Intervention de Vincent Capo-Canellas

Réunion du 20 juillet 2016 à 17h00
Prorogation de l'état d'urgence — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’exercice législatif auquel nous sommes conviés, dans des circonstances extrêmement dramatiques, recèle une très grande difficulté. La difficulté relève d’abord du drame qui s’est déroulé à Nice le 14 juillet dernier. Nos pensées vont d'ailleurs vers les 84 victimes et leurs proches.

Une fois encore, un terroriste a assassiné lâchement des hommes, des femmes et des enfants sur notre territoire. Je pense aussi, bien sûr, aux policiers, aux gendarmes et aux militaires, qui s’exposent chaque jour pour assurer notre sécurité, ici et sur les théâtres extérieurs, et qui paient un lourd tribut aujourd'hui encore. Je salue également l’action des secouristes, qui ont été exemplaires.

Par respect pour les victimes, il nous semblait normal d’attendre que le débat ait lieu hier à l’Assemblée nationale, aujourd’hui au Sénat, pour aborder l’ensemble des questions qui se posent dramatiquement : l’arsenal législatif, le dispositif de sécurité, les moyens mobilisés et la stratégie mise en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme.

Le Gouvernement nous propose aujourd’hui de proroger pour la quatrième fois l’état d’urgence qui est en vigueur sur notre sol depuis le 14 novembre 2015. Nous y sommes prêts, mais nous mesurons les limites de cette première et nouvelle riposte. Elle offre à l’exécutif des moyens supplémentaires de prévention du terrorisme, notamment grâce aux perquisitions administratives. Toutefois, l’état d’urgence n’a malheureusement pas empêché les meurtres de Magnanville, ni cette tuerie dramatique à Nice.

Il est vrai que, outre les dispositions nouvelles qu’il contient, l’état d’urgence a également un caractère symbolique. C’est une première réaction utile. Elle s’inscrit dans un contexte législatif déjà renouvelé. La limite de l’exercice est connue : lutter avec les armes de la démocratie contre des barbares qui, eux, utilisent toutes les armes du totalitarisme pour tenter d’abattre les démocraties.

Nous avons adopté récemment une loi réformant en profondeur la procédure pénale pour être en adéquation avec l’évolution de la menace. Avec cette loi, le ministère de l’intérieur a la possibilité d’assigner à résidence une personne qui revient d’un territoire où interviennent des groupes terroristes. Elle permet aussi de procéder à une retenue administrative quand il y a des raisons de penser que le comportement d’un individu est lié à des activités terroristes.

Ces modifications, nous les avons votées, parce que la lutte acharnée contre le terrorisme sera longue et difficile, et qu’elle devra s’effectuer, comme dans toute démocratie moderne, dans le cadre du droit commun.

Si nous pouvons vous suivre, monsieur le Premier ministre, dans la volonté de ne pas adopter des lois d’exception, nous ne devons pas nous interdire de prendre des mesures liées à des circonstances qui, elles, sont exceptionnelles. L’état d’urgence est d’ailleurs un état d’exception.

Cet état d’urgence renforcé est donc nécessaire, mais il ne règle qu’une partie des nombreuses questions qui sont posées. Hier, l’Assemblée nationale a très sensiblement modifié le texte du Gouvernement, ce qui est légitime, grâce d’ailleurs aux propositions d’une partie de l’opposition, qui a été très constructive. Ce matin, notre commission des lois a approfondi ce travail. Ce n’est pas, ce n’est plus une simple prorogation de l’état d’urgence, et c’est tant mieux, car cela aurait été insuffisant.

Les modifications qui ont été intégrées vont dans le bon sens, mais elles ne sont pas nouvelles : la Haute Assemblée les avait déjà adoptées à deux reprises depuis le mois de janvier dernier, par exemple les dispositions en matière d’application des peines pour les personnes condamnées pour terrorisme.

Je tiens à saluer le travail de notre rapporteur, Michel Mercier, qui, au sein de la commission des lois, suit depuis des mois, avec vigilance, la mise en œuvre de l’état d’urgence et qui a aujourd’hui encore éclairé avec hauteur la réflexion du Sénat, grâce à son expertise sur le sujet. Le texte qu’il nous propose est équilibré, et le groupe UDI-UC le soutiendra.

Toutefois, l’état d’urgence, même renforcé, s’il est nécessaire, n’est pas suffisant. Il n’est pas la solution au terrorisme. Il n’y a d'ailleurs pas de solution unique. Il est, bien sûr, l’un des éléments, parmi d’autres, de la lutte contre le terrorisme.

L’arsenal législatif et juridique n’épuise pas le débat. La question des moyens budgétaires, humains et techniques est au moins aussi importante que le cadre pénal et juridique. Il ne faut pas l’aborder sous l’angle polémique, en se renvoyant des chiffres les uns aux autres, mais avec le souci de définir ensemble un État régalien qui dispose des moyens pour assurer la sécurité de ses habitants, avec les efforts budgétaires que cela suppose.

Je suis convaincu qu’il faut changer de posture dans la lutte contre le terrorisme. Ce n’est pas le sentiment qui a été donné par le Président de la République. Nous avons, certes, apprécié l’évocation de la réserve opérationnelle, un sujet sur lequel notre collègue Jean-Marie Bockel, avec d’autres, a beaucoup travaillé, mais il faut sans doute s’interroger sur la doctrine d’emploi de nos forces de l’ordre. Le sentiment qui est parfois donné, c’est que l’on continue à combattre cette nouvelle forme de terrorisme avec les outils d’hier. L’État répond à de nouvelles menaces avec des modes opératoires qui paraissent quelque peu figés.

Oui, l’état d’urgence renforcé, tel qu’il est proposé par la commission des lois du Sénat, est utile, oui à la cohésion nationale pour faire face au terrorisme, mais à condition que vous acceptiez de vous interroger sur la posture globale, monsieur le Premier ministre, et que vous consentiez aussi le principe de la faire évoluer.

Bien sûr, je ne pense pas que nous puissions aujourd’hui aligner un catalogue de mesures toutes faites, mais nous pouvons recenser les objectifs des terroristes, qui, malheureusement, sont parfois publics et diffusés sur internet. Il faut s’interroger sur ces nouveaux modes opératoires, mais aussi, a minima, sur l’adaptation de la stratégie de l’État, en s’appuyant éventuellement sur le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. C’est cette stratégie qu’il faut partager et discuter ensemble, ou à tout le moins clarifier.

La société, les Français doivent aussi accepter d’évoluer dans l’organisation des manifestations publiques. On le mesure, même si c’est une contrainte.

Nous devons en outre résolument nous engager pour un islam de France et être aux côtés de nos compatriotes musulmans modérés, qui s’interrogent sur la faiblesse de l’État face aux salafistes.

Le devoir du Gouvernement est de rassembler. Il est de refuser la tentation, qui est parfois la sienne, de tomber dans une communication binaire. La tentation de ressouder ses propres troupes en recourant à l’affrontement droite-gauche ne doit pas avoir sa place ; ce n’est pas à la hauteur du débat.

La solution, c’est une nation rassemblée et soudée face à cette menace. Il faut bannir du discours du Gouvernement toute déclaration d’autosatisfaction, comme nous en avons entendu à la fin de l’Euro 2016 – c’était sans doute précipité. De la même façon, je crois que la déclaration du ministre de l’intérieur relative aux conclusions de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale était quelque peu expéditive.

Nous souhaitons, monsieur le Premier ministre, être ensemble à la hauteur du débat, et nous souhaitons aussi que vous soyez à l’écoute de l’opposition. Nous savons que c’est en nous rangeant derrière la Nation tout entière, autour des valeurs de la République, que nous réussirons, ensemble, à combattre le terrorisme.

Ces enjeux situent la hauteur et la difficulté du débat : abattre le terrorisme avec des armes de la démocratie, toutes les armes que la démocratie autorise. Nous y sommes prêts.

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