Ce souhait ne se justifie pas par la volonté d’une promulgation rapide. En réalité, nous espérons tous la fin de l’examen de ce texte, car elle marquera – pour un temps seulement, sans doute… – la fin de longs mois de tensions sociales et politiques dont, dans le contexte que chacun connaît, nous n’avions vraiment pas besoin.
Votre projet de loi, madame la ministre, n’avait que très peu de chances d’aboutir tel que vous l’aviez imaginé, et ce pour plusieurs raisons.
La principale était un manque de préparation. Le Gouvernement n’avait pas pris la mesure de la défiance des partenaires sociaux à son encontre, après une succession de réformes mal engagées et d’échecs politiques, défiance d’ailleurs largement partagée par nos concitoyens.
En ne consultant pas suffisamment en amont, en ne négociant pas suffisamment tôt, en ne respectant pas complètement l’article 1er du code du travail, vous avez donné à notre pays l’occasion d’exprimer l’un de ses travers bien connus.
Ce manque de préparation s’est également manifesté sur un plan plus politique. Dès la présentation du texte, vous n’aviez pas de majorité pour le défendre à l’Assemblée nationale. Cet épisode a démontré une fois de plus que la majorité formée par François Hollande au début de son quinquennat n’avait qu’un sens relatif et que l’unité de la gauche était fugitive.
La gauche que vous avez invoquée tout à l’heure n’a pas non plus pris la peine de clarifier sa vision de l’entreprise. C’est ce qui est ressorti très clairement des tensions observées entre frondeurs et socialistes. Nous en avons été témoins au Sénat : entre les idées de Mme Bricq et de Mme Lienemann, il y a un monde, chacun en conviendra.
En sus d’un manque de préparation, ce texte a pâti d’un manque de pédagogie. D’aucuns, dans notre pays, se refusent à tout changement. Par peur, intérêt ou conformisme, ils ont d’emblée contesté votre projet de loi, lequel, conformément à sa philosophie originelle en tout cas, impliquait, en matière de droit du travail, des évolutions que nous attendions.
Ces personnes systématiquement hostiles au changement savent utiliser l’opinion publique pour défendre leurs positions ; elles savent mobiliser, jouer sur les peurs et les frustrations ; elles ne font preuve d’aucune retenue lorsqu’il s’agit de contester la moindre réforme. Vous n’avez pas su, madame la ministre, les contredire et expliquer à nos concitoyens vos objectifs, votre conception du monde du travail, notamment de la négociation collective et de la médecine du travail.
Une meilleure préparation, un effort de présentation et de meilleures explications auraient permis à ce texte de passer plus sereinement l’étape de l’examen parlementaire. Vous aurez beau nous rappeler le nombre d’amendements retenus en commission et dans la version considérée comme adoptée, la réalité est que le débat n’a pas eu lieu à l’Assemblée nationale. Il ne s’agissait que d’un dialogue de sourds.
Quant au Sénat, il vous a démontré qu’un vrai débat démocratique était possible. Il a eu lieu pendant dix jours dans notre hémicycle. Vous avez pu défendre votre texte, et la majorité sénatoriale unie a pu s’exprimer et défendre ses positions. Ce ne sont pas nos collègues du groupe CRC, qui ont déposé et présenté plusieurs centaines d’amendements, qui diront le contraire.
Nos rapporteurs, dont je salue l’implication et que je félicite pour la qualité du travail accompli, ont su proposer une version aboutie de votre texte, enrichie non seulement par les propositions des groupes non seulement de la majorité, mais aussi de l’opposition sénatoriales. Le texte voté par le Sénat n’était pas plus « dur » ou plus « libéral », comme on a pu le lire çà et là. La caricature est facile sur ces sujets lorsque l’on reste dans des postures, et elle permet en fait de faire l’économie d’une véritable analyse !
En se fondant sur la philosophie de votre projet initial et sur le rapport Combrexelle, le texte du Sénat a su lier souplesse, simplicité et efficacité, pour reprendre les termes utilisés par notre collègue Jean-Marc Gabouty lors de la première lecture.
Nous avons ainsi adapté la définition du licenciement économique, pour que l’effort ne repose pas uniquement sur les salariés ; nous avons souhaité encourager l’intéressement, développer l’apprentissage, moderniser la médecine du travail, mais aussi, et surtout, donner une plus grande marge de manœuvre aux accords d’entreprise.
Dans certaines matières, l’entreprise sera le cadre à privilégier ; dans d’autres, la branche sera la référence, tandis que, dans d’autres matières encore, c’est la loi qui devra prouver toute son efficacité. Sachons adapter notre monde du travail et n’ayons pas peur du dialogue social, même direct !
Malheureusement, mais l’on s’y attendait, l’action du Sénat a été entièrement déconstruite par l’Assemblée nationale. La version que vous nous soumettez aujourd’hui est peu ou prou identique à celle qui nous avait été transmise en première lecture. Au groupe UDI-UC, nous considérons, madame la ministre, qu’il est aujourd’hui essentiel, à la lumière de cette expérience, de revoir notre façon de gouverner et de légiférer.
La défiance de nos concitoyens à l’encontre des responsables politiques nous oblige à revoir nos méthodes. Il faut sortir du temps médiatique, et prendre de nouveau le temps, sur des questions aussi essentielles, de travailler efficacement et méthodiquement. Il convient d’expliquer au préalable ce que l’on va faire. A fortiori, il ne faut surtout pas faire, comme vous l’avez malheureusement fait, ce que l’on n’a pas annoncé ou l’inverse de ce que l’on a annoncé.
Il s’agit là de la principale leçon des discussions de ce texte, qui est un échec sur bien des aspects. L’objectif initial de votre projet, qui était de permettre aux 5 millions de Français au chômage de retrouver le chemin de l’emploi, s’est rapidement effacé au profit de querelles idéologiques et de calculs politiques.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable à ce projet de loi.