Sur proposition de notre rapporteur Michel Forissier, dont la connaissance du sujet, compte tenu de sa longue expérience professionnelle en la matière, ne peut être mise en doute, notre commission avait complété le texte par douze articles visant à répondre aux défis auxquels fait aujourd’hui face l’apprentissage.
Ces dispositions étaient issues de la proposition de loi visant à développer l’apprentissage comme voie de réussite, rédigée au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises par notre collègue Élisabeth Lamure, au terme d’un long processus d’échanges avec tous les acteurs concernés : ministères du travail et de l’éducation nationale, chambres consulaires, partenaires sociaux, régions.
Cette démarche reposait sur un diagnostic très largement partagé : en France, l’apprentissage doit faire face à de nombreux obstacles institutionnels, culturels et financiers, qui l’empêchent d’occuper la place qui devrait être la sienne dans notre société. Notre commission avait d’ailleurs pu constater, en avril 2015, lors d’un déplacement sur ce thème en Allemagne et en Autriche, que des réformes de bon sens et consensuelles permettraient de surmonter les difficultés.
Pourtant, toutes les mesures que nous avons adoptées ont été balayées d’un revers de main par les députés, sans même que ceux-ci daignent en retravailler certaines ou faire des propositions alternatives. J’aimerais, à titre d’exemple, en citer trois.
Tout d’abord, la création d’un pacte national pour l’apprentissage, sur le modèle allemand de l’alliance pour la formation initiale et continue, nous semblait indispensable. Ce pacte aurait organisé la nécessaire coordination de tous les acteurs concernés, sur la base du volontariat, sans remettre en cause les prérogatives de chacun, en particulier des régions. Si un État comme l’Allemagne parvient à concilier son organisation fédérale avec un pilotage national de l’apprentissage, pourquoi notre pays n’y parviendrait-il pas ?
Ensuite, l’information des élèves sur les métiers, aujourd’hui pour le moins lacunaire, devait selon nous être améliorée. C’est pourquoi nous avons proposé que les jeunes élaborant un projet d’orientation vers l’apprentissage puissent bénéficier, dès l’obtention du brevet et sous statut scolaire, du dispositif d’initiation aux métiers en alternance, le DIMA.
Enfin, compte tenu du taux élevé de rupture prématurée des contrats d’apprentissage, qui dépasse les 30 % dans certaines filières, nous nous étions inspirés de l’exemple alsacien pour rendre obligatoire la médiation consulaire préalablement à toute rupture d’un contrat d’apprentissage.
Il est profondément regrettable que de telles propositions aient été écartées sans discussion.
Au-delà même de la question de l’apprentissage, la plupart des apports du Sénat ne figurent plus dans le texte qui nous a été transmis, qu’il s’agisse de la simplification et de la sécurisation du cadre juridique applicable aux entreprises, du renforcement de leur compétitivité, de la prise en compte des spécificités des TPE et des PME ou de la réaffirmation des missions de la médecine du travail.
Dès lors, madame la ministre, vous comprendrez aisément qu’il ne nous paraisse pas opportun de soumettre ce projet de loi à une nouvelle lecture : la position de notre assemblée a pu être largement développée en première lecture, et nous ne sommes pas en mesure de faire évoluer davantage un texte sur lequel le Gouvernement devra sans doute engager demain pour la troisième fois sa responsabilité afin de le faire adopter par l’Assemblée nationale en lecture définitive.
Nous voici parvenus au moment de dire « non » au Gouvernement. Madame le ministre, nous ne sommes d’accord avec votre projet de loi ni sur le fond, qui n’existe pratiquement plus, ni sur la forme. Voici une loi dont la particularité aura été d’être applicable sans avoir été votée ni par l’Assemblée nationale, victime d’un 49.3 autoritaire, ni par le Sénat, victime de votre volonté de ne rien retenir de ses excellentes idées – sur l’apprentissage, par exemple, nous vous avions montré une voie pragmatique qui aurait pu enfin mener à une possible réussite –, dont même les plus polémiques auraient pu donner lieu à des applications positives.
Mes chers collègues, le moment que nous vivons est paradoxal : après avoir tant critiqué, pendant cinq ans, le Président Sarkozy et son Premier ministre François Fillon pour leur autoritarisme, alors que ces derniers n’ont jamais utilisé le 49.3, jamais produit le moindre heurt dans la rue, jamais mis en danger la renommée internationale de notre pays, …