Intervention de Jean Desessard

Réunion du 20 juillet 2016 à 17h00
Prorogation de l'état d'urgence — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme tous nos concitoyens, les membres du groupe écologiste ont été choqués par la gravité et l’horreur de cette tragédie. Face à ce drame, nous voulons respecter la mémoire des victimes, leur rendre hommage, ainsi qu’à leurs proches, et saluer l’action des forces de sécurité, des forces de secours et des personnels soignants. Tel sera notre premier message.

La parole publique doit avant tout être porteuse d’apaisement. À cet égard, nous avons trouvé déplacés certains propos politiciens outranciers, prononcés en pleine situation d’effroi.

Nous, représentants politiques, ne soyons pas à l’image des personnages du tableau de Francisco de Goya, Duel au gourdin, dans lequel deux hommes luttent, tout à leur haine l’un de l’autre, ne se rendant même pas compte du péril commun qui va les emporter tous deux. N’oublions pas que l’extrême droite est prête à cueillir les fruits de ces querelles et que le terrorisme lui-même se nourrit du chaos qu’il suscite.

On doit savoir gré au Gouvernement d’avoir tenu un discours de vérité quant à la gravité et la pérennité de la menace qui pèse sur nos sociétés.

Dans ces circonstances, il faut se défier du discours belliciste, qui devient la norme. Oui, nous sommes en guerre dans divers théâtres d’opérations à l’étranger, mais, sur le territoire national, avons-nous, parmi nos concitoyens, un ennemi collectif, déclaré et identifié, contre lequel nous sommes en guerre ?

Face à un danger qui, pour être élevé, n’en est pas moins diffus, les paroles guerrières sont toujours source de surenchère, du côté tant des esprits fragiles, récupérés par Daech, que de nos concitoyens tentés par l’amalgame et le rejet de l’autre.

Il faut avoir la lucidité et le courage de reconnaître que, lorsque la menace est diffuse et que le terrorisme peut prendre toutes les formes possibles d’actes violents, il n’existe pas de martingale pour l’éviter à coup sûr. Prétendre le contraire relève de la démagogie.

Néanmoins, nous devons et nous pouvons agir. Il est légitime que le Gouvernement souhaite apporter une réponse rapide et forte à la demande de nos concitoyens à la suite de cet odieux crime. Tout exécutif ainsi mis à l’épreuve tente de faire le maximum.

Au-delà de l’indispensable discours d’apaisement, ce sont l’efficacité et le respect des droits de l’homme qui doivent guider la politique de lutte contre le terrorisme. Pour certains d’entre nous, l’état d’urgence doit faire l’objet d’un bilan véritablement objectif. Si ce dispositif s’est révélé justifié immédiatement après les attentats du 13 novembre, il atteint à l’évidence aujourd’hui les limites de son efficacité.

Les mots parlent d’eux-mêmes : une urgence n’a pas vocation à se pérenniser. D’ailleurs, la loi sur le terrorisme avait précisément vocation à s’inscrire dans le temps long. Nous ne pouvons pas empiler les mesures sécuritaires, qu’elles soient pérennes ou d’exception, sans nous interroger sur leur efficacité.

À cet égard, l’Assemblée nationale a formulé des propositions dans le rapport de la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015. Il y apparaît que l’organisation de nos services de renseignement doit être profondément repensée. Ce sont là des pistes de mesures concrètes et efficaces, qui ne remettent pas pour autant en cause les libertés publiques. Ce débat doit pouvoir s’ouvrir entre le Gouvernement et le Parlement.

Une remise en cause perpétuelle des droits fondamentaux est-elle la solution ? Que ferons-nous lors du prochain attentat ? Prendrons-nous encore de nouvelles mesures ? Ne cédons pas au jeu de Daech, dont la seule ambition est de mettre à bas notre État de droit. Tout renforcement de la répression pénale n’aura aucune prise sur des individus prêts à sacrifier leur vie.

Le Gouvernement doit également expliquer clairement à nos concitoyens les objectifs de sa politique étrangère, qui doit s’appuyer sur une vision globale de nos interventions et une meilleure anticipation des conséquences.

Si certaines opérations extérieures ont permis de contenir l’avancée de l’État islamique, l’absence d’une forte coalition sous l’égide de l’ONU ou de mesures efficaces propres à assécher la manne pétrolière dont profite Daech, il sera difficile de terrasser cette organisation.

Par ailleurs, ne perdons pas de vue que ces tueurs sont aussi les abcès douloureux d’un grand corps malade : une société en proie au racisme, aux divisions et aux inégalités, en manque d’un discours commun généreux et mobilisateur, et en attente de perspectives. Face à cela, les harangues de Daech trouvent facilement un écho auprès d’individus sans repères, prêts à écouter toute idéologie proposant une explication du monde, aussi meurtrière soit-elle.

Face à l’ampleur du drame et à l’humilité qu’appellent les réponses à y apporter, les membres du groupe écologiste appréhendent différemment les dispositions de ce projet de loi – c’est notre diversité.

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