Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, rassurez-vous, après quatre-vingts heures de débat, je ne reprendrai pas l’ensemble de mes arguments en faveur de ce texte.
Néanmoins, j’apporterai aujourd'hui quelques éléments de réponse, notamment à la question posée par MM. Bruno Retailleau et Jean Desessard.
Pourquoi une réforme la dernière année du quinquennat ? Parce que le Président de la République est élu pour cinq ans ! Il mène donc des réformes de 2012 à 2017, d’autant que notre pays en a besoin.
Nous avons fait de nombreuses réformes. Je pense notamment à la loi relative à la sécurisation de l’emploi de 2013, à la négociation réussie concernant les plans de sauvegarde de l’emploi, les PSE, sujet particulièrement sensible, à la loi relative au dialogue social et à l’emploi, et à la réforme de la formation professionnelle.
En effet, dans le champ du travail et de l’emploi, nous avons ainsi fait adopter une loi chaque année. Attachés à notre modèle social, nous devons également être lucides sur la situation de notre pays. Aimer son pays, c’est aussi prendre ses responsabilités, face aux défis immenses qui l’attendent. Nous avons donc fait le choix de nous adapter, pour que notre modèle social ne disparaisse pas.
Au sein de l’Union européenne, nous sommes le deuxième pays où il y a le plus d’utilisateurs de CDD de moins d’un mois. Nous savons bien qu’il y a un problème et qu’il est nécessaire de faciliter l’emploi durable. C’est une question essentielle.
Ma vision de l’entreprise, que j’assume, n’est pas manichéenne. Malgré les débats et les tensions, je pense en effet que notre pays doit se tourner davantage vers la culture de la négociation et du compromis. Nous avons anticipé une telle évolution, le Premier ministre ayant demandé voilà plus d’un an, au printemps 2015, un rapport à Jean-Denis Combrexelle relatif à la négociation collective, et notamment à la négociation d’entreprise. M. le président de la commission l’a suffisamment dit au cours des débats, de nombreux rapports sont demandés au ministère du travail. Si nous n’avions pas tenu compte des enseignements de celui-ci, que ne nous aurait-on pas reproché ? Sans doute nous aurait-on accusés de commander des rapports pour évacuer le sujet !
Il faut assumer les choses, et notamment le fait que, dans notre pays, les contournements du droit du travail sont nombreux. Nous le voyons bien, le travail détaché, le travail indépendant et l’intérim se répandent. L’enjeu est là.
Pourquoi donner plus de place à la négociation ? Pour être capables de mieux nous adapter dans un monde qui bouge très vite, tout en préservant notre modèle social. Je considère en effet que c’est par le dialogue social au plus près de l’entreprise, avec les garde-fous que nous avons posés, notamment le principe majoritaire, qui est pour moi essentiel dans ce projet de loi, que nous arriverons à faire avancer le progrès social et le progrès économique dans un même mouvement.
Ce texte permet aussi des avancées essentielles. Cela fait trente ans que nous le disons, la formation professionnelle ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin. Nous avons donc établi un droit universel à la formation, abondé les comptes des salariés les moins qualifiés, développé la formation des demandeurs d’emploi, ainsi que la garantie jeunes.
Pour ma part, je n’opposerai jamais l’apprentissage à la garantie jeunes ! Je défends bien sûr l’apprentissage : sept apprentis sur dix trouvent un emploi ! Cela fait vingt ans que le sujet était tabou : on ne voulait pas ouvrir à l’apprentissage les titres professionnels délivrés par le ministère du travail. Je l’ai fait en six mois. En tant que président de région, vous le savez, monsieur Retailleau, puisque vous avez reçu mon courrier. Ce dispositif essentiel, adapté à la situation de certains jeunes, a donc été développé.
La garantie jeunes est un dispositif d’accompagnement, un contrat gagnant-gagnant entre le jeune et la mission locale, qui permet de le placer en situation professionnelle. C’est tout sauf une allocation !
Vous avez raison, monsieur Zocchetto, des erreurs de pédagogie ont été commises. Je les ai assumées, je l’ai dit en première lecture, et je continue à les assumer pleinement. Certes, le conflit politique et la tenue des élections dans un an expliquent en partie la situation. Toutefois, ne l’oublions pas, les organisations syndicales ont des visions différentes. Ce n’est pas pour rien qu’elles ont refusé la négociation sur le rapport de Jean-Denis Combrexelle. Ces difficultés, ces analyses différentes au sein du front syndical ne sont pas nouvelles, ne nous racontons pas d’histoires.
Souvenez-vous du débat sur les retraites complémentaires à l’automne dernier ! Vous le savez bien, une organisation syndicale boycotte depuis de nombreuses années les conférences sociales et refuse de signer les accords nationaux interprofessionnels. Ne réinventons pas un décor idéal, où chacun s’entendrait et serait capable de trouver des solutions avec les autres !
Le sujet abordé a donc été à l’origine de visions différentes. Je n’oppose pas le culte de la loi au contrat. Je crois que, dans notre pays, nous avons besoin non seulement de la loi et du code du travail, mais aussi de branches professionnelles beaucoup plus fortes. Si nous devons restructurer les branches, c’est bien parce que la négociation n’y est pas suffisamment dynamique. La négociation au sein des entreprises est également essentielle.
Le débat a souffert de propos caricaturaux. La semaine dernière, un jeune affirmait que, après l’adoption de la loi Travail, les apprentis travailleraient 60 heures par semaines ! En butte à de telles caricatures, comment voulez-vous gagner la bataille de l’opinion ? Bien sûr, le Gouvernement a commis des erreurs. Toutefois, je considère que nous avons trouvé un compromis à chaque étape, notamment avec les organisations syndicales qui soutiennent ce texte.
D’ailleurs, monsieur Watrin, vous oubliez souvent de parler du soutien de certaines organisations syndicales au texte, qui est tout autre chose qu’un retour au XIXe siècle. C’est au contraire un acte de confiance envers le dialogue social et il institue de nouveaux droits qui nous permettront de nous adapter.
On aurait évidemment espéré que les choses se passent différemment. Néanmoins, j’en suis persuadée, quand le compte personnel d’activité sera ouvert à nombre de nos concitoyens, quand les artisans et les commerçants auront droit à la formation professionnelle, ce qui sera le cas dès janvier 2018, quand les jeunes les plus précaires trouveront un emploi grâce à la garantie jeunes, quand le sort des saisonniers s’améliorera grâce aux nouveaux contrats, alors, la période de cinq mois que nous venons de vivre, et qui va peut-être se poursuivre, sera bien derrière nous !
Le sens de l’État et de l’intérêt général, c’est de continuer à avancer lorsque l’on croit en son pays.