recherche de cet institut, qui est le principal contributeur de données et d'études scientifiques relatives aux régions polaires norvégiennes, concernent la détection du changement climatique (le climat change-t-il ? ces changements sont-ils inédits ?) ; les causes de ce changement (ces variations sont-elles naturelles ? dues aux émissions de gaz à effet de serre ? ont-elles des origines anthropiques ?) ; la prospective du changement via l'élaboration de modèles ; l'analyse des effets et des impacts de ce changement climatique sur les écosystèmes, mais aussi sur la société, les infrastructures, ou l'agriculture ; et enfin ce que l'on appelle les « effets combinés ».

Le directeur est revenu sur l'augmentation de la population d'ours polaires malgré la pollution et les effets du changement climatique, pour illustrer la complexité de ces effets combinés. Il nous a indiqué que 2015 avait été l'année la plus chaude jamais enregistrée au Svalbard. Y travaillant depuis 30 ans, il lui suffit de regarder par sa fenêtre pour mesurer que le changement est évident ! La neige fond plus vite, les glaciers se réduisent, etc. Le changement climatique est indéniablement déjà là dans l'Arctique norvégien, qui devient plus chaud et plus humide. Et ce changement y est plus rapide. En 2071, la température moyenne aura augmenté là-bas de +8°C par rapport à 1961 ! La température y augmente plus vite qu'ailleurs à cause de la disparition de « l'effet miroir » de la neige, ce phénomène de réflexion de la neige, grâce auquel la chaleur n'est pas conservée dans le sol mais renvoyée dans l'air. Dans des zones comme le Svalbard, où la température avoisine les 0°C (alors qu'en Antarctique, les températures de départ sont de l'ordre de -30°C), les conséquences sont plus importantes car une différence de 2 degrés fait fondre la neige et donc disparaître cet effet miroir. C'est pourquoi le réchauffement climatique est deux fois plus important en Arctique qu'ailleurs. Les « courbes en crocodile » qui montrent la différence entre ce que l'on mesure et ce que l'on devrait mesurer sans l'ajout de CO2 dans l'atmosphère sont particulièrement révélatrices à cet égard.

Je voudrais souligner, enfin, l'importance de l'université du Svalbard, spécialisée dans les questions arctiques et qui accueille des étudiants du monde entier pour former des experts de haut niveau sur la biologie, la biodiversité, la géologie, la géophysique (comme avec l'observation des aurores boréales) ou encore la technologie liées à l'Arctique. M. Hansen, directeur des infrastructures, nous a reçus et a beaucoup insisté sur l'importance de la formation « sur le terrain » de ces étudiants.

Ce déplacement fut passionnant à de nombreux égards. Nous avons eu sous les yeux, dans ce « bout du monde », les conséquences palpables du climat qui se réchauffe.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Herviaux

Ce déplacement fut particulièrement enrichissant, à tous égards. Le réchauffement climatique y était perceptible. Nous avons dû revoir certaines de nos idées reçues. Ainsi nous connaissons tous ce cliché d'un ours blanc malingre, dépérissant seul sur un bout de banquise, présenté comme symbole des conséquences du réchauffement climatique. En réalité, les ours blancs sont en bonne santé et ne sont pas menacés dans l'archipel. Il n'en demeure pas moins que le réchauffement climatique a des effets négatifs sur la biodiversité : par exemple, à cause de la hausse des températures et de l'humidité, la glace remplace la neige, et les rennes sauvages, qui ne peuvent gratter cette couche de glace pour brouter l'herbe, dépérissent.

J'ai aussi été surprise par le décalage entre la volonté de développer un tourisme respectueux de l'environnement et le spectacle de ces grands bateaux de croisière, dont les passagers descendent pour de courtes escales sans même savoir où ils sont ni échanger avec la population locale...Enfin, l'ouverture du passage dans l'océan Arctique Nord avec la fonte de la calotte glaciaire suscite des convoitises stratégiques. L'accroissement de la circulation risque d'avoir des effets négatifs pour la faune et l'environnement.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Fouché

Ce voyage, dans une ambiance chaleureuse, fut très instructif. Je connaissais le nord de la Finlande mais pas la Norvège. Le réchauffement climatique était palpable. Il ne faisait pas froid, contrairement aux températures que l'on était en droit d'attendre. La banquise fond et les glaciers reculent, c'est indéniable. Les propos que nous avons entendus ne sont guère réjouissants. Je crains que la COP 21 ne soit pas respectée par tous les pays, comme la Chine, ce qui ne serait pas bon signe. Nos interlocuteurs estiment que le niveau des eaux montera sensiblement d'ici une vingtaine d'années. Nous ne serons pas épargnés. Avec la fonte de la banquise, le trafic maritime s'accroîtra dans l'Arctique, notamment celui des pétroliers, avec les risques de pollution que l'on connaît. Nous avons beau prétendre être plus vertueux, et refuser d'emprunter cette voie, les pétroliers russes l'empruntent et Total récupère le pétrole à Rotterdam... Le réchauffement est une réalité qui aura des conséquences au niveau mondial. Il nous reste bien des efforts à faire.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Je partage tout ce qui vient d'être dit. Je suis heureuse d'avoir participé à ce voyage, expérience particulière, dépaysante, dans un lieu unique, sous le soleil des nuits blanches. Les balades en traineau se font sur pneumatique, car il n'y a pas de neige à cause du réchauffement ! Autre particularité, nul ne naît ni n'est enterré sur l'île. Les femmes vont accoucher sur le continent, tandis que les gens ne sont pas enterrés au Svalbard, à cause du permafrost, sol gelé en permanence. En définitive, le Svalbard est une terre de passage, où les gens vont travailler ou étudier, avant de repartir, d'où ce climat extraordinaire, qui m'a laissé une forte impression.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Vous avez évoqué le dépôt international de graines du Svalbard où sont stockées des milliers de graines et de semences. En France le conservatoire national botanique de Brest remplit la même mission. Les deux organismes travaillent-ils ensemble ?

Ces déplacements sont utiles. Ils permettent de prendre conscience que le réchauffement est une réalité. Certes la population d'ours blancs augmente, mais ne nous y trompons pas, l'ours blanc reste menacé, et si nous ne faisons rien, l'avenir de l'ours blanc ce sera l'ours brun ! Avec la fonte de la calotte glaciaire, la montée des eaux s'accélérera d'ici quinze ou vingt ans. Nous devons dès maintenant prendre des mesures de précaution pour protéger notre littoral et en tenir compte dans nos plans d'aménagement. Dès que chacun aura pris conscience des conséquences de la montée du niveau de la mer, il est à craindre que les prix de l'immobilier ne chutent brutalement dans les zones littorales, chacun cherchant à vendre avant qu'il ne soit trop tard. Nous devons anticiper. Avez-vous obtenu des informations sur le dégel du permafrost, autre bombe à retardement aux effets catastrophiques ?

Avant de conclure, je vous invite à venir assister au sommet mondial des acteurs non étatiques du climat à Nantes, les 26, 27 et 28 septembre, dont je suis l'un des organisateurs. Il s'agit du plus grand événement en ce domaine avant la COP 22 de Marrakech, il réunira 2 000 intervenants de 60 nationalités. En particulier, une commission sera consacrée aux océans, une autre à l'agriculture.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

À quel moment notre commission pourrait-t-elle participer à ces journées de Nantes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

De nombreux thèmes y seront abordés. Le mardi sera consacré au financement de l'action territoriale, et une session plénière traitera de l'accès à l'énergie en Afrique, avec Jean-Louis Borloo. Le lundi nous ferons un point de la situation en séance plénière avec tous les acteurs non étatiques. Je vous transmettrai le programme.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Je vous propose d'en discuter la semaine prochaine, en fonction du programme. La difficulté toutefois est que ce sommet intervient au moment de la reprise des travaux parlementaires.

Le réchauffement n'est pas une légende, ses effets sont visibles. Nous avons pu le constater au Svalbard. Tous nos interlocuteurs nous ont fait état d'une accélération de la fonte des glaces.

Le réchauffement libère aussi de nouvelles routes maritimes, jusque-là saisies par la banquise. Le trafic maritime augmentera, avec des risques de pollution, notamment aux hydrocarbures. Cette région devient un enjeu stratégique crucial pour toutes les grandes puissances, qui cherchent à y accroître leur présence.

Le conservatoire de Brest ne travaille pas avec le centre de stockage du Svalbard. La France a choisi de ne pas participer à ce programme international, même si la situation pourrait évoluer, selon le ministère de l'agriculture.

J'y insiste, le réchauffement est une réalité, même si ses effets ne sont pas toujours ceux que l'on croit. Si l'ours blanc n'est pas menacé à court terme, c'est grâce à l'interdiction de la chasse. L'ours reste cependant un animal dangereux qui a fait une victime cette année et les habitants, dans certaines zones, se promènent armés pour se protéger.

La séance est levée à 11 h 25.