La réunion est ouverte à 14 h 30.
Je voudrais remercier M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, d'avoir accepté de venir devant la commission spéciale, ainsi que les membres de la commission qui ont pu être présents ce mercredi. Je rappelle que cette audition et celle de ce matin ont été reportées à la date d'aujourd'hui en raison de l'inscription à l'ordre du jour de la semaine dernière du projet de loi prorogeant l'application de la loi relative à l'état d'urgence.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré, le 27 mars dernier, qu'une centaine de quartiers urbains, dans notre pays, présentaient des similitudes potentielles avec la commune de Molenbeek, dans la banlieue de Bruxelles, base des attaques terroristes islamistes qui ont ensanglanté la France et la Belgique. Cette observation avait, à l'époque, beaucoup dérangé ; mais une terrible menace pèse aujourd'hui sur notre pays, et est régulièrement mise à exécution depuis l'intervention de la France en Irak et la mort d'Hervé Gourdel, en septembre 2014. Nos villes abritent des terroristes, et de futurs terroristes : il s'agit désormais d'une certitude.
Ce midi, Evelyne Yonnet, sénatrice de Seine-Saint-Denis, élue d'Aubervilliers, nous a d'ailleurs parlé du quotidien vécu par les habitants de ces quartiers, notamment par les responsables associatifs : nous avons, à cette occasion, partagé avec elle une certaine émotion.
Le présent projet de loi vise à apporter des réponses à ces situations. Monsieur le ministre, vous proposez, dans le cadre de ce texte, des réformes structurelles, de long terme. Nous ne pouvons évidemment en espérer des effets immédiats. Les Français doivent s'attendre à vivre encore des moments terribles : nous ne pouvons savoir si et quand d'autres événements tragiques se produiront. Nous devons donc faire face, et attaquer résolument le mal à la racine.
Le contexte qui avait présidé à la présentation de ce projet de loi a cependant été quelque peu perdu de vue : l'Assemblée nationale a beaucoup fait évoluer le texte, et le législateur, en première lecture, est parti un peu dans tous les sens, traitant de sujets pour le moins hétéroclites, souvent très éloignés des objectifs initiaux fixés par le Gouvernement. Monsieur le ministre, j'aimerais connaître votre appréciation sur les multiples modifications introduites par les députés - il est important que ceux qui ont participé à l'élaboration de ce texte nous donnent leur point de vue sur ce qu'il est devenu ! L'enfant qui a été mis au monde remplit-il les espérances que s'était fixées son géniteur ?
Notre collègue Françoise Gatel, lorsqu'elle a appris le report de cette audition, m'a fait immédiatement savoir qu'elle était empêchée par des engagements pris antérieurement. Je l'ai rassurée en lui disant que sa voix serait portée. Mais Dominique Estrosi Sassone a à son tour été empêchée de venir du fait des grèves qui affectent les relations aériennes entre Nice et Paris. Je poserai donc moi-même un certain nombre de questions au nom de Françoise Gatel.
Vous avez la parole, monsieur le ministre.
Monsieur le président Lenoir, j'ai beaucoup apprécié l'expression que vous avez utilisée : « faire face ». Oui, notre pays doit faire face à un péril qu'il n'a pas connu depuis la guerre d'Algérie, et que beaucoup d'entre nous, d'ailleurs, n'ont pas connu. Nous devons prendre conscience de la menace que nous subissons, qui est de nature endogène. Quels que soient les résultats militaires au Levant, des répliques sont susceptibles d'avoir lieu pendant des mois, voire des années, sur notre territoire national : on en veut, très clairement, à notre modèle de société !
Monsieur Lenoir, vous avez évoqué la phrase que j'ai utilisée en début d'année : une centaine de quartiers, dans notre pays, présentent des similitudes potentielles avec Molenbeek. J'ai voulu, à l'époque, nommer les choses, et, ce faisant, dire que nous devions agir. Si nous ne créons pas les anticorps indispensables à l'intérieur de ces quartiers, en effet, les dérives sont inévitables. C'était là, simplement, tenir un langage de vérité. Après le 13 novembre, nous pensions que tout irait bien ; mais, jour après jour, nous pouvons constater l'actualité croissante de cette phrase. Mon intention n'est pas de stigmatiser ces quartiers ; ils le sont déjà, de toute façon. Mais notre responsabilité collective est de reconnaître que certains quartiers, en France, sont en situation d'apartheid territorial, ethnique et social, pour reprendre l'expression employée par le Premier ministre. Si nous ne faisons rien, les prédateurs se saisiront de ces proies que sont nos jeunes concitoyens en perte de repères !
Monsieur le président, vous avez évoqué les très nombreux apports de vos collègues députés. Il s'agit sans doute du dernier texte très important du quinquennat, donc d'un support permettant des évolutions. Je prends l'exemple d'un amendement présenté, à l'Assemblée nationale, par le Gouvernement, donc absent du texte initial, et dont l'objet sont les écoles hors contrat : en la matière, l'exécutif, avec l'appui d'une part non négligeable de députés, souhaite que nous passions d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation. Cela, évidemment, n'est pas sans lien avec le point qui nous occupe, au regard de l'ouverture de nombreuses écoles coraniques qui ignorent les valeurs de la République.
Voici un exemple d'enrichissement du texte ! Ce dernier est assez large pour permettre ce type d'ajouts. Quant à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, vous verrez bien ce qu'il convient d'en retenir, d'en retrancher, d'y ajouter.
Je profite de ces considérations liminaires pour me féliciter d'être parmi vous aujourd'hui, et pour saluer Mmes Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone, rapporteurs, qui n'ont pu être présentes.
Les travaux de cette commission spéciale interviennent à un moment particulier : le terrorisme a de nouveau frappé notre pays, et plongé nos concitoyens dans la sidération - « sidération » : ce mot revient très régulièrement dans les propos des journalistes - et dans l'horreur. La réponse à cette sidération, c'est la résilience et la résistance. Nous devons préserver notre modèle républicain, lequel doit être à la fois ferme et bienveillant. C'est précisément là la tonalité du texte qui vous est présenté ; et je veux dire à Dominique Estrosi Sassone, à la suite du drame qui s'est déroulé à Nice le 14 juillet, la totale détermination du Gouvernement.
Dans des moments si difficiles, le pays a besoin d'unité. La question qui nous est posée est celle de savoir comment construire cette unité. Et les débats sont nécessaires : il ne s'agit pas de les taire.
Les djihadistes, jour après jour, montrent à quel point ils savent s'adapter. Figer nos dispositifs dans le marbre serait une erreur : il faut savoir s'adapter, et réagir devant l'évolution de la menace. En même temps, nous devons nous garder des solutions faciles, instinctives, qui saperaient les fondamentaux de notre histoire constitutionnelle. De ce point de vue, de nombreux sénateurs de la majorité sénatoriale ont eu des mots forts, rassurants. Le péril serait de laisser les terroristes nous emmener là où ils souhaitent, donc de renoncer à nous-mêmes et de céder à la division.
Face à la tuerie de Nice, ou à l'attaque subie hier par la religion catholique, dont on connaît le poids dans l'histoire de France, la question qui nous est posée est la suivante : pouvons-nous mettre en oeuvre des réponses qui rassurent nos concitoyens sur notre capacité à les protéger, tout en demandant à chacun de prendre sa part de l'effort nécessaire pour sécuriser son mode de vie ? On ne peut pas tout attendre de l'État ! À titre d'exemple, j'entendais récemment un responsable d'une communauté juive expliquer que des volontaires assistaient l'armée pour protéger notamment les cérémonies religieuses.
La réponse proposée par l'intermédiaire de ce projet de loi relève du soft power : il s'agit d'une réponse douce, pérenne, qui s'inscrit dans la longue durée. Elle vient compléter les réponses régaliennes nécessaires portées par les ministères de l'intérieur, de la défense et de la justice, lesquels doivent agir dans la rapidité. Je ne crois pas à la pensée magique. Mais je suis convaincu qu'en renforçant l'engagement, en permettant aux jeunes, notamment aux plus marginalisés, d'accéder à l'autonomie, en favorisant la mixité sociale dans l'habitat - c'est l'objet du titre II, qui vous a été présenté par Emmanuelle Cosse -, en luttant contre les discriminations - c'est l'objet du titre III, qui vous a été présenté par Ericka Bareigts -, nous renforcerons la cohésion de notre société.
Avant que se produisent les événements des dix-huit derniers mois, nous étions peut-être moralement désarmés face aux nouveaux périls : notre confort, en quelque sorte, nous rendait aveugles aux drames se déroulant dans d'autres parties du monde. Mais ces drames, désormais, arrivent chez nous. Les Français veulent agir, et ils le montrent : afflux dans les bureaux de dons du sang, dans les bureaux de recrutement de l'armée et de la réserve, dans le secteur associatif. Serons-nous capables, quant à nous, d'aménager un terreau fertile où puisse germer le désir d'engagement de nos concitoyens ?
Je voudrais mettre l'accent sur trois aspects : la culture de l'engagement, l'autonomie des jeunes, la place particulière, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, des conseils citoyens - à propos de ces quartiers, je ne fais aucun amalgame, mais ne pratique pas non plus l'angélisme.
La culture de l'engagement, d'abord. Nous créons la réserve civique, qui viendra compléter la réserve opérationnelle, celle des crises aiguës. Il s'agira d'un outil de cohésion qui pourra être déployé dans les centres de secours, dans les communes lors de vagues de chaleur, en cas de catastrophe naturelle ou de plage souillée par un pétrolier. Cette réserve pourra être mobilisée dans des territoires connaissant des problèmes spécifiques. Administrée par une autorité de gestion dédiée, elle sera ouverte aux mineurs de plus de 16 ans. Il ne s'agit pas d'une garde nationale : il n'est pas question de la mettre en première ligne pour protéger le pays, mais de l'utiliser pour accompagner le pays lorsqu'il connaît des drames.
Nous proposons en outre de créer le congé d'engagement de six jours fractionnables non rémunéré, sauf si les partenaires sociaux en décidaient autrement. Des freins considérables détournent en effet beaucoup d'actifs, notamment jeunes, d'un engagement important. Beaucoup d'associations sont animées par des retraités, et il existe non pas une crise du bénévolat, mais une crise du renouvellement des générations dans le bénévolat. Je souhaite que le champ de ce congé d'engagement soit cohérent avec celui du compte d'engagement citoyen créé par la loi Travail.
Je proposerai, en séance publique, d'approfondir cette disposition, afin que ce congé soit mieux qualifié qu'il ne l'est actuellement.
S'agissant toujours de l'engagement citoyen, il me faut évoquer le service civique, créé en 2010 par Martin Hirsch. Nous voulons créer de nouveaux viviers de missions : l'objectif est de proposer à la moitié d'une classe d'âge, en 2018, de faire un service civique, c'est-à-dire d'atteindre le chiffre de 350°000 à 400 000 missions. La montée en charge doit respecter certains principes essentiels : volontariat, qualité des missions, durée, non-substitution à l'emploi - ce dernier cap doit être absolument préservé.
Le Gouvernement souhaite donc revenir sur l'expérimentation d'un service civique obligatoire, votée par l'Assemblée nationale : le service civique obligatoire nous paraît contraire aux principes que je viens d'évoquer ; en outre, il paraît impraticable, l'objectif consistant à créer 800 000 missions par an étant inatteignable. Je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à ne pas remettre en cause les règles historiques du service civique, définies en 2010.
Enfin, concernant la valorisation de l'engagement dans les études, elle existe déjà, de manière expérimentale, dans certaines universités. Les compétences et connaissances acquises dans le cadre d'une activité bénévole ou dans la réserve opérationnelle seront reconnues dans l'ensemble des diplômes du supérieur. Les dispositions du texte relatives à cette matière ont été largement enrichies par l'Assemblée nationale : les étudiants engagés dans une association, volontaires du service civique ou réservistes opérationnels, pourront ainsi bénéficier d'un aménagement de leur temps scolaire.
Deuxième grand sujet : l'autonomie des jeunes. Près de 8 millions de Français ont entre 15 et 25 ans. Il s'agit d'une formidable richesse - en 2050, la population française sera la plus nombreuse en Europe -, que ne possèdent pas nos amis allemands, dont il est vrai que le taux de chômage est moindre. Mais, au regard de l'importance du chômage des jeunes, certes en légère diminution cette année, il s'agit aussi d'un défi.
Le Président de la République a fait de la jeunesse sa priorité, et ce n'est pas un slogan. Le 11 avril dernier, le Premier ministre a annoncé des mesures complémentaires en direction de la jeunesse, qui ont trouvé leur traduction législative dans la loi Travail : création de l'allocation de recherche du premier emploi, généralisation de la garantie jeune. Nous proposons de renforcer, par le projet de loi « Égalité et citoyenneté », l'accès à la CMU-C, notamment pour les jeunes en situation de rupture familiale, et nous renforcerons, par voie réglementaire, les garanties en matière de logement.
Le pilotage de l'information jeunesse sera amélioré : le chef-de-filat, en la matière, sera confié à la région - ce qui ne veut pas dire compétence exclusive. Beaucoup de jeunes méconnaissent leurs droits ; une boussole des droits sera mise en ligne d'ici la fin de l'année, qui permettra aux jeunes de prendre connaissance, au plus près de leurs besoins, des ressources mobilisables en matière de formation, d'emploi, de logement. Chaque jeune de 16 à 23 ans bénéficiera d'une information individualisée sur ses droits en matière de couverture santé.
Nous renforçons également la place des jeunes au niveau local en incitant les collectivités territoriales à créer des conseils des jeunes. Fallait-il l'imposer ? Nous pensons que les élus doivent plutôt se saisir de cette possibilité de manière volontaire. Nous faisons aussi en sorte que les jeunes soient mieux représentés au niveau régional, dans le cadre des CESER, les conseils économiques, sociaux et environnementaux.
Un sujet a été longuement débattu à l'Assemblée nationale : celui du permis de conduire. L'autonomie passe par le permis de conduire ! Beaucoup de jeunes sont écartés d'un emploi parce qu'ils ne disposent pas de cet outil. Un pas important est effectué : le compte personnel de formation pourra être mobilisé pour les formations tant théoriques que pratiques du permis de conduire. Nous permettrons à tous les jeunes qui sont sous garantie jeunes de bénéficier du permis à un euro par jour, et l'État prendra en charge la caution si les parents ne le peuvent pas. Il s'agit d'un véritable progrès pour beaucoup de jeunes en difficulté.
Troisième grand sujet : les conseils citoyens, créés par la loi du 21 février 2014 dans chaque quartier prioritaire de la politique de la ville. En tant que ministre de la ville, je veux souligner leur importance en matière de démocratie participative. Environ un millier d'entre eux sont déjà installés. Les citoyens disposeront d'un pouvoir d'interpellation des pouvoirs publics par saisine du préfet. Nous avons veillé à ce que les collectivités locales soient pleinement associées à cette forme d'interpellation. C'est la première fois, dans l'histoire de notre démocratie, que des citoyens non élus pourront, sur tel ou tel problème, demander des explications aux élus locaux, dans le cadre des territoires prioritaires de la politique de la ville. Je précise qu'il n'est pas question, ce faisant, de remettre en cause le pouvoir souverain des élus locaux - j'y insiste d'autant plus que les sénateurs sont souvent des élus locaux.
Le projet de loi compte désormais 217 articles. J'aurais pu les évoquer chacun dans le détail, mais je me contenterai de citer le régime d'ouverture des écoles privées, la reconnaissance du parrainage civil - l'origine en est une proposition de loi d'initiative sénatoriale -, ou encore l'identification des fonds associatifs en déshérence.
Quoi qu'il en soit, je pense que ce texte est capable de nous rassembler autour d'une oeuvre commune - je connais les exigences, le savoir-faire et le pragmatisme du Sénat. Mesdames, messieurs les sénateurs, j'essaierai d'être le plus réactif possible à vos propositions.
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir exposé pour nous dans le détail les dispositions de ce projet de loi. J'espère qu'à l'issue des travaux parlementaires le message d'origine ne sera pas brouillé.
Je voudrais poser quelques questions pour compléter ce qui a déjà été dit.
Nous avons déjà eu, ici même, un débat sur le service civique universel et obligatoire. Si la mise en oeuvre de l'universalité paraît possible, quoique complexe, qu'en est-il de l'obligation ? En la matière, quelle forme pourrait prendre une expérimentation ? Cela mérite d'être précisé.
Par ailleurs, monsieur le ministre, la mise en place d'un bilan de compétences à l'issue du service civique, qui pourrait valoir au titre de la validation des acquis de l'expérience des jeunes, serait-elle envisageable ?
Concernant la pré-majorité associative, comment la fameuse question du « discernement » des jeunes qui en bénéficieraient sera-t-elle traitée ? Qui décidera si un jeune possède assez de discernement ?
S'agissant des conseils des jeunes, nous en avons déjà beaucoup débattu. Il paraît difficile de les rendre obligatoires ; malgré tout, en tant que maire d'une petite commune, j'ai bel et bien l'intention et l'envie de créer un tel conseil. Pourrait-on, en revanche, envisager que les régions, qui seront dotées du chef-de-filat en matière de politique de la jeunesse, aient l'obligation de créer des conseils régionaux des jeunes - la plupart d'entre elles l'ont d'ailleurs déjà fait ?
Quant à la valorisation de l'engagement, je pense, en tant que membre du Haut Conseil de la vie associative, qu'elle doit intervenir au niveau même de l'obtention des diplômes, qu'il s'agisse du brevet des collèges, du baccalauréat ou des examens universitaires - un rapport vous a été remis sur cette question, monsieur le ministre. Les jeunes doivent être jugés non seulement sur leurs résultats scolaires, mais aussi sur leur comportement et leur engagement citoyen.
Autre question : celle du parrainage civil, lequel provoque un certain engouement, comme j'ai pu moi-même le constater en tant qu'élu. Il serait souhaitable que le parrainage civil soit érigé en véritable acte d'état civil, ce qui n'est pas le cas actuellement, malgré la solennité et l'émotion qui entourent sa célébration.
Quant à la manne des comptes associatifs inactifs, il est impératif qu'elle vienne abonder le budget du Fonds pour le développement de la vie associative.
Enfin, l'inversion de la règle d'âge, au profit du plus jeune, en cas de partage des voix lors d'une élection aux instances représentatives du personnel, me paraît vertueuse
Mes questions seront quelque peu iconoclastes. Ce texte a été élaboré avant les événements que nous venons de vivre. Comment faire en sorte que les objectifs opérationnels de reconquête de la citoyenneté soient atteints, en particulier dans ces territoires que vous avez évoqués, monsieur le ministre, qui s'éloignent de plus en plus de la République ? L'effort est certes mené par les ministres régaliens, mais j'aime l'idée d'associer les citoyens à leur propre protection. De ce point de vue, des pistes sont à travailler.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué le chef-de-filat des régions en matière de politique de la jeunesse. Ce chef-de-filat ne doit pas être exclusif : à l'intérieur des grandes régions, il existe des conseils départementaux ! Ceux-ci se sont déjà penchés, dans le passé, sur cette question des modalités possibles d'une meilleure intégration de la jeunesse à l'élaboration des politiques. Il serait dommageable de se priver de cette expertise, d'autant qu'entre Lille et Chantilly, le chemin est long, trop long, peut-être, pour la citoyenneté !
De la même manière, il est nécessaire d'agir en faveur de la mobilité des jeunes, passage obligé de cette quête du Graal qu'est l'emploi. De nombreuses collectivités territoriales mènent depuis longtemps des politiques en ce sens. Il serait judicieux, une fois n'est pas coutume, de les faire participer au travail entrepris par l'État.
Je souhaite évoquer un dernier point, qui, à mon grand regret, est absent du texte : nous venons d'adopter à l'unanimité le projet de loi pour une République numérique, et vous connaissez, monsieur le ministre, l'appétence de la jeunesse pour ces nouveaux outils. Il serait juste et bon d'engager des actions structurées, à destination notamment de celles et ceux qui en sont les plus éloignés, qui vivent dans les quartiers prioritaires, pour promouvoir la maîtrise des outils numériques. Le permis de conduire est certes indispensable pour accéder à l'emploi ; mais il en va de même, désormais, de la maîtrise du numérique.
Monsieur le ministre, à la suite de Jacques-Bernard Magner, j'évoquerai trois points.
Premièrement, je tiens à revenir sur les conseils de citoyenneté et, plus largement, sur ce « mouvement conseilliste », dont la social-démocratie du Nord, qui vous est chère, a une grande expérience. La création de conseils de quartier est une bonne chose. J'ai longtemps pu l'observer dans la ville dont j'étais l'élu.
Cela étant, on idéalise parfois ce mode de participation. Aussi est-il nécessaire de nuancer. Il peut parfois devenir l'instrument de l'exécutif en place. Dans d'autres cas, il peut verser dans le corporatisme : aujourd'hui, chaque fois que l'on prévoit de créer une usine, d'aménager une route ou un pont, un conseil se réunit pour affirmer que le projet doit être implanté ailleurs. Et je ne parle pas d'infrastructures permettant l'atterrissage des avions... (Sourires.)
Les élus ne doivent pas vivre dans le confort de leur mandat en partant du principe qu'ils n'ont pas de comptes à rendre. Bien au contraire, ils doivent être aiguisés par l'intense activité démocratique à laquelle ils concourent. Je note au demeurant qu'aujourd'hui ils ont rarement l'occasion de s'endormir !
Deuxièmement, je mentionnerai les conseils de jeunes. J'ai grand plaisir à recevoir leurs représentants au Sénat : je leur fais visiter l'hémicycle et je leur explique comment est fabriquée la loi, ce qu'en général ils ignorent totalement. J'ai récemment reçu une délégation du Rotary Club dont les membres ne savaient pas non plus comment l'on fait une loi dans ce pays ! À l'évidence, ce savoir est très peu répandu. Quelle est la différence entre un projet de loi et une proposition de loi ? Quand vous posez cette question, votre interlocuteur reste souvent ébahi. Rares sont ceux qui ont lu la Constitution !
On réunit également des conseils de sages. Si Napoléon a créé le Sénat, c'est parce qu'il était fasciné par les Romains, pour lesquels les citoyens d'un certain âge devaient être consultés. Or, ce qui est passionnant, ce qu'il y a de plus précieux dans un conseil municipal, départemental ou régional, c'est de voir rassemblées autour d'une même table des personnes de 18 à 75 ans, qui ont toutes quelque chose à dire.
Aujourd'hui, les élus sont conviés à nombre de réunions, organisées à toutes les heures du jour par M. le préfet ou par M. le sous-préfet. On en viendrait presque à se dire que des conseils municipaux composés de retraités seraient une bonne chose, au motif que les élus seraient plus souvent présents. Mais, à mon sens, il s'agit là d'une très grave déviation ! En définitive, on aboutirait à créer deux catégories de conseillers municipaux : ceux qui peuvent venir à toutes les réunions, quel que soit l'horaire ; et ceux qui ont un travail ou qui font des études, bref ceux qui ont des contraintes.
Au contraire, pour assurer l'essor de la démocratie, il faudrait multiplier les règles permettant à chacun de participer. À cette fin, commençons par réduire le nombre des réunions. On croit toujours que, plus les réunions sont nombreuses, plus le processus démocratique est fort. Mais, en général, ne répondent à la convocation que les professionnels de la réunion. Or ces derniers ne représentent pas toujours la population !
Troisièmement et enfin, au sujet du service civique, une piste ressurgit toujours dans les discours sans que l'on n'ose la mettre en oeuvre : que tous les jeunes de ce pays accomplissent six mois de service citoyen, divisés par exemple en deux périodes de trois mois, pour respecter le déroulement de leurs études. Ce service serait universel, sans aucune dispense que ce soit. Ainsi, l'on retrouverait l'idée du creuset républicain.
Ce service pourrait naturellement s'appliquer à des tâches de défense. Mais il pourrait également inclure des missions de secourisme, de respect de l'environnement, de soutien aux populations, d'action humanitaire ou d'action internationale.
Monsieur le ministre, cette idée n'a peut-être pas sa place dans le présent projet de loi. Mais, selon vous, ne serait-il pas judicieux de la mettre en oeuvre ?
Monsieur le ministre, sur le principe, je soutiens fortement le développement du service civique pour le développement de l'égalité et de la citoyenneté. Néanmoins, comme vous l'avez vous-même rappelé, il faut garder pleinement à l'esprit que le service civique ne saurait remplacer un emploi. Dès lors, comment contrôler le bon fonctionnement du service civique, notamment par le biais de référents ?
Contrairement à M. Sueur, il ne nous semble pas pertinent d'instaurer pour l'heure un service citoyen obligatoire. Derrière ce dispositif, nous craignons de voir ressurgir un service national obligatoire. Je ne pense pas que ce soit, d'emblée, une solution pour ramener les jeunes vers davantage de citoyenneté. Bien sûr, il sera possible d'approfondir notre réflexion commune sur ce sujet.
Parallèlement, l'autonomie des jeunes suscite de nombreuses questions, qu'il s'agisse de l'allocation au premier emploi pour étudiant ou de la garantie jeunes, que nous avons toujours jugée largement insuffisante. En la matière, le Président de la République avait fait de nombreuses promesses de campagne : il avait même évoqué un revenu d'autonomie pour les jeunes. C'est là une idée qui commence à germer dans l'esprit de beaucoup d'entre nous, à l'heure où l'on parle du revenu universel, du revenu de base. Le Sénat consacre même une mission d'information à ce sujet spécifique. Il est essentiel de prévoir un financement garantissant une autonomie minimale pour tous les jeunes !
J'évoquerai un deuxième point, qui me tient très à coeur, comme à d'autres. J'avais d'ailleurs été très heureuse d'entendre vos propos sur cette question, à l'époque où débutait mon mandat de sénatrice : ce sujet, c'est celui de la laïcité. Avec ce projet de loi, vous avez reformulé cette préoccupation, mais elle n'a jamais été développée lors de nos débats en commission ou au sein des groupes politiques, comme s'il y avait des choses plus importantes, comme si cette question faisait encore l'objet de désaccords.
Il est grand temps que l'on s'attaque au sujet de la laïcité dans tous nos territoires. Pour ma part, je suis élue des Côtes-d'Armor. Nous défendons la laïcité en Bretagne comme partout ailleurs. Mais on en arrive à se dire : de quelle laïcité parlons-nous ? À mes yeux, un tel questionnement n'est pas bon. Je préfère les positions fermes, comme celle que vous avez exprimée.
En Bretagne, dans des villes comme Rennes, ou en région parisienne, par exemple à Aubervilliers, des associations défendent les droits des femmes : leurs représentants, que nous avons reçus, nous ont déclaré que, dans certains quartiers, les femmes ne pouvaient seulement pas passer un moment en terrasse sans se faire agresser verbalement : et nous laissons passer ces attitudes intolérables ! Il me semble que ce constat devrait faire consensus.
Parallèlement, nous devons être encore plus ouverts à l'accueil des migrants : il faut insister sur le fait qu'aucun peuple, quel qu'il soit, n'est mis à l'index. Nous devons prendre le temps de parler de laïcité entre nous. Il s'agit là d'un enjeu essentiel pour l'unité nationale, pour la refondation de notre société.
Monsieur le ministre, je vous remercie à mon tour de votre propos introductif.
L'évolution que ce projet de loi connaîtra au cours des débats parlementaires sera fortement marquée par ce que nous vivons depuis quelques mois : c'est inévitable. Récemment encore, seul Paris était visé par ces attaques. À présent, avec Nice et Saint-Étienne-du-Rouvray, elles touchent l'ensemble du pays. La perception qu'en ont nos concitoyens s'en trouve nécessairement transformée.
Le présent texte a un intitulé extrêmement ambitieux, qui pourrait à lui seul résumer un véritable projet de société ! Mais il ne faudrait pas qu'il devienne un projet de loi fourre-tout. Compte tenu de la période que nous traversons, ce texte doit être une réforme extrêmement importante, ayant pour ambition de réunir l'ensemble de la société, bref un projet à la fois social et sociétal.
Notre pays connaît de profondes disparités, notamment selon les origines sociales ou géographiques. Or l'État déploie des efforts qui doivent transparaître dans ce projet de loi. Comment donc faire pour réduire les inégalités que nous constatons, qui perdurent et même parfois s'aggravent, malgré les efforts consentis ?
À l'heure actuelle, nous n'avons pas encore les moyens de nos ambitions. Il est donc indispensable de parler avec nos concitoyens.
À cet égard, je rejoins Jean-Pierre Sueur : notre société actuelle est déstructurée. On le constate au titre des modèles familiaux. Un jour venant, peut-être aborderons-nous enfin la place du père dans la famille. Quand on regarde le profil des terroristes qui ont commis les derniers attentats, un constat est tout à fait frappant : l'absence de structure familiale, voire de toute attention portée à l'enfant, puis à l'adolescent. Il s'agit là d'un problème de fond, qui se double ensuite de difficultés scolaires ou sociétales. À aucun moment ces jeunes n'ont pu retrouver une forme de famille ou d'entité commune. Or, à mon sens, seule la Nation est à même de faire évoluer cette situation.
À ce titre, il ne serait pas illogique que les ministres de l'éducation et de la culture s'approprient eux aussi ce projet de loi. Ce choix serait symboliquement fort.
Il va sans dire que l'effort de financement doit être considérablement renforcé en faveur de la petite enfance, de l'école maternelle et de l'école primaire. Toutefois, ce travail ne sera pas accompli du jour au lendemain. Il me semble donc impératif d'aller dans le sens d'un service civique ou militaire obligatoire. Ainsi, l'on assurera le brassage de l'ensemble des jeunes, tout en favorisant l'idée de citoyenneté, fruit de notre histoire, conduisant chacune et chacun, quelles que soient ses origines, notamment géographiques, à se retrouver autour d'un discours commun, autour de perspectives communes. Même si l'école agit, ce projet commun n'existe pas encore suffisamment.
Deuxièmement, après Yves Rome, je dirai un mot des outils numériques.
Aujourd'hui, beaucoup de jeunes déstructurés ou déconnectés d'une vie sociale traditionnelle utilisent le numérique. Parfois, ils maîtrisent très bien cet outil, ils en sont aussi familiers que de la télévision. Dans ce cadre, comment éviter une banalisation de la violence, en particulier par le biais des jeux vidéo ? Entre l'imaginaire des jeux vidéo et la réalité, la différence n'est parfois pas suffisamment perçue. Comment notre responsabilité collective, celle de l'État, peut-elle être engagée ? Comment assurer une surveillance plus efficace pour éviter cette effroyable banalisation de la violence ? Cette problématique rejoint celle des chaînes d'information en continu, qui font des drames que nous vivons une série de faits divers permanente. C'est là un enjeu sociétal majeur.
Troisièmement et enfin, je remarque que l'on évoque une nouvelle fois les ghettos de pauvres. Mais il y a aussi des ghettos de riches, et les deux réalités sont parfois liées ! Le sujet du logement social concerne directement la commission des affaires économiques. En la matière, il faut bien sûr accroître le parc de logements sociaux existants par de nouvelles constructions, mais cela ne suffira pas ! Il faut également assurer un bon environnement éducatif, culturel et sportif.
Je vous remercie de votre exposé, monsieur le ministre.
Je rejoins les propos de Jean-Pierre Sueur et Yannick Vaugrenard : rendre le service citoyen universel obligatoire pourrait redonner des repères à cette jeunesse qui n'est pas insérée ou qui ne veut pas s'insérer. Or vos propositions vont toucher la jeunesse qui est déjà intégrée, qui ne connaît peut-être pas beaucoup de choses, mais qui sait où se renseigner, où aller. Les jeunes qui nous intéressent sont ceux qui, lorsqu'ils rentrent - ou non - de l'école, n'ont pas de repères en dehors d'un quartier, d'un stade, de leurs deals, des jeunes qui sont en quelque sorte enfermés dans ce qu'ils considèrent comme leur « chez eux ». Ce sont parmi ces jeunes que se trouvent ceux qui peuvent commettre des actes comme à Nice ou en Allemagne, qui peuvent égorger un prêtre, attaquer à la hache.
Nous ne sommes pas à l'abri de tels actes individuels incontrôlés commis par des gens mal dans leur peau et qui se nourrissent de vidéos violentes.
Il est vrai qu'il y a des fractures numériques, mais quand on voit que des jeunes, avec portables et voitures, venant du Val-d'Oise, de l'Oise, de la Seine-et-Marne peuvent se rassembler en un quart d'heure, on voit qu'ils savent se servir du numérique. Comme le disait Yannick Vaugrenard, ils en font un usage complètement dévoyé. Ils regardent surtout des vidéos violentes de propagande ou jouent à des jeux tout aussi violents. Je vois souvent des gamins qui passent dix heures par jour sur écran à tuer, alors que leurs parents sont inexistants, travaillent, ou, pour calmer le gosse, le laissent faire : oui, il reste à la maison, mais à jouer à des jeux vidéo toute la journée !
Le service citoyen universel obligatoire toucherait tout le monde, y compris ces jeunes.
On aurait dû avoir une réflexion approfondie en amont avant d'attaquer le projet de loi, car nous avons beaucoup d'idées les uns et les autres pour améliorer les choses, chacun avec notre vision de ce monde de brutes. Nous avons plein de choses à dire, mais nous ne voulons pas non plus d'un dernier texte fourre-tout parce qu'il n'y a plus assez de temps.
Ce qu'ont dit mes collègues me satisfait entièrement. Pour qu'il puisse servir de point de repère, ce service citoyen doit concerner tout le monde : il ne doit pas y avoir de première classe et de deuxième classe, et il ne doit pas être fondé sur le volontariat. Je trouve que l'on est gentil, mais, à un moment donné, il faut peut-être être un peu plus dur et montrer qu'une société est régie comme ça et non pas comme chacun l'entend, même si l'on peut apporter des améliorations.
Pour les avoir pratiqués depuis des décennies, je peux vous assurer que les conseils de quartier, les conseils des jeunes, les conseils des sages enlèvent leur autorité au maire et aux conseillers municipaux, dévaluent leur travail, comme l'a dit Jean-Pierre Sueur. Nous sommes plusieurs à avoir eu le sentiment qu'il s'agissait de tirer à boulets rouges sur les élus : ceux qui y participent ont l'impression d'avoir un pouvoir et d'être plus compétents que les élus. Si l'on est élu, c'est pour assumer et, avec la multiplication de ces conseils, on s'y perd. Il faudrait peut-être trouver autre chose, faire en sorte par exemple qu'il y ait de nouveaux élus, des jeunes et des moins jeunes, par exemple, mais je ne suis pas sûre que multiplier sans fin les conseils soit une bonne chose.
Ma chère collègue, nous avons tous été impressionnés par les témoignages sur la vie quotidienne dans le département où vous êtes élue, lesquels justifient pleinement les interrogations et les propositions qui sont formulées.
J'ai trois séries de questions, dont certaines émanent de Françoise Gatel et sont très précises. Je conçois parfaitement que vous y apportiez par écrit des compléments de réponse, monsieur le ministre.
La première série porte sur les dispositions relatives au service civique, dont l'évaluation permanente est indispensable pour s'assurer qu'il réponde aux objectifs fixés. Comment ce service est-il évalué aujourd'hui ? Quelles sont les pistes d'amélioration envisagées ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour que la massification du service civique n'entraîne pas une détérioration de la qualité des missions ? Quels sont les moyens de contrôle de l'Agence du service civique ?
Certains interlocuteurs nous ont signalé que la seule façon d'atteindre l'objectif chiffré par le Président de la République serait d'organiser des services civiques collectifs, avec deux volontaires sur une même mission, afin d'éviter le risque d'occupation d'un emploi par un volontaire, de créer une mixité sociale et de favoriser les échanges entre volontaires. Que pensez-vous de ces propositions ? Les volontaires du service civique doivent suivre une formation civique et citoyenne. Certains jeunes viennent d'ailleurs au Sénat pour un cours d'instruction civique in situ.
Que pensez-vous de l'idée de réaliser cette formation de manière collective afin de renforcer les échanges entre volontaires et de créer une mixité sociale ?
Enfin, la réserve civique ne fonctionnera pas sans une animation permanente et efficace du réseau. Quelles instances sont censées jouer ce rôle ? Comment favoriser une articulation entre les différentes formes de bénévolat, qu'il s'agisse du bénévolat associatif ou de celui des réservistes ?
J'en viens aux dispositions relatives aux collectivités territoriales.
Le transfert à la région de la coordination des politiques d'information à destination de la jeunesse et l'affirmation de sa qualité de chef de file en la matière ont-ils fait l'objet d'une concertation en amont avec les collectivités concernées ? Quelle sera la nature de la coordination menée par la région et dans quelle mesure permettra-t-elle une plus grande cohérence des politiques publiques à cet égard ? Outre leur faible normativité, les dispositions relatives aux CESER, les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, ne risquent-elles pas de complexifier excessivement le dispositif ? Quelle sera la représentativité des représentants d'associations de jeunesse et d'éducation populaire ainsi que des organisations desquelles ils sont issus ?
En outre, quelle est la portée normative des articles 16 bis et 16 ter ?
Parmi les dispositions diverses, l'article 15 ter prévoit la possibilité pour un mineur d'être membre d'une association et de la gérer. Si cette disposition comporte une forte dimension symbolique, ne pensez-vous pas qu'elle puisse avoir des conséquences juridiques problématiques ? À titre d'exemple, si le mineur était nommé trésorier, ses parents seraient-ils responsables des problèmes de gestion financière constatés au sein de l'association ?
Pourquoi réformer, à l'article 19 quater, le régime juridique des auberges de jeunesse ? Quel lien a cette disposition avec l'objet du projet de loi ?
La même question vaut pour l'article 13 bis relatif au profil biologique des sportifs.
Par ailleurs, je suis surpris que, dans le contexte actuel, l'éducation nationale restreigne le nombre de sites qui accueillent des centres d'information et d'orientation. Ma propre ville, Mortagne-au-Perche, perd son CIO au profit d'une autre commune. Je m'en suis ouvert au recteur, qui m'a parlé des contraintes budgétaires. C'est l'inverse de ce qu'il faudrait faire. Je suis persuadé que cette question va être relayée.
Enfin, concernant l'article 14 bis, j'ai reçu hier un long courrier de l'Association Les Enfants d'abord, qui défend la liberté de l'instruction ; elle attire notre attention sur le problème de l'instruction en famille. Le courrier a également été reçu par la ministre de l'éducation.
Monsieur le ministre, nous en sommes conscients, vous ne pourrez vraisemblablement pas répondre à toutes les questions aujourd'hui, mais les compléments que vous nous ferez éventuellement parvenir ultérieurement seront portés à la connaissance de l'ensemble des membres de la commission spéciale et pris en compte comme autant d'éléments du débat.
Je vous remercie de l'élégance de cette proposition, car j'ai compté une cinquantaine de questions ! (Sourires.)
Je me félicite de la qualité de ce débat, car je revendique une approche sociétale de ce projet de loi pour l'avenir de la société. Si ce texte peut modestement y contribuer, j'en serai, avec mes collègues Emmanuelle Cosse et Ericka Bareigts, très heureux, car il est bon que la République ne règle pas seulement des problèmes techniques.
Le service civique n'étant pas un emploi, le bilan de compétence qui est délivré à la fin représente une attestation de mise en oeuvre du service civique. On qualifie le CV d'un jeune par le service civique, mais ce n'est pas un bilan de compétence en tant que tel. Cette préoccupation devra être intégrée, mais en évitant toute comparaison avec un emploi fixe, au risque de détourner le texte de son objet.
S'agissant de la pré-majorité associative, la capacité de discernement du mineur est une notion reconnue par le code civil, par exemple à l'article 388-1, qui laisse au juge le soin de déterminer au regard de la personnalité du mineur sa capacité. Avant 2011, il n'y avait d'ailleurs pas de limite d'âge.
Nous avons une approche de confiance, car nous considérons qu'à seize ans on est plutôt capable de discernement. Naturellement, la maturité psychologique peut s'apprécier différemment selon les personnes. Je connais des personnes de plus de dix-huit ans qui ont une maturité relative...
Pour les conseils de jeunes, nous travaillons dans une logique de subsidiarité : il n'est pas question que ces conseils soient des structures obligatoires. Laissons aux élus le soin de procéder dans le sens qu'ils jugent le plus utile à la démocratie. Mais permettre à des jeunes de contribuer à l'élaboration de projets de société sans être pour autant élus du peuple est peut-être une porte d'entrée pour qu'ils s'intéressent à la vie politique. Aux dernières élections régionales, 75 % des moins de vingt-cinq ans n'ont pas voté et 25 % de ceux qui l'on fait ont voté pour le Front national... Je crois donc que, plus nous avons d'outils de coopération en amont de l'âge de la majorité, mieux nous faisons notre travail de sensibilisation.
Le projet de loi crée un acte de parrainage civil avec un registre, mais cet acte doit être utilisé par les juges comme un faisceau de présomptions en cas de drame survenant, par exemple, aux parents. Ce n'est pas un acte d'état civil au sens classique du terme.
S'agissant des comptes inactifs pour alimenter le FNDVA, le Fonds national pour le développement de la vie associative, je ne vous cache pas je n'ai pas que des amis, mais l'Assemblée nationale a tenu et je ne doute pas que le Sénat fera de même en la matière.
Sur l'inversion de la séniorité, en cas de partage des voix après une élection dans une collectivité territoriale, sera désigné non le plus jeune de l'assemblée délibérante, mais le plus jeune des deux candidats. C'est un symbole.
Sur le renforcement des objectifs opérationnels du texte de loi au regard de notre actualité, nous voulons favoriser l'association des citoyens à leur propre protection pour que chacun prenne part à la vie du pays. Je n'entrerai pas dans les débats sur l'assistanat ; je dirai juste que notre pays est formidablement protecteur, dans tous les sens du terme, y compris sur le plan de la sécurité sociale. La question posée est de savoir ce qui peut inciter des Français à s'engager en faveur de cette construction collective. Les réponses sont partielles. Ce texte n'est pas l'alpha et l'oméga de l'engagement dans notre pays, mais il existe de nouvelles ouvertures, à condition de les organiser. Tel est le sens du chef-de-filat de la région pour l'information des jeunes, mais je tiens à dire clairement qu'il ne s'agit pas de leur donner une compétence exclusive. Il faut qu'il y ait une collectivité de référence qui coordonne l'intervention des autres, mais coordonner ne veut pas dire imposer. La région ne sera pas dans une logique hiérarchique par rapport aux départements, aux métropoles, aux collectivités locales, mais il s'agit de répondre à un besoin de clarté.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué la République numérique.
Tout d'abord, de nombreux jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville se débrouillent très bien en matière de numérique : ils ont tous les codes et toutes les compétences potentielles à faire valoir, mais pas les diplômes. C'est tout l'objet de la création de la grande école du numérique. Aujourd'hui, 171 sites sont labellisés. Les premiers jeunes sortent de l'école avec des attestations. L'idée, comme dans la fameuse école de Xavier Niel, est que, même sans diplôme, les jeunes puissent se former et entrer dans la vie active.
Ces jeunes sans diplôme qui sont souvent porteurs de handicaps sociaux ont une capacité d'adaptation remarquable. Encore faut-il la valoriser en tant que telle. Nous avons eu une réunion ce matin avec Najat Vallaud-Belkacem, Myriam El Khomri, Axelle Lemaire et Clotilde Valter en vue de lancer un deuxième appel à projets pour que cette école numérique se développe partout en France, en métropole, mais aussi outre-mer, où les handicaps sociaux sont importants. Il y a donc le plan numérique dans les écoles pour adapter les enfants aux évolutions technologiques en matière pédagogique et, à l'autre bout de la chaîne, cette grande école du numérique qui fera l'objet d'une communication par le Président de la République au début du mois d'octobre.
J'en viens au mouvement « conseilliste » - conseils de quartier, conseils de jeunes, conseils citoyens - sur lequel Jean-Pierre Sueur m'a interrogé.
Les conseils de quartier datent de la loi de 2002 relative à la démocratie de proximité ; très structurés, ils sont obligatoires dans toutes les villes de plus de 80 000 habitants, mais celles-ci ne représentent pas la majorité des collectivités territoriales dans notre pays. Nous avons donc créé - un millier à ce jour - des conseils citoyens dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Ces conseils citoyens sont des outils qui peuvent donner le meilleur et le pire, le pire étant qu'ils tombent dans le populisme et la démagogie parce que l'on n'y aurait pas mis les moyens. Pour ma part, je considère que dire à des citoyens tirés au sort ou à des représentants d'association à l'intérieur de ces structures qu'ils doivent être l'interlocuteur des élus est profondément démagogique si on ne leur donne pas les moyens de se former, de s'organiser, d'apprendre à prendre la parole en public, de se préparer à exercer leur futur droit d'interpellation... Un citoyen d'un quartier prioritaire de la ville peut être totalement démuni pour argumenter face à un maire.
Je puis vous dire que je veillerai, avec Hélène Geoffroy, à ce que ces conseils citoyens ne soient pas des gadgets, afin qu'ils contribuent à une démocratie participative, dont je crois profondément qu'elle constitue un antidote au rejet du politique.
De la même manière, l'engagement des jeunes ne peut pas se limiter au conseil des jeunes. Je parle souvent d'une fusée à quatre étages : l'enseignement moral et civique de 300 heures, qui est déjà dispensé à l'école, la journée de défense citoyenne - qui est aujourd'hui insuffisante par rapport aux objectifs initiaux ; à titre personnel, je suis favorable à une semaine avec des modules extrêmement structurés où toute une génération passerait -, le service civique et la réserve civique. L'engagement doit devenir naturel et universel. Plus personne ne doit pouvoir se refuser à donner un peu de son temps à la société et à la nation au cours de son parcours personnel. C'est un peu l'objectif des conseils citoyens.
Vous n'êtes pas favorable à un service civique obligatoire, mais vous êtes pour le développement universel du service civique, à condition qu'il y ait de nouvelles offres. C'est le sens de la création, dans le texte, du service civique chez les sapeurs-pompiers. Nous avons là une école de l'engagement potentielle, car, même s'ils ne sont pas militaires, sauf à Marseille et à Paris, les SDIS sont dotés d'une organisation qui peut donner des repères à des jeunes en difficulté, les présidents de conseil départemental qui sont présents le savent.
Vous avez évoqué le revenu d'autonomie pour les jeunes, qui, en partie, figurait déjà dans le programme du Président de la République de 2012. Sans avoir créé cette allocation d'autonomie, nous avons engagé de nombreuses actions : mise en place de la garantie jeune, qui sera généralisée au travers du texte de Myriam El Khomri, augmentation des bourses et extension de leur champ à de nouveaux publics. Cette question de l'autonomie financière des jeunes a donc été largement traitée tout au long du quinquennat.
Sur la laïcité, il faut rappeler en permanence cette valeur cardinale de la République, et l'expliciter non pas comme une valeur antireligieuse, mais comme au contraire une notion permettant la cohabitation pacifique de toutes les religions dans notre pays.
Vous avez eu un mot fort en parlant d'un projet « fourre-tout ». Un député évoquait même un texte « vide-grenier » ! (Sourires.) Je lui ai répondu que l'on trouve parfois des pépites dans les vide-greniers. Ce texte va intéresser différentes catégories de Français. Le congé d'engagement, notamment, sera formidable pour nombre de bénévoles associatifs qui souhaitent conforter leur engagement et le jeune qui aura créé une association sera valorisé dans son parcours universitaire. Je pourrais multiplier les exemples.
Globalement, les réponses peuvent paraître diverses, mais elles seront individualisées. Il suffira d'ouvrir le bon tiroir pour trouver la réponse à sa situation personnelle, toujours avec cette culture de l'engagement quotidien comme fil rouge.
Oui, il existe des ghettos de pauvres, comme il existe des ghettos de riches. La partie du texte défendue par Emmanuelle Cosse apporte en partie des réponses qui s'ajoutent à celles qui existent. Encore faut-il que la loi de la République, en l'occurrence la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, s'applique partout et que la mixité sociale soit considérée non comme un objectif inatteignable, mais comme une priorité actuelle.
Si la politique de la ville dure depuis plus de trente ans maintenant, si nous avons des quartiers prioritaires de la politique de la ville, c'est parce que notre société a créé dans les trente glorieuses les conditions propices au développement de ghettos de pauvres qui se sont révélés durant les trente pleureuses, au fil de l'augmentation du chômage. Faut-il baisser les bras pour autant ? Évidemment non ! C'est tout le sens de ce projet de loi. La semaine de défense et citoyenneté que j'appelle de mes voeux peut d'ailleurs constituer, contre les ghettos, un formidable outil de brassage de la société.
Je vous le concède, le risque existe d'une perte de lisibilité des multiples conseils, qu'il s'agisse des conseils citoyens, des conseils de jeunes, des conseils de quartier, etc. Dans le même temps, il y a une appétence de notre jeunesse, qui est engagée, qui veut être écoutée. Pour ma part, je préfère une écoute organisée au sein de ces conseils à une écoute débridée dans des associations à tendance « zadiste » ou autres dont les principes ne seraient pas conformes à ceux de notre société.
La question de la prévention spécialisée n'a pas été évoquée. Or nous en avons besoin pour faire face aux dérives d'une partie de notre jeunesse. Malheureusement, beaucoup de conseils départementaux considèrent que ce n'est plus une priorité.
J'enverrai à Mme Gatel des réponses écrites, plus précises, monsieur le président.
Sur l'évolution du service civique, nous sommes partis de 10 000 services environ en 2010 à 110 000 à la fin de 2016, avec quatre demandes pour un poste aujourd'hui. Je crois à l'universalisation du service civique volontaire.
La loi Hirsch reposait sur le volontariat. Faut-il rendre le service civique obligatoire ? À ceux d'entre vous qui l'espèrent, je me dois de dire les obstacles qui se dresseraient devant nous. En premier lieu, nous changerions l'esprit du texte et créerions une forme de conscription civique dans notre pays, conscription suspendue en 1997, alors qu'elle ne concernait à l'époque que 200 000 hommes, les femmes n'étant pas soumises à cette obligation.
En deuxième lieu, nous n'avons pas besoin de ces conscrits sur le plan militaire, puisque la situation n'a rien à voir avec ce qui se passe en Israël, pays en guerre où le service militaire dure trois ans,...
Ni avec ce que nous avons connu en 1914-1918 ou en 1939-1945. Je ne vois pas le Luxembourg nous déclarer la guerre prochainement... (Sourires.)
Nous n'avons donc pas les mêmes besoins.
En troisième lieu, l'hébergement de 800 000 jeunes, même en deux fois, soulèverait des problèmes techniques et budgétaires, sachant que le coût serait entre 4 milliards et 5 milliards d'euros.
Et les jeunes sont-ils demandeurs ? Non ! Doivent-ils être incités à accomplir un service civique universel ? Oui, notamment parce que ce sera une valeur ajoutée pour eux.
C'est un débat philosophique. Je ne le trancherai pas aujourd'hui, le sujet viendra en son temps lors de la campagne présidentielle - je ne suis candidat à aucune primaire, je vous rassure. Posons-nous les bonnes questions et apportons-y des réponses pragmatiques et raisonnables au regard de la situation actuelle.
Aujourd'hui, plus de 300 000 jeunes voudraient accomplir un service civique. Je m'en réjouis, mais je ne peux leur offrir « que »150 000 places à terme. Bravo à cette jeunesse qui veut s'engager, même si d'autres sont en dehors des clous : 300 000 à 500 000 jeunes ne sont ni en formation ni en emploi ni au travail - les « NEET » (not in education, employment or training), en langage européen. Nous devons leur apporter des réponses spécifiques, notamment la garantie jeunes, qui sera généralisée l'année prochaine.
Le service civique en binôme est séduisant pour que le jeune ne soit pas seul dans son engagement, mais cela empêcherait, pour des raisons matérielles, de nombreuses petites associations de profiter de ce dispositif, qui serait de ce fait réservé aux grandes structures. Cette question a été débattue à l'Assemblée nationale, et nous pourrons en débattre au Sénat en séance publique, au début du mois d'octobre.
Concernant la formation civique et citoyenne, j'ai évoqué l'évolution de la journée défense et citoyenneté.
S'agissant du chef-de-filat régional, j'en ai déjà traité.
S'agissant de la partie normative, à savoir les articles 16 bis et 16 quater, nous répondrons par écrit aux questions posées. J'interpellerai Najat Vallaud-Belkacem sur la place des CIO dans notre paysage, monsieur le président.
La pré-majorité associative était très demandée. À 16 ans, on a la maturité pour créer une association sans avoir besoin de paravents comme les juniors associations. Cela s'inscrit de toute façon dans le cadre de l'article 1384 du code civil, qui prévoit la responsabilité civile des parents pour les dommages causés par leur enfant mineur, ce qui vaut donc pour les trésoriers d'associations.
Je ne prétends pas avoir répondu à toutes les questions, mais j'espère avoir, par mon énergie et mon dynamisme, fait en sorte que cette réunion soit utile dans la perspective du débat d'octobre prochain.
Le débat a été extrêmement intéressant, ce qui prouve que le nombre ne fait rien à l'affaire... (Sourires.)
Cela ne veut pas dire qu'il faut diminuer pour autant le nombre de sénateurs ! (Nouveaux sourires.)
Nous vous remercions des informations que vous nous avez fournies, monsieur le ministre. Et je me tourne vers vos collaborateurs, qui vont avoir la lourde charge d'honorer les nombreux engagements qui ont été pris au cours de cette réunion. Mais, pour avoir moi-même été collaborateur de ministre, je sais que nous disposerons de ces réponses en temps utile !
La réunion est levée à 16 h 10.