Intervention de Patrick Kanner

Commission spéciale Egalité et citoyenneté — Réunion du 27 juillet 2016 à 14h30
Audition de M. Patrick Kanner ministre de la ville de la jeunesse et des sports

Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports :

Monsieur le président Lenoir, j'ai beaucoup apprécié l'expression que vous avez utilisée : « faire face ». Oui, notre pays doit faire face à un péril qu'il n'a pas connu depuis la guerre d'Algérie, et que beaucoup d'entre nous, d'ailleurs, n'ont pas connu. Nous devons prendre conscience de la menace que nous subissons, qui est de nature endogène. Quels que soient les résultats militaires au Levant, des répliques sont susceptibles d'avoir lieu pendant des mois, voire des années, sur notre territoire national : on en veut, très clairement, à notre modèle de société !

Monsieur Lenoir, vous avez évoqué la phrase que j'ai utilisée en début d'année : une centaine de quartiers, dans notre pays, présentent des similitudes potentielles avec Molenbeek. J'ai voulu, à l'époque, nommer les choses, et, ce faisant, dire que nous devions agir. Si nous ne créons pas les anticorps indispensables à l'intérieur de ces quartiers, en effet, les dérives sont inévitables. C'était là, simplement, tenir un langage de vérité. Après le 13 novembre, nous pensions que tout irait bien ; mais, jour après jour, nous pouvons constater l'actualité croissante de cette phrase. Mon intention n'est pas de stigmatiser ces quartiers ; ils le sont déjà, de toute façon. Mais notre responsabilité collective est de reconnaître que certains quartiers, en France, sont en situation d'apartheid territorial, ethnique et social, pour reprendre l'expression employée par le Premier ministre. Si nous ne faisons rien, les prédateurs se saisiront de ces proies que sont nos jeunes concitoyens en perte de repères !

Monsieur le président, vous avez évoqué les très nombreux apports de vos collègues députés. Il s'agit sans doute du dernier texte très important du quinquennat, donc d'un support permettant des évolutions. Je prends l'exemple d'un amendement présenté, à l'Assemblée nationale, par le Gouvernement, donc absent du texte initial, et dont l'objet sont les écoles hors contrat : en la matière, l'exécutif, avec l'appui d'une part non négligeable de députés, souhaite que nous passions d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation. Cela, évidemment, n'est pas sans lien avec le point qui nous occupe, au regard de l'ouverture de nombreuses écoles coraniques qui ignorent les valeurs de la République.

Voici un exemple d'enrichissement du texte ! Ce dernier est assez large pour permettre ce type d'ajouts. Quant à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, vous verrez bien ce qu'il convient d'en retenir, d'en retrancher, d'y ajouter.

Je profite de ces considérations liminaires pour me féliciter d'être parmi vous aujourd'hui, et pour saluer Mmes Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone, rapporteurs, qui n'ont pu être présentes.

Les travaux de cette commission spéciale interviennent à un moment particulier : le terrorisme a de nouveau frappé notre pays, et plongé nos concitoyens dans la sidération - « sidération » : ce mot revient très régulièrement dans les propos des journalistes - et dans l'horreur. La réponse à cette sidération, c'est la résilience et la résistance. Nous devons préserver notre modèle républicain, lequel doit être à la fois ferme et bienveillant. C'est précisément là la tonalité du texte qui vous est présenté ; et je veux dire à Dominique Estrosi Sassone, à la suite du drame qui s'est déroulé à Nice le 14 juillet, la totale détermination du Gouvernement.

Dans des moments si difficiles, le pays a besoin d'unité. La question qui nous est posée est celle de savoir comment construire cette unité. Et les débats sont nécessaires : il ne s'agit pas de les taire.

Les djihadistes, jour après jour, montrent à quel point ils savent s'adapter. Figer nos dispositifs dans le marbre serait une erreur : il faut savoir s'adapter, et réagir devant l'évolution de la menace. En même temps, nous devons nous garder des solutions faciles, instinctives, qui saperaient les fondamentaux de notre histoire constitutionnelle. De ce point de vue, de nombreux sénateurs de la majorité sénatoriale ont eu des mots forts, rassurants. Le péril serait de laisser les terroristes nous emmener là où ils souhaitent, donc de renoncer à nous-mêmes et de céder à la division.

Face à la tuerie de Nice, ou à l'attaque subie hier par la religion catholique, dont on connaît le poids dans l'histoire de France, la question qui nous est posée est la suivante : pouvons-nous mettre en oeuvre des réponses qui rassurent nos concitoyens sur notre capacité à les protéger, tout en demandant à chacun de prendre sa part de l'effort nécessaire pour sécuriser son mode de vie ? On ne peut pas tout attendre de l'État ! À titre d'exemple, j'entendais récemment un responsable d'une communauté juive expliquer que des volontaires assistaient l'armée pour protéger notamment les cérémonies religieuses.

La réponse proposée par l'intermédiaire de ce projet de loi relève du soft power : il s'agit d'une réponse douce, pérenne, qui s'inscrit dans la longue durée. Elle vient compléter les réponses régaliennes nécessaires portées par les ministères de l'intérieur, de la défense et de la justice, lesquels doivent agir dans la rapidité. Je ne crois pas à la pensée magique. Mais je suis convaincu qu'en renforçant l'engagement, en permettant aux jeunes, notamment aux plus marginalisés, d'accéder à l'autonomie, en favorisant la mixité sociale dans l'habitat - c'est l'objet du titre II, qui vous a été présenté par Emmanuelle Cosse -, en luttant contre les discriminations - c'est l'objet du titre III, qui vous a été présenté par Ericka Bareigts -, nous renforcerons la cohésion de notre société.

Avant que se produisent les événements des dix-huit derniers mois, nous étions peut-être moralement désarmés face aux nouveaux périls : notre confort, en quelque sorte, nous rendait aveugles aux drames se déroulant dans d'autres parties du monde. Mais ces drames, désormais, arrivent chez nous. Les Français veulent agir, et ils le montrent : afflux dans les bureaux de dons du sang, dans les bureaux de recrutement de l'armée et de la réserve, dans le secteur associatif. Serons-nous capables, quant à nous, d'aménager un terreau fertile où puisse germer le désir d'engagement de nos concitoyens ?

Je voudrais mettre l'accent sur trois aspects : la culture de l'engagement, l'autonomie des jeunes, la place particulière, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, des conseils citoyens - à propos de ces quartiers, je ne fais aucun amalgame, mais ne pratique pas non plus l'angélisme.

La culture de l'engagement, d'abord. Nous créons la réserve civique, qui viendra compléter la réserve opérationnelle, celle des crises aiguës. Il s'agira d'un outil de cohésion qui pourra être déployé dans les centres de secours, dans les communes lors de vagues de chaleur, en cas de catastrophe naturelle ou de plage souillée par un pétrolier. Cette réserve pourra être mobilisée dans des territoires connaissant des problèmes spécifiques. Administrée par une autorité de gestion dédiée, elle sera ouverte aux mineurs de plus de 16 ans. Il ne s'agit pas d'une garde nationale : il n'est pas question de la mettre en première ligne pour protéger le pays, mais de l'utiliser pour accompagner le pays lorsqu'il connaît des drames.

Nous proposons en outre de créer le congé d'engagement de six jours fractionnables non rémunéré, sauf si les partenaires sociaux en décidaient autrement. Des freins considérables détournent en effet beaucoup d'actifs, notamment jeunes, d'un engagement important. Beaucoup d'associations sont animées par des retraités, et il existe non pas une crise du bénévolat, mais une crise du renouvellement des générations dans le bénévolat. Je souhaite que le champ de ce congé d'engagement soit cohérent avec celui du compte d'engagement citoyen créé par la loi Travail.

Je proposerai, en séance publique, d'approfondir cette disposition, afin que ce congé soit mieux qualifié qu'il ne l'est actuellement.

S'agissant toujours de l'engagement citoyen, il me faut évoquer le service civique, créé en 2010 par Martin Hirsch. Nous voulons créer de nouveaux viviers de missions : l'objectif est de proposer à la moitié d'une classe d'âge, en 2018, de faire un service civique, c'est-à-dire d'atteindre le chiffre de 350°000 à 400 000 missions. La montée en charge doit respecter certains principes essentiels : volontariat, qualité des missions, durée, non-substitution à l'emploi - ce dernier cap doit être absolument préservé.

Le Gouvernement souhaite donc revenir sur l'expérimentation d'un service civique obligatoire, votée par l'Assemblée nationale : le service civique obligatoire nous paraît contraire aux principes que je viens d'évoquer ; en outre, il paraît impraticable, l'objectif consistant à créer 800 000 missions par an étant inatteignable. Je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à ne pas remettre en cause les règles historiques du service civique, définies en 2010.

Enfin, concernant la valorisation de l'engagement dans les études, elle existe déjà, de manière expérimentale, dans certaines universités. Les compétences et connaissances acquises dans le cadre d'une activité bénévole ou dans la réserve opérationnelle seront reconnues dans l'ensemble des diplômes du supérieur. Les dispositions du texte relatives à cette matière ont été largement enrichies par l'Assemblée nationale : les étudiants engagés dans une association, volontaires du service civique ou réservistes opérationnels, pourront ainsi bénéficier d'un aménagement de leur temps scolaire.

Deuxième grand sujet : l'autonomie des jeunes. Près de 8 millions de Français ont entre 15 et 25 ans. Il s'agit d'une formidable richesse - en 2050, la population française sera la plus nombreuse en Europe -, que ne possèdent pas nos amis allemands, dont il est vrai que le taux de chômage est moindre. Mais, au regard de l'importance du chômage des jeunes, certes en légère diminution cette année, il s'agit aussi d'un défi.

Le Président de la République a fait de la jeunesse sa priorité, et ce n'est pas un slogan. Le 11 avril dernier, le Premier ministre a annoncé des mesures complémentaires en direction de la jeunesse, qui ont trouvé leur traduction législative dans la loi Travail : création de l'allocation de recherche du premier emploi, généralisation de la garantie jeune. Nous proposons de renforcer, par le projet de loi « Égalité et citoyenneté », l'accès à la CMU-C, notamment pour les jeunes en situation de rupture familiale, et nous renforcerons, par voie réglementaire, les garanties en matière de logement.

Le pilotage de l'information jeunesse sera amélioré : le chef-de-filat, en la matière, sera confié à la région - ce qui ne veut pas dire compétence exclusive. Beaucoup de jeunes méconnaissent leurs droits ; une boussole des droits sera mise en ligne d'ici la fin de l'année, qui permettra aux jeunes de prendre connaissance, au plus près de leurs besoins, des ressources mobilisables en matière de formation, d'emploi, de logement. Chaque jeune de 16 à 23 ans bénéficiera d'une information individualisée sur ses droits en matière de couverture santé.

Nous renforçons également la place des jeunes au niveau local en incitant les collectivités territoriales à créer des conseils des jeunes. Fallait-il l'imposer ? Nous pensons que les élus doivent plutôt se saisir de cette possibilité de manière volontaire. Nous faisons aussi en sorte que les jeunes soient mieux représentés au niveau régional, dans le cadre des CESER, les conseils économiques, sociaux et environnementaux.

Un sujet a été longuement débattu à l'Assemblée nationale : celui du permis de conduire. L'autonomie passe par le permis de conduire ! Beaucoup de jeunes sont écartés d'un emploi parce qu'ils ne disposent pas de cet outil. Un pas important est effectué : le compte personnel de formation pourra être mobilisé pour les formations tant théoriques que pratiques du permis de conduire. Nous permettrons à tous les jeunes qui sont sous garantie jeunes de bénéficier du permis à un euro par jour, et l'État prendra en charge la caution si les parents ne le peuvent pas. Il s'agit d'un véritable progrès pour beaucoup de jeunes en difficulté.

Troisième grand sujet : les conseils citoyens, créés par la loi du 21 février 2014 dans chaque quartier prioritaire de la politique de la ville. En tant que ministre de la ville, je veux souligner leur importance en matière de démocratie participative. Environ un millier d'entre eux sont déjà installés. Les citoyens disposeront d'un pouvoir d'interpellation des pouvoirs publics par saisine du préfet. Nous avons veillé à ce que les collectivités locales soient pleinement associées à cette forme d'interpellation. C'est la première fois, dans l'histoire de notre démocratie, que des citoyens non élus pourront, sur tel ou tel problème, demander des explications aux élus locaux, dans le cadre des territoires prioritaires de la politique de la ville. Je précise qu'il n'est pas question, ce faisant, de remettre en cause le pouvoir souverain des élus locaux - j'y insiste d'autant plus que les sénateurs sont souvent des élus locaux.

Le projet de loi compte désormais 217 articles. J'aurais pu les évoquer chacun dans le détail, mais je me contenterai de citer le régime d'ouverture des écoles privées, la reconnaissance du parrainage civil - l'origine en est une proposition de loi d'initiative sénatoriale -, ou encore l'identification des fonds associatifs en déshérence.

Quoi qu'il en soit, je pense que ce texte est capable de nous rassembler autour d'une oeuvre commune - je connais les exigences, le savoir-faire et le pragmatisme du Sénat. Mesdames, messieurs les sénateurs, j'essaierai d'être le plus réactif possible à vos propositions.

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