Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 19 juillet 2016 à 14h30
Travail dialogue social et parcours professionnels — Exception d'irrecevabilité

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Vous me permettrez toutefois d’exprimer, au nom de mes collègues, une forme de respect pour la façon dont vous avez soutenu vos positions. Vous l’avez fait sans sectarisme, avec beaucoup de pédagogie, avec conviction. Je pense que vous connaissez parfaitement votre dossier – j’ai trouvé bien injustes certaines attaques, venues, je le souligne, de l’extérieur du Sénat –, et vous l’avez défendu avec élégance.

Malheureusement, madame la ministre, l’élégance ne suffit pas à rendre le texte aimable. §C'est la raison pour laquelle mon groupe votera la motion tendant à opposer la question préalable.

Nous nous trouvons devant une formidable occasion manquée. Ce texte restera emblématique de l’échec de ce gouvernement à trouver le chemin d’une vraie réforme, alors que la France a tant besoin de réformes.

Seul le Président de la République semble se satisfaire de la situation actuelle. Lorsque l’on se compare, on se console, dit-on souvent. Mais, quand on compare la situation économique de la France à celle des grands pays européens et occidentaux, on ne se console pas : on se désole.

La croissance française, depuis 2012, est deux fois moindre que celle de la moyenne des pays de l’OCDE.

En 2012, pour le chômage, la France était quatorzième sur vingt-huit en Europe. Aujourd'hui, nous sommes au vingt-et-unième rang, première raison pour laquelle la réforme est non pas une option, mais une nécessité.

Autre raison, tout aussi fondamentale : vous avez bénéficié d’une fenêtre de tir historique pour porter votre réforme. C’est ce que le Président de la République a appelé l’« alignement des planètes », non pas pour parler d’astrologie, mais pour constater que jamais, sur une aussi longue période et pour encore des années, nous n’avions bénéficié d’une situation économique aussi clémente, qu’il s’agisse des taux d’intérêt, du cours de l’euro ou du coût des matières premières et notamment du pétrole. Vous aurez gâché cette occasion historique.

On peut féliciter Mario Draghi, qui est un excellent président de la Banque centrale européenne, de pratiquer ce qu’on appelle l’assouplissement monétaire. Cette politique n’a qu’une seule justification : donner un peu d’élasticité aux économies et permettre aux gouvernements de profiter de cette occasion rêvée pour réformer. Le quantitative easing – l’assouplissement monétaire – ne peut être favorable qu’à cette unique condition : la réforme. Sinon, cela peut créer de graves problèmes, y compris en Europe et dans la zone euro.

Mais cette réforme aura été gâchée, avant même le dépôt du projet de loi, par le retrait de toutes les dispositions relatives au plafonnement des indemnités prud’homales. Puis, au cours de l’examen du texte, notamment par nos collègues députés, vous êtes allés de reculs successifs en renoncements. Bien sûr, il reste l’article 2, qui est l’une des dispositions emblématiques du texte, mais il est désormais corseté, terriblement encadré. Je pense notamment aux accords de branche et à l’article 13.

La réforme aura donc été vidée de son contenu. Notre groupe était prêt, Jean-Baptiste Lemoyne l’a dit, à soutenir la première version de votre texte, madame la ministre, qui partait d’une bonne intuition et constituait une chance pour l’emploi, alors que le texte final ne fera qu’introduire de nouvelles complexités. Ainsi, le texte aura non seulement été vidé de sa substance, après neutralisation de son ambition réformatrice, mais il se traduira également par de nouvelles lourdeurs. Pensez qu’il ne nécessitera pas moins de 127 décrets d’application !

Je citerai trois exemples de ces complexités bien françaises.

D’abord, comme l’a rappelé Michel Forissier, le compte pénibilité sera intégré au CPA, le compte personnel d’activité. Pour beaucoup de petites et moyennes entreprises, seuls les quatre premiers critères de cette mesure seront applicables. Tous les autres seront inapplicables et créeront des lourdeurs pour les entreprises françaises, ce qui aura des conséquences sur les plus fragiles d’entre elles, donc sur l’emploi.

Ensuite, vous remettez en cause l’indépendance des franchises. Dans quel objectif, quel but concret ?

Enfin, vous rendez obligatoire le mandatement syndical. Autre lourdeur si française !

Au bout du compte, cette réforme introduit donc toujours plus de complexité et représente une occasion manquée.

Je pense sincèrement que ce résultat décevant est la conséquence d’une erreur de méthode et d’une approche idéologique, car, pour faire aboutir une réforme, il faut au préalable réunir certaines conditions. Il s’agit, madame la ministre, d’un reproche que j’aurais pu adresser, par le passé, à ma propre famille politique, mais le parcours chaotique de ce texte restera un exemple à ne pas suivre pour celles et ceux qui, demain, devront – le voudront-ils ? – réformer la France.

Première erreur de méthode, la démocratie, c’est le consentement. Sans mandat clair du peuple, vous ne pouvez pas mener une réforme ambitieuse. Vous ne pouvez pas à la fois assumer le discours du Bourget et changer de pied quelque temps après. Sinon, c’est l’élongation et le claquage !

Deuxième erreur de méthode, on mène des réformes en début de mandat, pas à la fin. Permettez-moi de citer le candidat François Hollande, qui affirmait, en 2012, « les bonnes idées, il faut les avoir en début de mandat, pas à la fin ». Malheureusement, il n’a pas appliqué cette maxime à son propre mandat !

Troisième erreur, il faut donner du sens à la méthode que l’on adopte. Certes, vous avez porté ce texte, madame la ministre, mais la méthode a-t-elle été expliquée ? Le texte a-t-il été placé dans une perspective ? Si vous voulez mobiliser un peuple, vous devez donner du sens, inscrire une réforme dans un ensemble plus large, pour qu’il sache où vous voulez aller et quelle lueur vous espérez faire se lever à l’horizon de l’avenir.

Faute d’une bonne méthode, vos efforts ont été vains. Finalement, il ne faut pas s’étonner de ce que votre majorité se soit profondément fracturée.

Vous le remarquerez au passage – j’en remercie aussi bien le groupe centriste que le groupe que j’ai l’honneur de présider –, la majorité sénatoriale a été unie et cohérente, pour proposer un vrai texte, alors que nous avons vu ici même, parfois avec quelque étonnement, votre majorité se diviser.

Vous vous êtes mis à dos la France de gauche, celle qui considère que le code du travail est intouchable. Ce serait une sorte de totem qu’il ne faudrait surtout pas modifier, quels qu’en soient les fruits amers.

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