Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour mieux assurer leurs missions, les universités françaises ont besoin d'une ambitieuse réforme. L'idée fait l'objet d'un consensus et suscite même de l'impatience.
Ici et là, des talents, des réussites montrent bien tout le potentiel présent, malgré un contexte assez destructeur.
En effet, en France, l'université est privée d'une partie significative d'excellents étudiants, happés par les grandes écoles.
En France, les filières dédiées aux bacheliers des sections techniques ou professionnelles sont bouchées, obligeant ces derniers à refluer vers des formations universitaires ne correspondant ni à leurs acquis ni à leurs envies.
En France, contrairement aux communes, aux départements et aux régions, l'État a négligé son patrimoine : vétusté, fissures, amiante, évitement de la part des commissions de sécurité et gouffres énergétiques sont monnaie courante. C'est la gestion de la pénurie qui tue l'université.
Nous attendons de l'université publique qu'elle transmette, produise et diffuse les savoirs, qu'elle offre la possibilité à chacun de construire sa propre autonomie, dont le choix des perspectives professionnelles, et qu'elle soit le lieu d'émergence d'applications ou d'interprétations nouvelles.
Pour qu'elle fonctionne ainsi, il faut revoir l'autonomie des étudiants, car la « galère » financière de certains bat en brèche la démocratisation. Pourquoi ne pas prévoir un statut, un revenu de base, puis des bourses variables selon la situation sociale ?
II faut également revoir les ressources de l'université, à commencer par le calcul des financements récurrents, fondés sur des normes par mètre carré devenues obsolètes et quasiment inférieures de moitié aux besoins. Il convient en outre de se pencher sur la taxe d'apprentissage.
Enfin, il faut se donner des outils permettant de conduire le développement et de faire vivre un vrai projet d'établissement, dans lequel le lien fécond entre recherche et enseignement doit être garanti.
Madame la ministre, vous annoncez cinq chantiers, parmi lesquels les conditions de la vie étudiante et la situation des enseignants-chercheurs. Le Président de la République annonce des moyens.
C'est précisément de ces deux points dont nous aurions voulu débattre, car ils sont prioritaires à nos yeux et relèvent plus de l'urgence que la gouvernance.
En effet, mine de rien, même sans faire allusion à l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, l'AERES, à l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, aux pôles de recherche et d'enseignement supérieur, les PRES, le texte a des implications sur la recherche, s'agissant notamment des dispositions concernant les modes de recrutement, ou encore sur le service public et la nécessaire égalité des chances, puisque les fondations risquent d'engendrer, faute de péréquation, des distorsions dans le domaine de l'aménagement du territoire.
Or il n'est question dans le texte que de gouvernance et de compétences.
L'autonomie, comme la décentralisation, est une perspective à la fois enthousiasmante et risquée. Elle doit être évaluée avec les mêmes critères que ceux qui définissent une bonne décentralisation.
L'adéquation doit s'en trouver améliorée, ce qui n'est possible que si la démocratie est au rendez-vous.
Or vous diminuez la légitimité du président, lequel est désormais moins bien élu. Vous privez le conseil d'administration de vraies propositions du Conseil des études et de la vie universitaire, le CEVU, et du Conseil scientifique.
Vous confiez au président l'attribution des primes et le recrutement de contractuels ? y compris des titulaires de contrats à durée indéterminée ! ? sans prévoir de cadrage, notamment quant au pourcentage des ressources humaines, ni de dispositif de transparence, sans partenaires débattant du mode d'attribution ... et même sans moyens spécifiques.
Les moyens sont globalisés, direz-vous... Oui ! Mais gardons-nous de reproduire l'exemple de l'hôpital, où nous savons à quoi cela a conduit : c'est la suppression de postes qui a permis de dégager les moyens de la revalorisation de certains !
La seconde condition d'une bonne autonomie, c'est que l'État soit garant : garant des moyens pour faire, garant de l'égalité des chances, garant de la laïcité, garant des diplômes.
Les moyens pour faire, ce sont aussi des ressources humaines administratives, ou d'ingénierie quand il est question de bâtiment.
L'égalité des chances peut exister dans l'autonomie, mais pas dans la concurrence débridée. Il faut des cadrages : la parole de l'État dans les contrats pluriannuels devra refléter son souci d'aménagement du territoire. La survie et le développement de disciplines non valorisables par des brevets, ou même dérangeantes, mais ô combien nécessaires ? épidémiologie, toxicologie, systématique ?, sont aussi du devoir de l'État.
L'ouverture aux personnalités extérieures, que la commission aggrave potentiellement en invitant celles-ci dans le corps électoral, et le financement par des fondations peuvent être facteurs autant de dynamisme que d'inégalités, voire d'atteintes à la laïcité des contenus.
L'entrisme des créationnistes aux États-Unis et leur financement significatif ont ainsi conduit les responsables de plusieurs universités à céder à leur demande et à interdire l'enseignement de Darwin, et même de la paléontologie.
Nous n'en sommes pas là ;...