Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 11 juillet 2007 à 15h00
Libertés des universités — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Madame la ministre, quels moyens avez-vous prévu de donner aux universités pour que ce mouvement nécessaire vers une plus grande autonomie ne se fasse pas au détriment de la justice et du juste aménagement du territoire ?

J'en viens au deuxième point de mon intervention : je trouve dommageable ? mais c'est un sujet extrêmement difficile ? que vous n'ayez pas saisi l'occasion de ce projet de loi pour poser le problème de la nécessaire articulation de nos grandes écoles, voire de nos classes préparatoires aux grandes écoles, avec les universités.

La France est l'un des rares pays où les grandes écoles constituent un réseau souvent indépendant, juxtaposé à l'université, même s'il y a de nombreux liens entre les laboratoires, les chercheurs et les enseignants. Il faudra nécessairement, tout en prenant en compte nos spécificités et nos traditions, trouver une cohérence, dans chaque territoire concerné, entre le réseau des grandes écoles, voire des classes préparatoires, et l'université elle-même. Madame la ministre, j'aimerais connaître vos intentions à cet égard.

Enfin, le troisième point que je voudrais aborder concerne l'article 16, qui a trait aux pouvoirs des présidents d'université. Il est important que ces derniers aient les moyens d'exercer pleinement leur mission. Mais il ne faudrait pas que cela dérive sur ce que j'appellerai une « hyper-présidentialisation », même si un tel phénomène est quelque peu à la mode dans d'autres sphères... Il est nécessaire que les responsabilités des présidents soient clairement établies, mais il y a certaines limites qui, à notre sens, ne doivent pas être franchies : je pense à la nomination des personnels, en particulier des personnels enseignants et donc des enseignants-chercheurs.

Aux termes de l'article 16, des comités de sélection seront mis en place dans chaque université. Ces comités seront-ils créés pour chaque nomination ?

Si l'on constitue un comité de sélection pour chaque poste à pourvoir, l'on risque fort de se retrouver avec des comités ad hoc, avec toutes les dérives imaginables : clientélisme, « localismes », ...

Il me paraîtrait beaucoup plus sage de créer un comité de sélection par discipline ? ce serait en somme la nouvelle mouture de la commission de spécialistes ?, et non pour chaque poste à pourvoir, cette dernière solution, nécessitant la constitution d'un nombre très important de comités, étant source d'une grande complexité.

Par ailleurs, il est important que ce comité soit clairement représentatif de la discipline concernée. Le projet de loi prévoit que 50 % de ses membres sont choisis dans la discipline concernée. Ne serait-il pas opportun que le pourcentage soit un peu plus élevé, même si je pense qu'il est judicieux de prévoir que la moitié des personnes choisies sont extérieures à l'université, car cela nous prémunit contre les risques d'un trop grand « localisme » dans le recrutement des enseignants ?

Toutefois, madame la ministre, ce qui nous préoccupe surtout, c'est que le président puisse nommer de sa propre autorité un enseignant-chercheur contre l'avis dudit comité. En effet, aux termes de l'article 16, il n'est pas prévu de faire statuer une instance nationale du type Conseil national des universités, comme c'est le cas le plus fréquent pour la nomination des enseignants des universités.

Dès lors, dans le projet de loi tel qu'il est rédigé ? mais peut-être avons-nous mal compris ?, un président pourrait nommer quelqu'un de sa seule autorité, sans l'avis d'une instance nationale. Si tel n'est pas le cas, il convient de le préciser dans l'article 16.

Ce recrutement pourrait avoir lieu contre l'avis du comité de sélection, à supposer qu'il ne soit pas un comité ad hoc. J'en conclus, madame la ministre ? peut-être ai-je tort, mais je pense avoir bien lu ?, que le président pourrait décider d'une telle nomination sans suivre l'avis d'aucune instance à caractère scientifique.

Cette situation est inacceptable. Dans les universités étrangères, cela ne se passe pas ainsi, et, pour être recruté, il faut donner des gages scientifiques, notamment à ses pairs, c'est-à-dire à des enseignants, des chercheurs de la discipline concernée. Il nous semble donc extrêmement important de revoir la rédaction de l'article 16, afin d'éviter des dérives et de rester fidèles à cet esprit en vertu duquel l'université est dirigée principalement par des enseignants-chercheurs, désignés eu égard à leurs compétences, leurs travaux et leurs recherches.

Madame la ministre, la position qui sera prise par le Gouvernement au cours de la discussion quant aux amendements déposés sur cet article 16 aussi bien par le groupe socialiste que par la commission déterminera notre vote final sur ce projet de loi. Il est donc très important de clarifier les choses.

Je conclurai en disant que, pour nous, ces dispositions sont importantes car, même si vous nous dites que la question du recrutement est marginale, il s'agit de faire face à des situations d'urgence et de ne pas prendre dix-huit mois pour recruter un professeur. Dans ce cas, améliorons les procédures, changeons les dispositifs pour que le recrutement soit plus rapide.

Toutefois, il est essentiel que l'université repose sur la prise en compte de l'universalité des savoirs et du mouvement de la science, et que les personnels enseignants au sein de nos universités soient d'abord recrutés pour des raisons scientifiques et pédagogiques.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion