Je prête, comme vous, une attention particulière à la mise en œuvre des décrets d’application.
Nous reviendrons au cours du débat sur cette question des transports, qui est tout à fait essentielle.
Notre stratégie de lutte contre le terrorisme consiste aussi à augmenter les moyens matériels, technologiques et humains. En l’espace de cinq ans, près de 9 000 postes supplémentaires auront été créés dans la police et la gendarmerie, dont 2 100 pour les services de renseignement. Nous aurons également créé 7 000 emplois dans la justice et 1 000 dans les douanes.
Parce que la présence sur le terrain est essentielle, 10 000 militaires resteront déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle. Ils rempliront deux missions principales : le contrôle des flux – aux frontières, dans les gares, les aéroports – et la sécurisation des grands rassemblements estivaux. Hier, à Avignon, Bernard Cazeneuve et Jean-Yves Le Drian ont eu l’occasion de le rappeler.
Par ailleurs, la gendarmerie et la police vont activer leur réserve opérationnelle de premier niveau. Ce sont quelque 15 500 volontaires que les préfets pourront mobiliser pour soulager pendant ces mois d’été les forces de sécurité, dont nous connaissons l’engagement, mais aussi parfois la fatigue.
Il y a, au-delà de la question des effectifs, le sujet des structures et des moyens. Dans ce cadre, nous avons créé la DGSI, la Direction générale de la sécurité intérieure, et renforcé son indispensable complémentarité avec le Service central de renseignement territorial, le SCRT. Nous savons, notamment après la suppression des Renseignements généraux, combien il est essentiel de pouvoir capter ce que l’on appelle les « signaux faibles » sur le terrain.
Bien sûr, on peut toujours réfléchir aux moyens d’améliorer les dispositifs en place. Aucun débat, par principe, n’est interdit. Toutefois, comme le ministre de l’intérieur l’a très justement souligné, il faut éviter des restructurations à répétition, surtout dans les périodes où les services doivent faire face à une charge de travail et à une pression sans précédent.
En matière de renseignement, il faut de la continuité dans les méthodes de travail et de la stabilité. Il faut, surtout, que les personnels des services se concentrent sur l’essentiel : la détection et le suivi des terroristes.
Les structures et les moyens, ce sont aussi l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme, pour coordonner le suivi des individus radicalisés, le schéma d’intervention des forces spécialisées, la modernisation du matériel des équipages qui interviennent les premiers sur les lieux d’un attentat, avec des armements et des protections adaptés, afin d’assurer leur propre sécurité et de pouvoir neutraliser les terroristes.
Tous ces débats, nous les avons eus, et les décisions ont été prises, notamment après l’attentat du Bataclan. En tout, ce sont quelque 233 millions d’euros qui ont été affectés à nos services pour leur permettre de mieux faire face à la menace terroriste.
Notre stratégie, c’est aussi bien sûr le renforcement de la lutte antiterroriste au niveau européen. Nous avons obtenu des avancées décisives : PNR ou Passenger Name R ecord européen, création d’un corps de garde-frontières, plan de lutte contre les armes à feu. Là encore – il y va d'ailleurs de la crédibilité de l’Europe –, il faut que les décisions s’appliquent réellement et rapidement sur le terrain.
Enfin, notre stratégie est de lutter contre la radicalisation, ce mal profond qui est à l’œuvre dans notre société. C’est incontestablement le principal défi et le plus difficile à relever. Le constat, j’ai déjà eu l’occasion de le dresser devant vous : l’idéologie mortifère de Daech séduit sur fond de rupture totale avec la République, de perte de sens de nos sociétés, mais aussi, bien sûr, de désespérance sociale.
Sortons des clichés : toutes les franges de la population sont concernées. Bien sûr, nos quartiers populaires sont touchés. C’est là, en premier lieu, que les prêcheurs de haine mènent leur entreprise funeste d’embrigadement. C’est là, en premier lieu, que le salafisme fait le plus de ravages. C’est là, en premier lieu, qu’il doit être combattu. Et l’islam de France a ici un énorme rôle à jouer, avec notre soutien, mais en prenant aussi clairement ses responsabilités. Monsieur le ministre de l’intérieur, l’instance de dialogue que vous avez mise en place participe de ce travail, qui demande une mobilisation de tous.
De ce point de vue, nous devons aussi protéger nos compatriotes musulmans, qui font aujourd’hui office de boucs émissaires et sont désignés comme les responsables de cette situation. Les mots haineux et racistes que l’on a entendus ces derniers jours sont inacceptables : nous devons donc les combattre avec la plus grande détermination.
Cela dit, le djihadisme recrute partout, sur tous les territoires et dans toutes les couches sociales : il recrute parmi les Français de confession et de culture musulmanes comme parmi les jeunes convertis, parmi les hommes comme parmi les femmes.
Voilà le défi immense que nous devons affronter, un défi qui dépasse la seule réponse sécuritaire. Nous devons ramener vers la République tous ceux qui s’en éloignent. Nous devons les faire adhérer à son projet et à ses valeurs en traduisant davantage la République dans les faits et en leur opposant, non pas un seul, mais bien plusieurs puissants contre-discours. Il faut porter la contradiction. Il faut inciter à l’autodéfense intellectuelle. Il faut déconstruire cette rhétorique. Il faut la démonter, avec audace et sens de l’innovation.
Chacun, dans la société, doit s’en sentir responsable. C’est le rôle de l’État, bien sûr, et nous avons d’ailleurs pris des initiatives qui peuvent être encore approfondies, amplifiées et développées ; c’est aussi celui des collectivités. On sait toutefois combien les institutions sont elles-mêmes considérées comme étant de parti pris. C’est donc à toute la société civile qu’il revient de fabriquer les anticorps nécessaires contre le poison conspirationniste, qui se trouve, notamment, mais non exclusivement, sur les réseaux sociaux.
Il se trouve aujourd’hui des volontaires pour mener ce combat. Nous les aiderons, nous les soutiendrons. Souvent, ils ont vu de près les ravages de la radicalisation sur les familles et sur les quartiers. Ce combat doit donc être mené partout : dans les mosquées, dans les quartiers, dans les familles, enfin dans la société tout entière : chacun doit assumer ses responsabilités !
En matière de radicalisation, beaucoup a été fait ou, du moins, beaucoup a été annoncé. Nous devons faire beaucoup plus. Tel est le sens du plan d’action que j’ai présenté en mai dernier. Il faut mobiliser tous les ministères et associer à l’effort l’ensemble des partenaires de l’État, jusqu’aux entreprises privées et aux fondations. Cette mobilisation de la société est nécessaire, parce que c’est le combat d’une génération. Cette guerre sera longue et se mènera, non pas seulement à l’extérieur, mais d’abord en France.
Notre objectif est de détecter le plus tôt possible les individus susceptibles de basculer. Imaginez toutes les questions qui se posent autour de la radicalisation extrêmement rapide de l’individu qui a commis l’effrayant attentat de Nice !
Le numéro vert destiné aux familles a permis le signalement de plus de 5 000 individus – on voit bien l’ampleur du défi – et empêché de nombreux départs. Plus de 1 100 jeunes sont aujourd’hui suivis dans le cadre des structures mises en place au niveau de chaque préfecture. Près de 600 familles confrontées à des cas de radicalisation bénéficient par ailleurs d’un accompagnement.
La réponse doit être plus forte encore ; elle doit être professionnalisée et individualisée.
C’est aussi pourquoi nous avons mis en place des centres de réinsertion et de citoyenneté. Je reconnais que c’est difficile à mettre en œuvre, pour des questions légales, parce que nombre de territoires ne veulent pas accueillir ce type de centres. Le premier d’entre eux ouvrira néanmoins dès septembre prochain en Indre-et-Loire.
Je veux à ce propos remercier ici les élus locaux, à commencer par la sénatrice Stéphanie Riocreux, du soutien qu’ils apportent à ce projet. J’ai bien conscience de la difficulté d’un tel projet et des inquiétudes que l’ouverture d’un tel centre peut susciter. Imaginez ce que ce sera quand il y en aura plusieurs ! Néanmoins, ce n’est qu’ensemble, collectivement, que nous pourrons venir à bout de ce fléau qu’est la radicalisation : il faut continuer de mener ce combat, notamment dans nos prisons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dire la vérité aux Français, c’est aussi leur rappeler que notre stratégie de lutte contre le terrorisme apporte des résultats. Si nous le taisions, nous disqualifierions tout ce qui a été engagé. Il faut en revanche toujours conserver à cet égard une immense modestie.
Depuis 2012, quelque 16 attentats ont été déjoués sur notre sol, notamment, au mois de mars dernier, celui que planifiait le réseau Kriket, qui s’apprêtait à frapper notre pays. Depuis le début de l’année 2016, quelque 161 personnes ont été interpellées pour leur implication dans la mouvance djihadiste.
Au-delà de la réponse judiciaire, le Gouvernement a recours à toutes les mesures de police administrative autorisées, notamment, par les lois que vous avez adoptées au cours des dernières années : 158 interdictions administratives du territoire et 366 interdictions de sortie du territoire ont été prononcées. En outre, 80 arrêtés d’expulsion ont été pris à l’encontre de prêcheurs de haine ou d’imams autoproclamés. Dix mosquées ou salles de prières ont été fermées.
Enfin, depuis le rétablissement du contrôle aux frontières consécutif aux attentats du 13 novembre dernier, 48 millions de personnes ont été contrôlées à nos frontières terrestres, aériennes et maritimes, et 28 000 individus ont été empêchés de pénétrer sur le territoire en raison de leur dangerosité.
Ces résultats, qui ne doivent pas être masqués par les tragiques attentats auxquels notre pays a été confronté ces derniers mois, ont été obtenus grâce à des mesures, tant judiciaires qu’administratives, respectueuses de l’État de droit. Je l’ai dit cette nuit à l’Assemblée nationale et je le redis devant vous aujourd’hui, avec gravité et solennité, mais sans oublier la sagesse qui caractérise votre assemblée.
Lutter contre le terrorisme ne doit pas nous conduire à renier notre histoire, à trahir ce que nous sommes, à abandonner les principes qui ont fondé notre République. Ce serait tomber dans le piège que nous tendent les terroristes.
Ce gouvernement ne sera pas celui qui créera des Guantanamo à la française, dans lesquels des individus seraient enfermés pour une durée indéterminée sur la base de simples suspicions. Les réponses arbitraires ne parviennent pas à enrayer le terrorisme ; elles ne sont ni efficaces ni acceptables. Gardons aussi en tête ce qui s’est passé dans d’autres pays !
Nous devons résister à cette fuite en avant dans les idées, en dépit de ce que nous entendons, jusque parmi nos compatriotes. Nous tous, représentants du peuple et membres du Gouvernement, devons éviter de nous perdre dans ces surenchères, même si l’on peut comprendre le questionnement et la colère des Français.
Comme en janvier et en novembre 2015, la France se trouve face à une épreuve terrible. Dans ces moments, nous devons être bien conscients des risques de dislocation de notre société.
Ce que veulent les terroristes – là est leur projet –, c’est exacerber les tensions, nous diviser, nous fracturer. Ne tombons donc pas dans cet autre piège, dans lequel s’engouffrent déjà les populismes, en France comme ailleurs en Europe, qui consiste à dresser les Français les uns contre les autres, en pointant du doigt, en cherchant des boucs émissaires, en agitant les haines, que ce soit la haine des immigrés, le racisme, l’antisémitisme ou la haine des musulmans.
Nous devons nous rassembler, tenir et faire tenir notre société, faire bloc et refuser de toutes nos forces tous ces courants destructeurs, qui au fond s’alimentent mutuellement.
Nous devons aussi refuser, dans nos comportements de responsables publics, de céder à la moindre facilité ; en même temps, nous devons répondre à l’attente et à l’exigence des Français.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la France – ai-je besoin de le rappeler ? – est un grand pays. Elle se trouve face à un immense défi. Nous connaissons aussi la fragilité de nos sociétés démocratiques. Parce que la France est attaquée, le monde, qui la regarde toujours avec admiration, attend sa réponse. Néanmoins, parce qu’elle est la France, elle fera face. Parce que nous sommes la France, nous vaincrons le terrorisme !