Par ailleurs, le premier problème de l'enseignement supérieur est non pas son mode d'organisation, mais bien le taux élevé d'échec à l'université. La première « brique » législative de la vaste réforme de l'université annoncée par le Gouvernement aurait dû être consacrée aux réponses susceptibles d'améliorer significativement les chances de succès de chaque étudiant, sans oublier, naturellement, l'ampleur et la diversité des problèmes auxquels est confrontée l'université : taux d'échec élevé des étudiants en premier cycle, difficultés d'insertion professionnelle pour de nombreux jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, baisse significative des effectifs dans les disciplines scientifiques, insuffisance du nombre d'inscrits en master de recherche ? particulièrement préoccupante pour l'avenir de notre pays ?, manque de visibilité au niveau international, et je ne parle pas de la vétusté de ses locaux et de l'indigence de ses moyens.
Tout cela appelait des mesures d'urgence.
Pour répondre à la crise du système de l'enseignement supérieur et de la recherche, il fallait une réforme ambitieuse, susceptible d'impulser un nouvel élan au service public des universités. Le Gouvernement s'était d'ailleurs engagé à faire de cet enjeu « la réforme la plus importante de la législature ». Mais nous sommes encore bien loin du compte, même si ce projet de loi comporte quelques dispositions intéressantes.
Toutefois, ce texte n'est pas anodin. Il s'inscrit pleinement dans une perspective de refonte de l'enseignement supérieur et de la recherche s'appuyant sur une vision étroitement utilitariste que dessinait déjà le Pacte pour la recherche.
Cela dit, l'autonomie peut contribuer à l'émergence d'une université du XXIe siècle. Encore faut-il que cette autonomie ne contredise pas la gestion collégiale et démocratique de l'université. De même l'autonomie des établissements ne doit-elle pas exister dans un cadre national où chaque université est soumise aux mêmes règles et dispose des moyens nécessaires lui permettant de mener ses missions à bien. Si le terme « autonomie » fait consensus, pour les universités comme pour les organismes, le contenu que chacun y met est très variable...
Renonçant à élaborer, avec l'ensemble de la communauté universitaire, un projet global intégrant toutes les composantes tant de l'enseignement supérieur ? universités, grandes écoles, IUT, STS ? que de la recherche ? universités et organismes de recherche ?, le Gouvernement a choisi de soumettre au Parlement plusieurs textes thématiques, qui ont été qualifiés tout à l'heure de « chantiers ».
Le premier, qui est consacré à la gouvernance et aux nouvelles compétences de l'université, et qui a été rebaptisé à la dernière minute « projet de loi relatif aux libertés des universités », a, de toute évidence, été rédigé à la hâte, sans donner du temps au temps. Et que dire de l'urgence déclarée pour ce texte... On est loin de la volonté affichée de revaloriser le rôle du Parlement !
La détermination de la conférence des présidents d'université, des étudiants et des personnels de l'université aura permis d'amender significativement un texte qui, dans sa première mouture, était désastreux en même temps qu'il était révélateur.
L'autonomie optionnelle aurait indéniablement renforcé les disparités dans un système d'universités qui est déjà à plusieurs vitesses. Le paysage universitaire aurait été alors constitué de quelques rares pôles d'excellence, richement dotés, existant aux côtés de nombreux établissements de second rang contraints, au quotidien, à gérer la pénurie.
Si l'émergence d'un système extrêmement concurrentiel demeure toujours possible, l'intervention de la communauté universitaire aura permis de placer quelques garde-fous pour prévenir d'éventuelles dérives vers une telle organisation de l'enseignement supérieur. Elle aura permis d'en préserver le cadre national et le caractère indivisible. Le monde universitaire aura réaffirmé avec force que, pour reprendre les termes de la conférence des présidents d'université, « toutes les universités ont vocation à atteindre l'excellence ».
Cela étant, on ne répétera jamais assez que l'un des enjeux de toute réforme de l'université, c'est la réussite des étudiants. Je regrette que cette question, par ces temps de « révolution conservatrice », n'ait pas été traitée de manière prioritaire.
Combattre l'échec à l'université suppose de mener une politique éducative ambitieuse non seulement dans l'enseignement supérieur, mais aussi dans le premier et le second degré. L'université constitue en effet l'ultime maillon d'une chaîne qui commence dès la maternelle. Assurer l'égalité des chances de chaque jeune, lui permettre d'accéder à l'enseignement supérieur et créer des conditions pour qu'il obtienne un diplôme nécessite d'engager un effort considérable pour l'éducation nationale, à tous les niveaux.
Ces derniers jours, le Président de la République a déclaré : « La grande priorité, c'est le défi de la connaissance, c'est l'éducation ». Mais, dans les faits, c'est la logique comptable qui prévaut et non l'analyse des besoins et des missions. C'est ainsi que, à la rentrée 2008, 17 000 postes supplémentaires seront supprimés. L'État s'engage un peu plus encore sur une voie dangereuse pour l'avenir. Les « économies » réalisées aujourd'hui, la nation risque de les payer cher demain.
Il y a trop de comptables supérieurs, arrogants et glacés, qui nous disent que « tout cela coûte cher ». Mais ils oublient que c'est l'absence de ce « tout cela », c'est-à-dire de la formation, de la culture, de l'art, de la recherche, qui coûte cher !
Je reviens au texte. Celui-ci prévoit une systématisation du contrat pluriannuel d'établissement. Toutefois, aucune disposition ne garantit que l'État demeurera le principal financeur de l'université. À l'inverse, de nouvelles mesures visent à encourager le mécénat d'entreprise. Les universités sont donc fortement incitées à recourir à l'aide du secteur privé. Sur ce point, le Président de la République a été très clair ; en janvier dernier, il indiquait que la réforme vise à « associer directement l'entreprise à la gouvernance et au financement des universités ».
Si l'ouverture au secteur privé est en soi acceptable, et je dirais même souhaitable, elle ne peut s'accompagner d'un désengagement de l'État et surtout venir au secours des fins de mois difficiles d'un État jouant les nécessiteux. Toute remise en cause du financement public engendrerait une concurrence exacerbée entre établissements. En outre, l'université, devenue dépendante de l'aide financière des entreprises, courrait le risque de voir celles-ci exercer un droit de regard sur le contenu des formations et sur l'orientation des étudiants.
Un désengagement de l'État se traduirait également par l'assèchement progressif de la recherche dans un certain nombre de disciplines, en particulier dans les sciences humaines et sociales, qui apparaissent comme les moins rentables d'un point de vue économique. En effet, toutes les disciplines ne sont pas à égalité lorsqu'il s'agit d'attirer des investissements privés...
L'indépendance de l'université, l'enseignement par et pour la recherche, dans toutes les disciplines, à chaque cycle, dépendent bien du soutien de l'État. Pour être ambitieuse et répondre aux problèmes des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, l'autonomie doit s'accompagner d'un effort financier sans précédent de l'État leur permettant d'assurer leur mission première de production et de diffusion du savoir scientifique. Et cet investissement massif dans notre enseignement supérieur devrait se concrétiser dès cette année. La mise en place d'un collectif budgétaire est indispensable, de même qu'une véritable loi de programmation pluriannuelle des moyens de l'université.
Autre disposition du projet de loi qui suscite les plus vives critiques de la communauté universitaire : le recrutement des enseignants-chercheurs, en un mot la création par le futur conseil d'administration de comités de sélection.
Selon la conférence permanente du Conseil national des universités, la mise en place d'un tel système « porterait atteinte au principe du recrutement par concours, de la collégialité et au principe constitutionnel d'indépendance des professeurs d'université ». On peut en effet s'interroger sur la légitimité du recrutement opéré par des comités créés par des conseils d'administration qui ne compteraient pas des spécialistes de chaque discipline. Seule une structure reconnue dans chaque discipline est en mesure d'opérer le recrutement des futurs enseignants-chercheurs sur la base d'une évaluation objective de leurs qualités universitaires.
Nous ne pouvons certes nous satisfaire de la procédure actuelle, qui connaît de nombreux dysfonctionnements. La majorité des enseignants-chercheurs souhaite réformer un système marqué par l'endogamie excessive des commissions de spécialistes qui engendre parfois des comportements clientélistes.
Ne serait-il pas judicieux de créer des commissions spécialisées à un niveau interrégional ? De telles commissions, composées en grande partie d'enseignants-chercheurs de la même discipline que le postulant, présenteraient le double avantage d'atténuer le « localisme » tout en restant proches du terrain.
Autre question de fond soulevée par ce texte : l'avenir du statut de l'enseignant-chercheur qui, à l'heure actuelle, demeure un agent de la fonction publique d'État. La « liberté » accordée au président de recruter des agents contractuels pour des emplois d'enseignement et de recherche ouvre la porte à la remise en cause progressive de ce statut, d'autant que ces contractuels pourront être embauchés en CDD, mais aussi en CDI... Dans un contexte de non-remplacement des fonctionnaires qui partent en retraite, cette possibilité de recruter des agents contractuels laisse craindre, à court terme, une réduction de la dotation des universités en personnels.
Il ne s'agit pas là d'une question d'ordre corporatiste. Leur statut garantit aux enseignants-chercheurs leur indépendance intellectuelle et scientifique. Face à la tentation permanente de vouloir dissocier recherche et enseignement supérieur, il est indispensable de maintenir la double qualité de ces personnels. Ceux-ci sont à l'origine de la production de nouvelles connaissances et ont vocation à diffuser le fruit de leurs travaux.
Par ailleurs, la stabilité offerte par le statut de fonctionnaire de l'enseignant-chercheur contribue à rendre ce métier attractif. La disparition progressive de ce statut risque d'entraîner les plus brillants à se détourner de la recherche universitaire, déjà peu gratifiante du point de vue du revenu.
Outre ces nouvelles prérogatives, les présidents d'université disposeront de pouvoirs étendus dans le cadre de la rénovation de la gouvernance. Si certaines dispositions sont recevables pour conforter l'autorité des présidents, d'autres contredisent ouvertement les principes de collégialité et de fonctionnement démocratique de l'université. Ainsi en est-il, par exemple, de cette espèce de droit de veto conféré aux présidents en matière d'affectation des personnels. L'autonomie ne saurait en aucun cas s'accommoder d'un renoncement à la démocratie universitaire.
Je vous rappelle, madame la ministre, mes chers collègues, que c'est le droit de veto et la fuite stoppée à Varennes qui ont conduit Louis XVI à sa perte !