Le renforcement de l'autonomie des universités semble aller de pair avec une plus grande autonomie des recrutements et de la gestion des personnels. Cette logique pourrait être approuvée si le milieu universitaire n'était pas fortement endogène. Le projet de loi y répond à par la possibilité de recruter des personnels contractuels. Mais l'important est de s'assurer de la qualité des personnels recrutés et affectés dans l'université. Or, en l'état, le projet de loi ne permet pas d'en être sûr.
Il convient d'abord de vérifier que les meilleurs professeurs et maîtres de conférences seront recrutés dans les disciplines concernées. Il faut également lutter contre la tendance naturelle au recrutement des candidats « locaux », connus mais pas nécessairement reconnus comme les meilleurs.
De ce point de vue, il est nécessaire, selon nous, de découpler autonomie des universités et modes de recrutement. Le recrutement doit correspondre à deux exigences fondamentales : la qualité et l'égalité.
Les concours nationaux comme l'agrégation répondent, dans la République, à ces deux critères et ont montré leur efficacité, en permettant de conserver la qualité reconnue en droit, en économie, en médecine et en pharmacie. Ce sont eux qui, depuis toujours, apportent un sang neuf et un renouvellement aux facultés tout en pérennisant l'excellence scientifique de l'élite universitaire. Il faut donc maintenir ces concours et, surtout, la liberté d'affectation à la sortie du concours.
Le droit de veto des présidents d'université sur ces affectations fera perdre toute utilité au concours dont se détourneront les meilleurs. Il est même vraisemblablement inconstitutionnel dans la mesure où, dans l'état actuel du texte, le président pourrait, sans être professeur des universités, disposer du pouvoir d'intervenir dans le recrutement d'universitaires au mépris de leur indépendance constitutionnellement garantie.
De même, la création d'un « comité de sélection » regroupant les différentes disciplines sous l'autorité du président d'université comporte le risque de disparition de certaines disciplines scientifiques, dans le jeu purement local des rapports de force. Et l'on ne voit pas comment une appréciation scientifique raisonnable serait portée dans un comité de sélection transdisciplinaire. Dans les modes de recrutement, le seul moyen sérieux d'apprécier la qualité d'un candidat est de le mettre en présence de ses pairs scientifiques et d'assurer une égalité de traitement au niveau national comme au niveau local.
Madame la ministre, il est donc indispensable de rééquilibrer le projet de loi sur ces différents points, faute de quoi la contestation pourrait rassembler des composantes universitaires disparates sur trois critiques : l'absence de représentativité des enseignants-chercheurs dans les conseils, la disparition de la visibilité des disciplines scientifiques et la perte de crédibilité des procédures de recrutement. Il ne faudrait pas que, du fait de ces quelques problèmes, le projet de loi cristallise une opposition alors qu'il a vocation à être favorablement accueilli.
Mes chers collègues, la réforme des universités ne peut plus attendre. Elle doit permettre la modernisation résolue d'un système d'enseignement et de recherche qui s'est trop souvent coupé du monde extérieur, notamment économique, et a laissé le champ libre aux grandes écoles et, surtout, à la concurrence étrangère. Mais cette modernisation ne doit pas faire table rase des libertés universitaires qui sont constitutives, depuis l'origine, de l'enseignement supérieur. Ces libertés sont d'ailleurs de rang constitutionnel, ainsi que l'a rappelé à plusieurs reprises le Conseil constitutionnel dans des décisions qui n'ont pas hésité à corriger le dispositif de la loi en lui imposant les garanties constitutionnelles destinées à préserver l'indépendance et la liberté de l'enseignement et de la recherche.
Laissons donc les universités fixer librement, dans le nouveau cadre qui leur est proposé, leur mode de fonctionnement et de gouvernance dans le respect de leur histoire, de leur enracinement local et de leur degré de pluridisciplinarité. Confions plus que jamais à l'État le soin de veiller à l'excellence du recrutement des enseignants-chercheurs et à l'efficacité de la formation démocratique des étudiants.