Intervention de Manuel Valls

Réunion du 20 juillet 2016 à 17h00
Prorogation de l'état d'urgence — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Manuel Valls, Premier ministre :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, hier soir, ou plutôt de bonne heure ce matin, j’étais devant vos collègues députés. Et je suis, cette après-midi, devant vous, avec un même objectif : continuer de prendre toutes les mesures qui s’imposent face au terrorisme islamiste.

Le 14 juillet dernier, il a frappé de nouveau la France. Il a frappé Nice. Bien sûr, nous pensons tous aux victimes, à leurs proches. Nous pensons aux blessés, à ceux qui luttent encore pour la vie.

Sur place, au lendemain du drame, et lundi, lors de la minute de silence, j’ai vu des visages pleins de douleur, des yeux pleins d’une peine immense. J’ai entendu des interrogations. J’ai également entendu la colère. J’ai ressenti cette attente, partagée par tous nos compatriotes – vous la connaissez et vous l’entendez également –, une attente de protection face à cette menace si lourde qui pèse depuis plusieurs mois maintenant sur notre pays.

La France est visée parce qu’elle est une grande démocratie, qui porte des valeurs universelles. Elle est visée parce que nous assumons nos responsabilités de grande puissance, en engageant nos forces armées au Sahel et au Levant pour anéantir les groupes djihadistes. Et je veux, monsieur le président du Sénat, rendre à mon tour hommage à nos trois militaires qui viennent de tomber en opération sur le sol libyen.

La France est visée parce qu’elle est ce pays si particulier, laïc, certes, mais qui compte aussi des millions de citoyens de religion ou de culture musulmane. Et c’est précisément ce modèle républicain et laïc que les fanatiques ne supportent pas et qu’ils voudraient faire voler en éclats.

Toutefois, la France, parce qu’elle est la France, parce qu’elle a un peuple courageux, ne peut pas et ne se laissera pas déstabiliser. Nous tiendrons ! Et nous mènerons jusqu’au bout la guerre qui nous a été déclarée, pour la gagner.

C’est un fait : même s’il garde encore des positions fortes, l’État islamique perd du terrain en Irak et en Syrie grâce à l’offensive de la coalition – ou des coalitions. Et c’est précisément parce qu’il est sur le reculoir que l’État islamique intensifie ses appels à répandre la mort.

Nous l’avons vu il y a deux jours en Allemagne, avec cette attaque dans un train en Bavière. Nous l’avons vu, ces derniers temps, en Belgique, aux États-Unis, bien sûr, mais aussi au Bangladesh, au Cameroun, en Arabie Saoudite, en Irak, en Turquie, pour ne citer que les attentats les plus récents.

Tous ces actes de barbarie soulignent combien la menace est élevée, plus élevée que jamais, car elle peut prendre des formes multiples, et c’est bien le grand défi.

Il y a ces attaques coordonnées et planifiées par des donneurs d’ordres depuis les sanctuaires irakiens ou syriens, mais il y a aussi – c’était le cas à Magnanville, comme ce fut le cas à Nice – des attaques menées par des individus plus ou moins autonomes qui se radicalisent, parfois très rapidement, que nos services ne connaissent pas – tel l’individu qui a agi à Nice –, en ayant accès au matériel idéologique diffusé sur les réseaux sociaux par la machine de propagande djihadiste.

Cette « troisième génération » du djihadisme est facile à mettre en œuvre, mais extrêmement difficile à combattre, car les individus sont particulièrement difficiles à identifier et à débusquer.

Nos services de renseignement et nos forces de sécurité font face à un immense défi. Et ceux qui promettent des solutions miracles au terrorisme, ceux qui laissent entendre, ce qui est plus indécent encore, que tout n’a pas été fait, commettent une faute lourde. Ils mentent aux Français, exploitent les peurs, sèment les divisions au moment même où nous devons être unis, soudés et faire bloc !

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons la vérité à nos concitoyens.

La vérité, c’est que, à ce jour, quelque 2 147 ressortissants français ou étrangers résidant en France sont connus pour leur implication dans les filières syro-irakiennes. Quelque 680 adultes, dont un tiers de femmes, sont présents sur place ; 179 individus sont en transit dans un pays tiers pour rejoindre la zone des combats ou en revenir et 203 sont revenus sur le territoire français.

Je l’ai dit hier encore à l’Assemblée nationale, cette question du retour des individus partis se battre au Proche-Orient constitue un défi considérable pour la France, pour l’Europe, bref, pour tous les pays concernés par ces terroristes.

La vérité que nous devons à nos concitoyens, c’est également que le risque zéro n’existe pas et n’existera jamais. La vérité, la dure vérité à laquelle nous devons être préparés, c’est que le terrorisme islamiste essaiera à nouveau de frapper et qu’il y aura à nouveau – cela me coûte de le dire ainsi – des innocents tués. Bien sûr, et j’y reviendrai, tout est fait et tout doit être fait pour empêcher ces attentats. Néanmoins, c’est à cette réalité que nous sommes confrontés.

Dire cela, c’est non pas céder au fatalisme, mais être lucides sur le combat qui est devant nous et que nous devons livrer, lucides également sur les moyens que nous devons mobiliser et les dispositifs que nous devons déployer. L’état d’urgence en est un. Il me paraît avoir montré son efficacité depuis le 14 novembre dernier.

Au cours des derniers mois, 3 594 perquisitions administratives ont donné lieu à l’ouverture de près de 600 procédures judiciaires. Elles ont permis également, vous le savez – ces chiffres ont déjà été donnés par le ministre de l’intérieur – la saisie de 756 armes, dont 75 armes de guerre. Les assignations à résidence ont renforcé la vigilance autour d’individus potentiellement dangereux : 77 sont encore concernés à ce jour.

Parce qu’il pourrait pousser d’autres individus, par simple mimétisme, à passer à l’acte, l’attentat de Nice, inédit par son ampleur et son mode opératoire, impose une nouvelle prorogation de l’état d’urgence, la quatrième.

Vos collègues députés l’ont votée pour une durée de six mois à une très large majorité, conservant comme périmètre géographique le territoire métropolitain et les départements d’outre-mer. Il vous appartient à présent de faire de même – je vous y invite, bien sûr – et de voter cette prolongation, avec une ampleur semblable à celle qu’elle a recueillie hier. Les Français attendent ce message fort de leurs représentants.

Lors de la dernière prolongation, nous n’avions pas inclus les perquisitions administratives, tout simplement parce que la plupart des lieux identifiés avaient déjà fait l’objet d’investigations. Au regard du terrible et abject attentat de Nice, le texte qui vous est présenté prévoit de les autoriser à nouveau.

Ces perquisitions ont, en effet, un très grand intérêt opérationnel. Elles permettent, tout d’abord, d’engager des procédures judiciaires. Elles jouent, ensuite, un rôle dissuasif. Elles permettent, enfin, grâce à une levée de doutes, de concentrer l’attention et les moyens sur les individus les plus dangereux. Tout en rétablissant les perquisitions administratives, ce projet de loi entend accroître leur efficacité, d’abord grâce à la définition d’un cadre pour la saisie et l’exploitation de données contenues dans les ordinateurs ou les téléphones.

Cette adaptation de la loi de 1955 vient après la décision du Conseil constitutionnel du 19 février dernier, lequel avait censuré, faute de garanties légales suffisantes, la disposition de la loi relative à la copie de données informatiques. Ces garanties sont aujourd’hui apportées, aussi bien sur la nature des éléments saisis, puis exploités, que sur la procédure permettant ces saisies et exploitations.

L’efficacité accrue des perquisitions administratives, c’est également la possibilité qui est ouverte de procéder immédiatement à une perquisition dans un autre lieu fréquenté par la personne visée, ce que l’on appelle le « droit de suite ».

L’état d’urgence, mesdames, messieurs les sénateurs, est un dispositif efficace pour lutter contre le terrorisme, désorganiser les filières, traquer les individus, les empêcher de passer à l’acte. C’est un dispositif qui s’inscrit pleinement dans notre État de droit, puisque la justice administrative et le Parlement continueront de contrôler étroitement toutes les mesures mises en œuvre.

Ce matin, votre commission des lois a validé cette prorogation et votre rapporteur, Michel Mercier, a introduit de nombreuses modifications.

Vous le savez, le Gouvernement est prêt à étudier toutes les mesures qui permettent de renforcer l’efficacité de notre lutte antiterroriste, dans le respect de l’État de droit. De mon point de vue, la rétention de sûreté sort évidemment de ce cadre. Il y a, de toute façon, une ligne infranchissable. Elle guidera le Gouvernement dans les échanges que nous allons avoir avec vous et dont je ne doute pas un seul instant qu’ils seront constructifs.

L’état d’urgence vient renforcer la stratégie globale de lutte contre le terrorisme qui est mise en œuvre depuis quatre ans – il nous fallait en effet tirer les leçons des attentats de Montauban et de Toulouse.

Oui, je l’avoue avec humilité – celle-ci s’impose à tous –, notre dispositif est sans doute encore perfectible, parce que l’ennemi est redoutable, qu’il s’adapte en permanence, et qu’il est opportuniste.

Toutefois, ce que je sais – je le dis à chacun d’entre vous –, c’est que beaucoup a été fait. Et avec le Président de la République, les ministres de l’intérieur, de la défense, de la justice, nous serons toujours là – avec votre soutien, je n’en doute pas – pour défendre le travail de nos policiers, de nos gendarmes, de nos militaires, de nos magistrats. Tous agissent sur le terrain, pour la sécurité de nos compatriotes, et avec quel engagement et quel courage ! Je l’ai encore constaté ces derniers jours à Nice, avec le ministre de l’intérieur.

Bien sûr, il faut toujours aller au fond des choses, tirer les enseignements de nos échecs et répondre aux questions légitimes de nos concitoyens.

Néanmoins, je veux le dire une bonne fois pour toutes, parce que je pense qu’il faut parler avec franchise, sans cacher la vérité : dans un tel moment, quand on est un élu de la République, on ne joue pas à mettre en cause la parole publique, on ne joue pas à jeter le discrédit sur nos forces de l’ordre, on ne joue pas à souffler sur les braises des populismes et de la discorde. Et cela moins encore quand on a été élu par un front républicain et pour la concorde entre les citoyens !

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