Une réforme d’envergure du droit du travail implique un consensus minimal entre les acteurs de la négociation collective.
Je vous renouvelle mon interrogation, madame la ministre : pourquoi bouleverser le droit du travail, à un an d’échéances électorales, au risque de fractures politiques profondes ?
Évidemment, la droite sénatoriale s’est engouffrée dans la brèche. En cas d’alternance, nous craignons que les garde-fous que vous avez pris soin de bien définir ne soient balayés.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est celui qui a été adopté par l’Assemblée nationale, du fait de l’application du 49.3. Ce n’est plus la version caricaturale proposée par le Sénat au mois de juin.
Ainsi, les 35 heures ont été rétablies, le plafonnement des indemnités prud’homales a été supprimé, le périmètre des licenciements économique repensé.
Les dispositifs qui suscitaient notre intérêt – la garantie jeunes et le compte personnel d’activité – ont retrouvé de leur substance.
La version qui nous est aujourd’hui proposée pourrait être qualifiée de « moins pire ». Seulement, organiser les relations de travail en se contentant du « moins pire » est insatisfaisant. Surtout lorsque l’on connaît les conséquences de la vie professionnelle sur la vie privée des salariés !
En ce sens, l’article 2 est particulièrement symbolique. En effet, les règles relatives au temps de travail auraient vocation à être déterminées à l’échelle de l’entreprise.
Si nous comprenons, madame la ministre, qu’il est important de développer le dialogue social de proximité, il nous semble indispensable de tenir compte du contexte économique : aujourd’hui, la contrainte économique pèse fortement sur les salariés. Comment négocier librement dans la crainte de perdre son emploi ?
Nous refusons la dynamique de ce projet de loi. Si de nouvelles libertés sont concédées aux entreprises, elles ne sont pas assorties de nouvelles protections pour les salariés. La notion de protection a d’ailleurs disparu de l’intitulé du projet de loi !
Si la flexibilité n’est pas assortie d’une sécurisation des parcours professionnels et de garanties pour l’emploi, où est la modernisation du droit du travail ? Serait-ce une course au moins-disant social dans laquelle la norme reviendrait à s’aligner sur les plus bas salaires et conduirait à l’absence de sécurité de l’emploi ?
De plus, madame la ministre, vous ne parvenez pas à nous démontrer que cette flexibilité accrue sera génératrice d’emplois. Bien au contraire, Alain Supiot, éminent spécialiste du droit du travail, a récemment rappelé que « les travaux de recherche conduits à l’échelle mondiale […] tendent à prouver que des standards de travail élevés favorisent la qualité de la main-d’œuvre et qu’ils ont sur l’emploi un effet soit neutre, soit positif ».
Plutôt que de favoriser la précarisation accrue du salarié, je suis convaincu qu’il faut privilégier une main-d’œuvre de qualité.
Le contexte actuel se caractérise par un dumping social. Je sais que vous n’y croyez pas, madame la ministre, mais il faut regarder la réalité en face ! La course au moins-disant social est perdue d’avance. En effet, d’autres pays, moins soucieux de la protection des salariés, pourront toujours surenchérir et ainsi diminuer encore le coût du travail, quel que soit le prix pour les salariés.
Plutôt que de nous enliser dans un combat perdu d’avance et dont le seul résultat serait la régression des avancées sociales, misons sur nos atouts et développons-les : le savoir-faire, la formation, les services publics, les infrastructures, la qualité de vie…
Le droit du travail doit aussi anticiper la transition énergétique et intégrer dès maintenant les normes environnementales.
Pour conclure, nous pensons que des assises du droit du travail auraient permis, sur le fond comme sur la forme, de travailler ensemble à une nouvelle législation ambitieuse et protectrice ; elles auraient évité le passage en force syndical et politique d’un texte sur le dialogue social…