Nous sommes à quelques jours de l'échéance de l'état d'urgence, proclamé le 14 novembre en conseil des ministres au lendemain des attentats et prorogé par les lois du 20 novembre 2015, du 19 février 2016 et du 20 mai 2016. Les mesures prises dans ce cadre se sont révélées les plus pertinentes au cours des premiers jours. C'est normal : au bout de quelque temps, les personnes se sentant concernées par une perquisition auront pris les « précautions » nécessaires.
Depuis le démarrage de la phase III de l'état d'urgence, le 26 mai dernier, les perquisitions administratives ne sont plus possibles, la loi n'ayant plus donné ce pouvoir aux autorités compétentes. Ces mesures avaient perdu leur intérêt, les lieux les plus intéressants ayant été perquisitionnés dans les premières semaines ayant suivi la déclaration d'état d'urgence ; de plus, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution, dans sa QPC n° 2016-536 du 19 février 2016, les dispositions qui permettaient de saisir, hors constatation d'une infraction pénale, les données informatiques lors des perquisitions.
L'essentiel des perquisitions administratives ont eu lieu au cours de la première période d'application de l'état d'urgence et, pendant la première période, dans le mois qui a suivi les attentats du 13 novembre : entre le 14 novembre 2015 et le 25 mai 2016, 3 594 perquisitions administratives ont eu lieu, dont 3 427 au cours de la première période d'application de l'état d'urgence - 2 700 au cours du premier mois - et 167 au cours de la deuxième période.
Les assignations à résidence sont décidées par le ministre de l'intérieur. À la fin de la première période, le 25 février 2016, il y avait 268 arrêtés d'assignation à résidence en vigueur ; à la fin de la deuxième période, le 25 mai 2016, il y en avait 68. Pour la troisième période, 55 des 68 assignations de la deuxième période ont été renouvelées, auxquelles s'ajoutent 22 nouveaux dossiers : au total, 77 personnes sont donc actuellement concernées. Parmi les 55 personnes dont l'assignation a été renouvelée pour la troisième période, 86 % sont assignées à résidence depuis plus de six mois, 9 % depuis plus de cinq mois et 5 % depuis moins de cinq mois. 25 des 77 personnes toujours assignées à résidence font d'ores et déjà l'objet d'une interdiction de sortie du territoire (IST), et neuf dossiers d'IST supplémentaires sont à l'étude. Deux personnes font l'objet d'une mesure de gel d'avoirs et dix dossiers supplémentaires sont en cours d'examen. Six expulsions du territoire français sont envisagées.
Au cours de la phase III, les autorités administratives ont fait usage de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 qui permet « d'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics ». Dans le langage médiatique, il s'agit des « interdictions de paraître » qui ont permis d'interdire à des fauteurs de troubles potentiels de participer aux manifestations organisées contre la « loi travail ». Le préfet de Seine-Saint-Denis a également utilisé ce dispositif pour interdire à certaines personnes de fréquenter la commune de Saint-Denis les jours de match et d'activation de la fan zone du parc de la Légion d'Honneur.
Au total, 438 arrêtés d'interdiction ont été pris par les préfets compétents. Toutefois, seuls 169 arrêtés ont été notifiés. Ces arrêtés ont donné lieu à 21 contentieux devant la juridiction administrative qui ont conduit à 10 suspensions ou annulations : on fera valoir que cela représente la moitié du total, mais on peut aussi souligner que 148 arrêtés n'ont pas été attaqués.
Très attentatoires aux libertés fondamentales, ces dispositions consistant à restreindre, par décision administrative, la liberté d'aller et de venir et de manifester ses opinions sur la voie publique, ne sont applicables que lorsque l'état d'urgence est déclaré. Notre collègue Bruno Retailleau a déposé une proposition de loi inscrivant cette compétence dans le droit commun ; un tel élargissement des pouvoirs de police administrative peut se concevoir sur le plan juridique mais il conviendrait de le délimiter très rigoureusement au regard de nos principes constitutionnels.
Le préfet de Seine-Saint-Denis a pris des arrêtés sur le fondement d'un autre alinéa de l'article 5 de la loi de 1955 qui permet de délimiter des zones de protection au sein desquelles la circulation des personnes et des véhicules est réglementée : en l'espèce, autour du stade de France.
Au cours de la phase III, les mesures qui n'auraient pu être prises que dans le cadre de l'état d'urgence ont donc été peu nombreuses : il en va ainsi, à titre d'exemple, de l'interdiction de vente d'alcool, décidée dans le cadre des pouvoirs de droit commun par le préfet du Rhône.
Concernant les perquisitions administratives, un contentieux administratif de fond s'est développé, la procédure du référé étant sans objet pour les perquisitions. 81 requêtes en annulation ont été déposées, 25 décisions ont été rendues et 14 annulations prononcées.
Sur les 205 demandes préalables d'indemnisation déposées auprès des préfectures, 119 ont été rejetées, 63 sont en cours d'instruction et 23 ont abouti à un accord, pour une somme globale de 25 251 euros. Ces demandes concernent à 75 % l'indemnisation d'un préjudice matériel, 18 % un préjudice moral et 7 % une autre demande. Les montants d'indemnisation demandés s'élèvent à 767 728 euros.
Dans le cadre des contentieux indemnitaires, les tribunaux administratifs de Cergy-Pontoise et de Melun avaient saisi le Conseil d'État d'une demande d'avis contentieux. L'article L. 113-1 du code de justice administrative autorise en effet un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel à transmettre au Conseil d'État une question de droit nouvelle soulevée dans le cadre d'une requête, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges. Le Conseil d'État a rendu son avis le 6 juillet. En premier lieu, il précise que les ordres de perquisition constituent des mesures de police devant être motivées par l'autorité administrative. Le caractère suffisant de cette motivation doit cependant être apprécié en tenant compte des conditions d'urgence dans lesquelles la perquisition a été ordonnée et des circonstances particulières de chaque cas. Enfin, l'ordre doit comporter la mention du lieu et du moment de la perquisition.
Par conséquent, dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir, il appartient au juge administratif de procéder à un entier contrôle des éléments justifiant la mesure et de vérifier que la perquisition était nécessaire et proportionnée au regard des éléments dont disposait l'administration au moment où elle a pris sa décision. Cet avis du Conseil d'État a une portée très large, et s'inscrit dans la suite de sa décision renforçant le contrôle de la procédure par le juge administratif.
Le Conseil d'État a également précisé le régime d'indemnisation applicable, abandonnant l'exigence d'une faute lourde de l'État en faveur d'une faute simple. Ainsi, un ordre de perquisition illégal engage la responsabilité de l'État pour les préjudices causés ; même dans le cadre d'une perquisition légale, des fautes commises dans son exécution comme une ouverture de la porte par la force sans justification, une dégradation de biens sans rapport avec l'objet de la perquisition, un usage non justifié de la contrainte ou des traumatismes causés aux enfants, peuvent donner lieu à indemnisation.
En l'absence de faute, les personnes concernées par la perquisition ne peuvent être indemnisées. Toutefois, en application du principe selon lequel les charges publiques doivent être également réparties entre les citoyens, le tiers à une perquisition, par exemple le propriétaire bailleur d'un local perquisitionné n'ayant d'autre lien que le contrat de location avec la ou les personnes ayant fait l'objet de la perquisition, sera indemnisé des dégradations commises dans le local, même si la perquisition était légale et si les services de police n'ont commis aucune faute.
Enfin, le Conseil constitutionnel a été saisi de deux nouvelles QPC portant sur le cadre juridique des perquisitions administratives par la Cour de cassation. Si le Conseil constitutionnel a déjà jugé constitutionnel l'article 11 de la loi de 1955, dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015, ces deux QPC portent sur des opérations de perquisition administrative ordonnées avant l'entrée en vigueur de la loi du 20 novembre 2015 - sur le fondement de l'article 11 dans sa rédaction antérieure. Cette rédaction était très succincte, donnant aux autorités administratives le « pouvoir d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit ». L'un des enjeux de la loi du 20 novembre 2015 était de consolider ce cadre juridique pouvant encourir une censure pour incompétence négative du législateur. Le Conseil se prononcera avant la fin juillet. L'enjeu porte sur la légalité de procédures judiciaires qui auraient pu être enclenchées sur le fondement de perquisitions administratives ordonnées entre le 14 et le 21 novembre 2015.
L'état d'urgence sera levé le 25 juillet prochain. Le bilan sécuritaire de l'Euro 2016 est positif grâce à une très forte mobilisation des forces de police, des militaires, de la protection civile, de la police municipale et des sociétés privées de sécurité. La France a prouvé sa capacité à organiser un événement sportif d'ampleur, même si la fréquentation des fan zones s'est révélée beaucoup plus faible qu'espéré par l'UEFA : 4 millions de personnes contre 7 millions à l'Euro 2012 en Pologne et en Ukraine. Les Français ont d'autres habitudes, préférant regarder les matchs chez eux. Philippe Bas et moi-même avons pu vérifier l'excellence de l'organisation lorsque nous nous sommes rendus au stade de France.
Le Gouvernement a annoncé que le dispositif Sentinelle, qui avait mobilisé 10 000 hommes pendant l'Euro 2016, serait réduit à 7 000 hommes.
Rendons hommage au courage, à l'abnégation et à l'efficacité des forces de sécurité qui ont été fortement mobilisées par cet évènement et ont déjoué plusieurs attentats. L'état d'urgence ne semble plus nécessaire et doit laisser la place à une politique de prévention du terrorisme, d'autant que nous avons donné, par la loi du 3 juin 2016, les moyens à l'autorité exécutive et judiciaire de faire face à la menace.
Je tiens à remercier les membres du groupe de suivi de notre commission pour leur engagement dans le cadre de ce travail de contrôle. C'est le rôle du Sénat que d'aller au fond des choses. Enfin, en cette période difficile, nous avons pu mesurer l'engagement des fonctionnaires de la sécurité et des élus locaux.