Intervention de Jean-Michel Baylet

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 19 juillet 2016 à 17h35
Audition de M. Jean Michel baylet ministre de l'aménagement du territoire de la ruralité et des collectivités territoriales

Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales :

Je suis heureux de retrouver tant de visages connus dans cette assemblée que j'ai longtemps fréquentée. Monsieur le président, vous avez fait preuve de franchise, sans peser vos mots. Je ferai de même. Je n'ai pas l'habitude d'être incantatoire. Hier, j'ai lu votre tribune sur le site internet des Echos ; en matière d'incantatoire et d'autosatisfaction, c'est un monument !

Ce ministère n'a pas été constitué par hasard. J'ai insisté sur la nécessité de réunir dans un même ministère l'aménagement du territoire - oui, j'ai souhaité revenir à cette notion - la ruralité et les collectivités locales. L'époque de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) est révolue. Elle a fait un travail remarquable, avec des méthodes et une organisation qui sont maintenant dépassées. Désormais, il est impensable de ne pas associer les collectivités territoriales à la politique d'aménagement du territoire. Le rural, le périurbain et l'urbain sont dans un même ministère ; arrêtons de les opposer - certains ruraux nous reprochent de trop favoriser les métropoles, tandis que certains urbains veulent en faire plus pour les agglomérations, où réside la majorité de la population. Je n'ai pas cette vision : ayons une complémentarité, et même une osmose. Les grandes villes sont en train d'être transformées en métropoles ou en communautés urbaines. Il est nécessaire qu'elles soient soutenues par l'État. Nous signerons des contrats entre l'État et les métropoles, à l'instar des contrats de plan État-région (CPER).

On ne parle toujours pas du périurbain, alors qu'il s'est développé fortement à proximité des grandes villes. Dans certaines villes, les élus ont su maîtriser l'urbanisme, l'espace, les services publics et les commerces. Dans d'autres, ils ont livré ce développement à des promoteurs immobiliers juxtaposant des lotissements, où les votes révèlent le mal-être des citoyens y résidant. Avec le développement des mobilités et des transports, le périurbain n'est plus la banlieue des grandes métropoles : il peut s'étendre jusqu'à 60 kilomètres. J'ai demandé à France urbaine, l'association des métropoles, présidée par Jean-Luc Moudenc, de créer les conditions de solidarité avec ces territoires, y compris en ingénierie territoriale. La ruralité est l'objet de toutes nos sollicitudes, laissée pour compte pendant longtemps. Avançons d'un même pas et ne laissons personne au bord du chemin.

Depuis ma nomination, mon maître mot est la stabilité institutionnelle et financière : les collectivités territoriales ont été bouleversées depuis quelques années par de très nombreuses réformes, et fortement sollicitées. Je n'ai pas l'intention de laisser mon nom sur une loi, mais mettons de l'huile dans les rouages ; il en faut beaucoup ! Créons les conditions pour que les lois de la République s'appliquent. J'ai été plutôt critique sur de nombreux textes, mais quand la loi est votée, elle s'applique à tous.

En matière d'aménagement du territoire, il y a quatre grands sujets : d'abord, la téléphonie mobile et le numérique. Il y a dix ans, on a négocié avec les opérateurs l'attribution des fréquences - vous avez bien fait de les montrer du doigt. Avec Emmanuel Macron, je fais régulièrement pression sur eux à Bercy. L'État a beaucoup discuté du prix mais peu du cahier des charges sur l'aménagement du territoire. Naturellement, ces multinationales sont allées dans l'urbain, plus rentable, et ont délaissé le reste du territoire. Nous le payons aujourd'hui. Notre objectif est de couvrir tous les centres-bourgs, au minimum avec la 3G, d'ici mi 2017. Il sera possible grâce à l'engagement de l'État, qui finance en totalité la construction des pylônes dans les 300 centres-bourgs recensés, à hauteur de 30 millions d'euros avant la fin de l'année. Les opérateurs se sont engagés à les raccorder au réseau dans un délai de 6 mois en 3G. Je serai vigilant au respect de cet engagement. Une nouvelle vague de mesures sera lancée à l'automne pour recenser les centres-bourgs sans couverture mobile.

Oui, la prise de ces mesures dans un rayon de 300 mètres des mairies à une hauteur de quatre mètres n'a pas de sens, et devra être revue. Dans mon département, il n'y a soi-disant pas de zones blanches, or je sais qu'il en existe. Je fais pression sur l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), mais les choses ne changent pas en cinq minutes. Hors des centres-bourgs, 1 300 sites d'intérêt économique ou touristique bénéficient du soutien de l'État pour une couverture au minimum en 3G. L'État finance 50 % - et 75 % en montagne- de la construction des pylônes pour un total de 42,5 millions d'euros. Désormais, les opérateurs consentent à mutualiser les réseaux en zone de faible densité. Toutes les communes couvertes en 3G le seront à terme par les quatre opérateurs.

Autre avancée des Comités interministériels aux ruralités (CIR), les élus participent au suivi de l'évolution de ces réseaux structurants. Les compétences des Commissions de concertation générale sur l'aménagement numérique des territoires (Ccrant) sont élargies à la téléphonie mobile. J'aurais le même commentaire sur l'attribution des fréquences dans le cadre du plan France très haut débit. L'État, les collectivités territoriales et les opérateurs font un effort inédit : 20 milliards d'euros d'ici 2022. Ce n'est peut-être pas assez, mais nous allons vite pour rattraper le temps perdu depuis les années 2000-2002. Lors du précédent quinquennat, un autre plan avait fixé l'objectif d'une couverture numérique totale en 2020, sans jamais mettre aucun moyen. Désormais, 20 milliards sont abondés par les opérateurs, les collectivités et l'État, et nous avançons très rapidement. Emmanuel Macron et moi-même faisons pression. Dans ce fameux plan qui ne prévoyait que 2 milliards d'euros, 900 millions en soutien aux collectivités, aucun opérateur n'a candidaté : un échec total ! Dans ce plan, l'État ne jouait pas son rôle de garant des solidarités territoriales.

Dans le cadre du plan France très haut débit, l'État participe au financement des réseaux d'initiative publique (RIP) à hauteur de 3,3 milliards d'euros, pour 43 % de la population et 90 % du territoire, avec une accélération due au renforcement des moyens de l'Agence du numérique. L'objectif que tous les départements aient un accord de financement d'ici fin 2016 sera tenu. Nous serons particulièrement attentifs au respect des engagements des opérateurs pour la commercialisation des RIP. Avec une année d'avance, nous atteindrons l'objectif de raccordement d'un local sur deux au très haut débit fin 2016, contre seulement 27% en 2012. Certes, les technologies pourront encore connaître des évolutions rapides. En complément de la technologie FTTH, nous ne devons pas négliger les récentes avancées comme le 4G LTE (Long Term Evolution).

Avec Marisol Touraine, nous sommes très attentifs à la troisième attente de nos concitoyens, l'accès à des soins de proximité. Nous avons augmenté l'objectif à 1 000 maisons de santé d'ici la fin de l'année ; il sera certainement dépassé, d'après les informations du nouveau commissaire général à l'égalité des territoires, M. Jean-Michel Thornary, ici présent, qui était auparavant directeur général des services de la région Ile-de-France. Je le remercie d'avoir accepté de travailler à nos côtés. Le dernier Comité interministériel aux ruralités, troisième en quatorze mois - alors qu'il ne s'était jamais réuni entre 2010 et 2014 ! - à Privas a décidé de 37 mesures supplémentaires, portant à 104 le nombre de mesures mises en place pour l'aménagement du territoire et pour la ruralité. Nous avons décidé de créer 400 maisons de santé, il y en aura donc 1 400 d'ici le début de 2018.

Par ailleurs, nous avons annoncé des mesures allant dans votre sens : 1 700 contrats d'engagement de service public seront signés avec des étudiants ou des internes en médecine qui, moyennant ce financement de leurs études, s'engagent à s'installer dans des zones rurales ou fragiles - sauf à rembourser cette aide. L'année prochaine, 750 de plus seront signés. Nous introduisons une modulation régionale du numerus clausus pour les étudiants en médecine, car il empêchait l'installation de certains médecins dans ces zones.

Quatrième sujet, l'accès aux services publics, en recul considérable dans certains territoires, même si ce phénomène ne date pas d'aujourd'hui... Je commence à être un ancien élu, et depuis que je fais de la politique, j'entends tout le monde se plaindre de la disparition du service public en milieu rural ou fragile, sans qu'aucune solution ne soit trouvée. Nous apportons une solution différente avec les maisons de service au public : 1 000 seront installées d'ici la fin de l'année dont 500 avec La Poste. Nous avons contractualisé avec 7 services publics comme Pôle emploi, la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail ou la Mutualité sociale agricole. La maison du tunnel du Chambon que j'ai inaugurée rassemble 31 services ; dans le Lot-et-Garonne, une autre héberge des infirmières libérales ; ailleurs, elle est aussi antenne de sous-préfecture ou de tribunal. Ces maisons ramènent le service public dans ces territoires. Lorsque La Poste est présente, elle prend en charge le fonctionnement et l'investissement, et garantit la présence postale. Les chiffres sont encourageants.

Lors de ce CIR, nous avons confirmé la présence d'un référent ruralité dans chaque département - en général sous-préfet ou secrétaire général de la préfecture - qui constitue autour de lui un comité avec, entre autres, les parlementaires, le président de conseil départemental, le président de la chambre de commerce et d'industrie, pour faire connaître ces mesures. Certaines avaient déjà été prises du temps de Sylvia Pinel, mais étaient peu connues. J'ai réuni ces référents, tous nommés, il y a 15 jours au Commissariat général à l'égalité des territoires. Désormais, l'information circule. Ces référents mettront en place les contrats de ruralité, mesure emblématique du dernier CIR, qui ne sont pas exactement du même genre que ceux proposés par vos collègues, même si l'esprit reste le même. Ils sont le pendant des contrats de ville mais sans reprendre leur méthode. Je suis un élu de terrain, qui aime la proximité, et je veux déconcentrer. Le Fonds de soutien à l'investissement local (Fsil), géré par mon ministère, est déconcentré auprès des préfets de région qui travaillent avec les préfets de département. Il marche très bien, avec 1 milliard d'euros cette année - 500 millions pour l'investissement local, 300 millions pour les centres-bourgs, 200 millions de Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) supplémentaires. En trois ans, la DETR a augmenté de 61 % - 200 millions cette année, 200 millions l'an dernier - et est désormais d'1 milliard. Ce véritable accompagnement des collectivités doit être engagé rapidement. Plutôt que de faire des procédures d'appel à projets comme pour les contrats de ville, longues, sophistiquées, complexes et qui demandent beaucoup d'ingénierie, j'ai souhaité déconcentrer auprès des préfets. Je n'ai mis qu'une seule condition pour utiliser le Fsil : les projets doivent être prêts à être engagés. Le Fsil peut être cumulé avec le Fonds national pour l'aménagement et le développement du territoire (FNADT), avec la DETR... Plus de 3 400 dossiers ont été acceptés et près de 70% du fonds est déjà consommé.

Ces contrats de ruralité seront passés entre l'État, les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR) et/ou les intercommunalités, en partenariat avec la région. Nous sommes en pleine clause de revoyure des CPER à la suite de la fusion des régions, avant la grande revoyure de 2018. À l'unanimité, les présidents de région ont donné leur accord pour être présents. Les départements pourront s'y associer s'ils le souhaitent, sans contractualisation. J'ai été président de département : en cas de contractualisation les départements saupoudreront les moyens dans leur propre politique, sans effet de levier sur ces contrats. Les contrats seront instruits par les préfectures et les référents ruralité.

Les préfets et les présidents de conseils départementaux construisent des schémas d'accessibilité au public ; je ne souhaitais pas qu'on continue à fermer des services publics sans réflexion. Les préfets ont désormais un droit d'alerte en cas de fermeture d'un service public incohérente avec le schéma. Ils me saisissent ainsi que le Premier ministre et nous agirons.

Le Président de la République a fait des annonces lors du Congrès des maires. J'ai rencontré toutes les associations d'élus, individuellement puis collectivement. J'ai rencontré le groupe sénatorial et les députés, transpartisans, travaillant sur la réforme de la Dotation globale de fonctionnement (DGF). Si tout le monde veut réformer une DGF jugée inéquitable et illisible, peu s'accordent sur la vision, chacun regardant à sa porte et voulant que la réforme se fasse à son profit. Or l'État n'est plus riche et ne peut plus dire qu'il n'y aura que des gagnants... Lorsque j'ai reçu les associations dans leur globalité, à ma demande, elles m'ont présenté une motion me demandant le report d'un an de la DGF, la création d'un projet de loi de finances des collectivités à côté du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et souhaitant toucher simplement à la péréquation. Dans son intervention, le Président de la République a souligné l'effort indispensable des collectivités au redressement des finances et des comptes publics. Cette situation n'était pas meilleure à notre arrivée, puisque le Premier ministre François Fillon jugeait que la France était en faillite. Ce n'est pas moi qui le dis ; et moi, j'aime la franchise ! Le Président a accepté de diviser par deux l'effort pour 2017, qui ne sera que d'1 milliard d'euros pour le bloc communal contre 2,1 milliards prévus. Il a confirmé et même augmenté le Fsil à hauteur de 1,2 milliard d'euros - 600 millions d'euros pour l'investissement et 600 millions d'euros pour la ruralité, dont les contrats de ruralité. Il a porté la DETR à 1 milliard et réformé le Fonds de compensation à la TVA comme vous le souhaitiez. Nous avons été dans la direction des élus ; c'est normal. En 2018, quelle que soit la majorité, il y aura un projet de loi de finances des collectivités, dans le cadre duquel sera réformée la DGF. Toucherons-nous à certaines dotations ? Je ne suis fermé à rien, si nous aboutissons à un consensus minimal - j'ai perdu depuis longtemps mes illusions d'un consensus absolu... Autrement, ce serait la réforme pour la réforme, et un passage en force. Nous l'avons suffisamment vécu pour ne plus recommencer.

On ne parle pas depuis si longtemps du projet de loi Montagne : au départ, c'était une proposition de loi. Le Premier ministre a décidé de le transformer en projet de loi pour lui donner davantage d'ampleur. Il est en cours de finalisation et sera présenté au Conseil d'État dans les prochains jours, avant un passage en Conseil des ministres en septembre, pour un débat au Parlement avant l'examen du projet de loi de finances. J'ai co-construit ce projet de loi avec l'Association nationale des élus de montagne (Anem), avec des élus de la majorité et de l'opposition. Quand on veut travailler main dans la main, on avance mieux. À l'Assemblée, il y a une rapporteure de la majorité et une de l'opposition. J'ai demandé qu'il en soit de même au Sénat pour trouver un accord. J'ai reçu Laurent Wauquiez, actuel président de l'Anem, et sa vice-présidente Marie-Noëlle Battistel. Nous sommes tombés d'accord. Assez de balivernes : soit nous voulons ce projet de loi montagne, et il faut construire un consensus et le voter en procédure accélérée, soit nous passons par la procédure parlementaire ordinaire, et il n'ira pas jusqu'au bout. Quel que soit le Gouvernement en 2017, le projet de loi montagne ne sera probablement pas sa priorité. Nous avançons bien avec Laurent Wauquiez et les députés de droite et de gauche, afin d'oeuvrer utilement pour la montagne. Je crois au pragmatisme, aux partenariats et à la volonté des femmes et des hommes d'oeuvrer ensemble. Dans notre démocratie, voici le temps de débattre des idées et que des majorités se forment ou se déforment. Merci de votre écoute, je reste à votre disposition.

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