Intervention de Rémy Pointereau

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 20 juillet 2016 à 9h35
Bilan de l'application de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques — Examen du rapport d'information

Photo de Rémy PointereauRémy Pointereau, rapporteur :

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable m'a fait l'honneur de me charger, le 30 septembre dernier, d'un rapport d'information relatif à l'application de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006, dite Lema. Alors que cette loi aura dix ans à la fin de l'année 2016, nous avions estimé que cet anniversaire était l'occasion de dresser un état des lieux de sa mise en oeuvre, avec le recul et la visibilité nécessaires pour identifier les difficultés et les obstacles qu'il reste à surmonter ou encore les dispositifs à améliorer, voire à simplifier. J'annonce d'emblée la couleur puisque mon rapport s'intitulera : Gestion de l'eau : agir avec pragmatisme et discernement.

Au temps de la loi succède le temps de la confrontation au réel. Et le législateur, qui a également une mission de contrôle de la loi, se doit d'évaluer les normes qu'il a votées, et d'énoncer des recommandations adaptées. Cet exercice me tient d'autant plus à coeur que je suis un fervent défenseur de la simplification des normes. Ce chantier, toujours d'actualité, appelle non seulement une vigilance sans cesse renouvelée sur les textes en discussion et les lois que l'on vote, mais il impose également de se retourner sur les règlementations déjà en vigueur. C'est d'ailleurs à quoi nous nous attelons au sein du groupe de travail sur la simplification des normes créé par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Dans le cadre de ces travaux, je me suis aperçu qu'un certain nombre de nos voisins européens ont pris ce sujet à bras le corps. Au Danemark par exemple, les prescripteurs de normes se déplacent auprès des acteurs de terrain pour évaluer avec eux les effets de la réglementation et les possibilités de simplification. Un exemple qu'il faudrait suivre.

En arrière-plan de ce bilan de la loi sur l'eau, l'un de mes fils conducteurs a donc été la simplification.

J'ai entendu vingt-huit organismes et plus de soixante personnes, et regrette que la FNE, la Fédération nature environnement, n'ait pas souhaité être entendue, en dépit de nos relances : ce rapport est pourtant l'occasion de confronter nos points de vue, et même lorsque nous ne sommes pas d'accord, nos débats s'en trouvent grandis. Mes auditions m'ont amené à constater que la loi de 2006 reste un jalon structurant de l'histoire de l'organisation de la politique de l'eau en France. Comme l'a dit Mme Levraut, vice-présidente du Conseil général de l'environnement et du développement durable, la loi de 2006 est utile mais trop ambitieuse.

Ainsi, la quasi-totalité des acteurs que j'ai pu rencontrer ont souligné les apports positifs de cette loi, qui a posé de grands principes, comme le droit d'accès à l'eau potable pour tous, et sécurisé le système des redevances perçues par les agences de l'eau, sur lequel repose l'ensemble de la gouvernance. Ils reconnaissent tous que la qualité de l'eau s'est améliorée, même si les objectifs ne sont pas atteints - il faut dire que l'on a changé le thermomètre en cours de route -, s'accordent à dire que les pratiques elles aussi s'améliorent et que les politiques sont vertueuses, pour reprendre, là encore, les termes de Mme Levraut, qui ajoute qu'il ne faut pas sanctuariser les actions et que les choses doivent évoluer avec pragmatisme.

En revanche, la mise en oeuvre concrète des mesures votées en 2006 fait apparaître, une décennie plus tard, un certain nombre de difficultés, voire, à l'aune de l'intention initiale du législateur, des résultats contre-productifs. J'ai ainsi identifié quatre domaines dans lesquels l'application de la Lema pose des problèmes, souvent préjudiciables aux acteurs de terrain. Il s'agit des dispositions relatives à la gestion qualitative de l'eau ; à sa gestion quantitative ; aux autorisations dites « loi sur l'eau » ou Iota, et à l'empilement de normes qui complexifient les interventions des acteurs concernés ; à la gouvernance et à la planification, enfin.

J'ai choisi d'examiner successivement chacun de ces aspects et de proposer vingt-huit recommandations. J'ai également effectué un déplacement dans le Cher, le 15 janvier, afin de constater sur place les difficultés que pose, notamment, l'application du principe de continuité écologique et d'entendre les organisations régionales, parmi lesquelles le syndicat de la vallée de l'Arnon, où des travaux de continuité écologique ont été effectués.

Au moment de son adoption, la loi sur l'eau et les milieux aquatiques poursuivait deux objectifs principaux. En premier lieu, moderniser le dispositif juridique de la gestion de l'eau, qui reposait sur les lois du 16 décembre 1964 et du 3 janvier 1992 ; en second lieu, atteindre les objectifs fixés par la directive-cadre européenne du 23 octobre 2000, notamment l'obligation de résultats pour parvenir à un « bon état écologique des eaux » en 2015.

Cette loi, avec 102 articles, outre qu'elle a reconnu un droit à l'eau pour tous, a réformé le régime d'autorisation des installations ayant un impact sur l'eau ; modifié le régime dit « du débit affecté » ; réformé les critères de classement des cours d'eau pour préserver leur bon état écologique et celui des milieux aquatiques ; introduit des dispositions pour lutter contre les pollutions diffuses dues à l'emploi des produits phytosanitaires. Elle a également réformé la gouvernance de l'eau ; créé des redevances pour pollution de l'eau, pour modernisation des réseaux de collecte, pour pollutions diffuses, pour prélèvements sur la ressource en eau, pour stockage d'eau en période d'étiage, pour obstacles sur les cours d'eau et pour protection du milieu aquatique. Elle a mis en place l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) ; renforcé la portée juridique des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) ; amélioré la transparence de la gestion des services d'eau et d'assainissement ; modernisé l'organisation de l'activité de pêche professionnelle en eau douce.

Le Sénat avait été la première assemblée saisie de ce projet de loi, présenté quarante ans après la loi fondatrice du 16 décembre 1964 qui avait décentralisé la gestion de l'eau au niveau des bassins hydrographiques. Le rapporteur de la commission des affaires économiques, notre collègue Bruno Sido, avait alors identifié trois enjeux majeurs : satisfaire à nos obligations communautaires tout en conciliant les différents usages de l'eau ; parvenir au « bon état écologique de l'eau » en associant réglementation et redevances de bassin ; conforter la définition territorialisée de la politique des agences de l'eau tout en assurant la pérennité de leurs ressources financières.

Les débats de 2006 en séance publique, que j'ai relus, marquent l'importance de ce texte pour les élus et les collectivités territoriales, dont les responsabilités sont lourdes en matière d'eau potable et d'assainissement.

Pour toutes ces raisons, il me semble naturel que le Sénat se penche aujourd'hui sur l'application de cette importante réforme et son impact sur les collectivités territoriales.

Comme en 2006, j'ai pu me rendre compte, au fil de mes auditions et de mes déplacements, combien l'eau constitue une ressource unique, au centre de nombreuses activités humaines comme l'agriculture, l'industrie, le tourisme, l'énergie, les transports, la pêche et bien d'autres. Si bien que le coeur de l'action publique en matière de politique de l'eau se concentre sur les conflits d'usages potentiels entre ces activités. Quelle hiérarchie faut-il donner à ces usages ? Quelle articulation faut-il leur trouver sur le terrain ? Comment y associer l'ensemble des acteurs ? Quelles difficultés concrètes et quels obstacles font le quotidien de ceux qui ont à mettre en oeuvre les dispositifs juridiques imaginés et adoptés par le législateur ?

En outre, comme l'a très récemment mis en lumière le rapport d'information de la délégation à la prospective de nos collègues Henri Tandonnet et Jean-Jacques Lozach, intitulé L'eau, urgence déclarée, l'eau est un élément essentiel de l'adaptation au changement climatique, avec un impact quantitatif, qualitatif, ainsi qu'un impact en termes de prix.

Dans ce contexte, dix ans après le vote de la Lema, le bilan de son application semble mitigé. Je tiens à souligner que j'ai perçu, au fur et à mesure de mes travaux, deux appréciations différentes, même si elles ne sont pas contradictoires. D'un côté, se manifeste un large attachement aux grands principes posés par le texte et à son équilibre : la Lema, de l'aveu de tous, est une loi qui, donnant des bases solides à une nouvelle organisation de la gestion de l'eau en France, fait date ; mais d'un autre côté, le bilan se fait plus contrasté dès que l'on en vient à sa mise en oeuvre concrète : pour beaucoup, la loi n'a pas suffisamment anticipé les réalités du terrain et a apporté de la complexité et des contraintes supplémentaires.

Il peut s'agir, parfois, d'une simple incompréhension dans l'interprétation par l'administration de l'intention initiale du législateur, mais on observe aussi, localement, des rapports conflictuels avec l'administration, dont les positions sont jugées rigides. D'où l'intitulé de mon rapport, par lequel j'ai entendu mettre en avant l'exigence de discernement et de pragmatisme. Un grand nombre de mesures sont aujourd'hui soit mal appliquées soit mal mises en oeuvre du fait d'une interprétation idéologique, de dispositions trop complexes, voire juridiquement floues. J'ai également pu constater de vraies différences selon les territoires, témoignant d'une grande latitude d'interprétation laissée aux services qui prennent les décisions locales.

C'est flagrant dans l'application du principe de continuité écologique. Je choisis cet exemple car il illustre parfaitement, selon moi, le manque de pragmatisme et de discernement qui peut parfois transformer un bon principe voté par le législateur en situation aberrante sur le terrain. Ainsi, l'effacement des seuils est la solution quasi-systématiquement appliquée pour mettre en oeuvre le principe de continuité écologique, alors même qu'elle n'est pas forcément la mieux adaptée. Les études sur lesquelles s'appuient les services pour prendre ces décisions sont souvent contestables et les philosophies varient d'un département à l'autre. Ainsi, les propriétaires de moulins se trouvent dans des situations souvent intenables, sans compter qu'ils sont parfois amenés à financer à grand frais - jusqu'à 300 000 euros - des passes à poissons.

Certes, nous nous trouvons dans un contexte où l'encadrement communautaire est marqué, avec les risques de contentieux que cela comporte, mais je crois que le problème tient surtout à une «surtransposition» de la directive cadre sur l'eau, qui n'impose aux États qu'une logique de résultats, et non de moyens.

Les propositions que je vous présente aujourd'hui s'inscrivent dans le droit fil de ces réflexions.

En matière de gestion qualitative de l'eau, la première des choses à faire est d'interdire la surtransposition des directives européennes et de fixer des objectifs réalistes, pragmatiques et stables, permettant de mesurer les progrès réels. Car les mauvais résultats que l'on impute à la France en matière de bon état écologique des eaux ne veulent pas dire grand-chose, dans la mesure où l'on a changé le thermomètre en cours de route, en ajoutant sans cesse des critères supplémentaires. Les agences de l'eau nous ont alertés sur ce point.

Je vous propose ainsi de garantir le financement de nos agences de l'eau, dont les missions doivent rester concentrées sur la biodiversité aquatique. Je suis attaché, comme un grand nombre d'entre vous au principe fort de « l'eau paye l'eau ».

En ce qui concerne la mise en oeuvre du principe de continuité écologique face aux obstacles sur les cours d'eau, je préconise de privilégier des solutions locales, au cas par cas, qui associent l'ensemble des acteurs. Il faudrait aussi prévoir dans le code de l'environnement que l'application de ce principe doit s'articuler avec les autres usages, et notamment le développement de la petite hydroélectricité, qui est la première des énergies renouvelables, et dont la tutelle devrait être assurée par les services de la direction de l'énergie plutôt que par ceux de la direction de la biodiversité.

Je suggère également de renforcer les moyens financiers dédiés à la protection des captages, qui restent insuffisants.

Je propose que les agents de la future Agence française pour la biodiversité ne soient pas en charge de missions de police judiciaire et que les gardes de l'Onema ne puissent pas intervenir avec leurs armes, car c'est la pédagogie plutôt que la répression systématique qui doit les guider. Toutes les agences de l'eau sont, en principe, représentées à l'Onema. Mais, il semblerait que l'agence de bassin Loire-Bretagne, l'une des plus grandes de France, ait dû laisser sa place dans ce conseil. Il faudrait y remédier.

Concernant la gestion quantitative de l'eau, l'une de mes principales propositions concerne le soutien financier aux collectivités territoriales pour lutter contre les fuites d'eau sur les réseaux d'eau. Songez que l'on déplore un milliard de mètres cube de fuites d'eau par an dans les réseaux d'eau potable ! Ce qui signifie que 20 % de l'eau traitée et mise en distribution sont perdus. Pour cinq litres d'eau mis en distribution, un litre d'eau revient au milieu naturel sans passer par le consommateur. Cela représente près d'un tiers des prélèvements en eau destinés à l'irrigation - dont on sait qu'elle est souvent contestée...

Je souhaite également favoriser les retenues de substitution ou collinaires, et sécuriser juridiquement les projets. On a vu, en Charente, les difficultés juridiques auxquelles ils peuvent se heurter. Sans parler de ce qui s'est passé à Sivens. Je plaide aussi pour un raccourcissement des délais d'instruction.

Quelques-unes de mes propositions sont également destinées à clarifier et sécuriser juridiquement les organismes uniques de gestion collective (OUGC), qui ont été créés afin de mettre en oeuvre la gestion volumétrique prévisionnelle de l'eau instaurée par la Lema. Les OUGC ont en charge la gestion et la répartition des volumes prélevés pour usage agricole sur un territoire déterminé. Chaque OUGC doit détenir l'autorisation globale de prélèvements pour le compte de l'ensemble des irrigants du périmètre de gestion, quelle que soit la ressource prélevée. Le but de ces structures est d'assurer une gestion collective et durable du volume prélevable alloué à la profession agricole. L'objectif initial porté par la loi de 2006 tend à l'abandon progressif des autorisations de prélèvements individuels au profit d'une autorisation unique de prélèvement détenue par l'OUGC, afin, d'une part, de sécuriser les usages économiques, d'autre part, de permettre la satisfaction des besoins des milieux naturels. Mais aujourd'hui, seuls deux OUGC, en Allier et dans l'Ariège, sont titulaires de l'autorisation unique pluriannuelle, tant les obstacles administratifs sont nombreux. Or, le dispositif transitoire d'autorisations temporaires de prélèvement d'eau (ATPE) arrive à son terme pour les quinze OUGC désignés avant 2012 et dans un an pour les autres. N'oublions pas que l'eau est devenue une assurance et un outil de sécurité pour l'agriculture, non pas tant pour produire plus que pour diversifier, à l'heure où la politique agricole commune pousse à éviter la monoculture.

Quant aux autorisations dites loi sur l'eau, je préconise de les simplifier au maximum, de même que les procédures de nettoyage des rivières et des fossés : les récentes crues de juin 2016 en ont tristement montré l'utilité. Les contraintes normatives ont posé de tels problèmes à certains propriétaires qu'ils ne veulent plus nettoyer les fossés, par crainte de l'Onema. C'est ainsi que sont laissés à l'abandon beaucoup de fossés, dont le nettoyage régulier aurait pourtant évité des inondations.

Enfin, sur le volet gouvernance, je crois que nous devons aller vers des schémas d'aménagement et de gestion des eaux, les Sdage, bien plus simples. Tout le monde nous a dit que ces documents rebutaient - ils font souvent une centaine de pages, quand une vingtaine suffirait à définir les grands principes.

Il convient aussi d'améliorer la représentativité et les équilibres entre les acteurs au sein des instances de bassin. Une bonne base de rééquilibrage consisterait en une répartition prévoyant un tiers de consommateurs et associations, un tiers de collectivités et un tiers d'utilisateurs industriels et agricoles. Je constate en effet que les associations environnementalistes sont surreprésentées et que le poids de l'État reste trop important, puisqu'il représente un tiers des voix.

Enfin, concernant la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, dite compétence Gemapi, je crois que le niveau intercommunal n'est pas le mieux adapté, dans la mesure où il ne correspond pas au bassin versant. Sans compter que cette compétence risque de ne pas être mise en oeuvre, faute de moyens à disposition des intercommunalités pour la financer, sauf à mettre en place une taxe supplémentaire sur le terrain. Je préconise donc de la retransférer à l'État, aux régions, ou aux agences de l'eau. Nous aurons certainement un débat dans les mois à venir sur ce sujet. J'ai rencontré le président Larcher, qui souhaite que l'on s'y penche, car cela pose des difficultés dans nombre de secteurs.

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