Le texte du Gouvernement est né de l'émotion et de l'incompréhension suscitées par les attentats de 2015 : comment notre pays peut-il voir certains de nos concitoyens n'avoir pour seul dessein que sa destruction ? Au-delà des mesures de sécurité qui s'imposent, le gouvernement s'est emparé, à juste titre mais un peu tardivement, de la question de la désintégration sociale de notre pays qui a érigé en valeurs suprêmes la liberté individuelle et l'exigence de droit. Or, cet objectif initial a été dilué dans un ensemble de mesures hétéroclites, souvent sans lien avec le texte initial, lui donnant l'aspect d'un cabinet de curiosités où sont abordés aussi bien la fréquentation des braderies, l'ordonnance de Charles X, les cantines scolaires, la réserve et le service civique - au point que j'ai eu l'impression de perdre le fil du projet de loi, tout comme j'ai perdu de vue la secrétaire d'État à l'égalité réelle à la rentrée...
Je me suis par conséquent attachée à la méthode, apprise à l'école, de concentration sans divagation ni délayage. D'abord, recentrer le projet de loi sur ses objectifs initiaux en supprimant les dispositions sans lien avec le texte - ainsi des dispositions sur la protection de l'enfance, objet d'une loi toute récente.
Ensuite, car les bonnes intentions ne suffiront pas, nous ne retenons que des dispositifs réalistes, pouvant effectivement être mis en oeuvre au regard des moyens de l'État et des collectivités. Proposer un service universel, voire obligatoire, à titre expérimental, est une idée excellente mais illusoire, sachant que l'on ne satisfera pas les demandes qui découlent de l'objectif de la moitié d'une classe d'âge en service civique l'an prochain. L'introduction du service universel mérite un débat autonome.
Nous supprimons les énoncés non normatifs ou relevant du pouvoir règlementaire ainsi que les trop nombreuses de demandes de rapport. Les bonnes intentions doivent se traduire dans des dispositifs concrets, au service des citoyens et de notre pays. « L'engagement des structures d'accueil du service civique à contribuer à l'objectif de mixité sociale » ou « l'ardente obligation de la Nation tout entière pour permettre à chacun de s'engager » relèvent d'une intention certes généreuse mais rendent la loi bavarde et inefficace.
Enfin, n'ajoutons pas de contraintes irréalistes à nos compatriotes, aux entreprises ou aux collectivités territoriales sur des thèmes qui ont déjà fait l'objet de lois.
La mesure la plus symbolique du titre Ier, relatif à l'émancipation des jeunes, la citoyenneté et la participation, est certainement la création d'une réserve civique pérenne. Le projet de loi reprend les dispositifs de réserve existants tout en posant certains principes : engagement bénévole du réserviste, intervention ponctuelle afin de ne pas confondre la réserve civique avec un emploi, adhésion du réserviste à une charte citoyenne qui rappellera les valeurs de la République et les engagements pris. Je vous proposerai d'adopter la plupart de ces dispositions, à quelques modifications près. Il faudra néanmoins attendre le projet de loi de finances pour s'assurer que les moyens suivront. L'expérience mitigée de la réserve citoyenne dans l'éducation nationale illustre les limites de l'exercice si l'État ne s'implique pas dans la promotion et dans le contrôle du dispositif. Or cela demande des moyens humains, au niveau national et territorial.
Une deuxième série de mesures adapte le dispositif du service civique dans le but d'atteindre l'objectif ambitieux de 350 000 volontaires à la fin 2017 tout en renforçant la qualité des missions, la mixité sociale et l'étanchéité absolue entre les missions de service civique et l'emploi. Le texte est rassurant sur ce point. Ainsi, le service civique des sapeurs-pompiers, particulièrement attendu, est rendu plus opérationnel et la liste des structures d'accueil est élargie aux organismes HLM, aux sociétés publiques locales et aux entreprises dont l'État détient la totalité du capital. Le texte rappelle le principe d'un recrutement des volontaires non sur les compétences ou la qualification mais exclusivement sur la motivation.
Le consensus relatif que devraient recueillir ces mesures ne s'étend pas à l'ensemble des dispositions du texte. Ainsi, certaines remettent en cause l'âge de la majorité légale à 18 ans en conférant de nouveaux droits aux mineurs de 16 ans, voire moins. Cela aurait mérité un débat autonome et ne saurait entraîner la suppression de dispositifs essentiels à la protection des mineurs. Est-ce rendre service à un enfant de moins de 16 ans que de l'autoriser à devenir trésorier d'une association, s'il risque d'être mis en cause sur le plan civil et pénal ? Idem si l'on permettait à un enfant de saisir lui-même le juge des tutelles pour demander son émancipation.
L'article 16 confie aux régions la coordination des politiques en faveur de la jeunesse et du réseau information jeunesse. Après la loi NOTRe, il n'est ni utile ni judicieux de redéfinir les compétences territoriales et chefs de filat. Je proposerai la suppression de cet article, en conservant le principe d'une harmonisation entre la région et les structures - disparates - de l'État traitant de l'information et de l'orientation.
Le texte aborde deux sujets sensibles : le contrôle de l'instruction dispensée en famille et la procédure d'ouverture des écoles privées. Il convient de respecter le principe de liberté d'enseignement inscrit dans la Constitution tout en protégeant les enfants contre des possibles dévoiements et en veillant à ce que l'instruction ne devienne pas instrumentalisation. J'ai repris une proposition formulée au Sénat en 1980 pour que le contrôle de l'instruction en famille soit effectué sur le lieu où est dispensée l'instruction. Le développement de l'instruction à domicile traduit certes une déviance vis-à-vis des valeurs républicaines, mais aussi, disons-le, les insuffisances de l'éducation nationale.
La ministre a souligné combien il était facile d'ouvrir une école hors contrat. La loi doit être stricte, et il convient d'harmoniser les trois procédures existantes, voire de les durcir. Cependant, je trouverais inconséquent de laisser un gouvernement remplacer le régime de déclaration par un régime d'autorisation ! Je proposerai par conséquent le maintien du système existant, avec des modalités de contrôle renforcées, notamment après l'ouverture.
Le titre III s'intitule « Pour l'égalité réelle ». J'avoue ne pas encore percevoir la signification exacte de ce terme... L'égalité réelle s'opposerait-elle à l'égalité de droit ? On se paie de mots pour se donner bonne conscience. De même, est-ce promouvoir l'égalité que de réintroduire des dispositifs mémoriels pour pénaliser la négation du génocide arménien ou de prévoir la portabilité du lundi de Pentecôte ?
Plus spécifiquement, le titre III vise à lutter contre les discriminations en améliorant tout d'abord l'accessibilité à la fonction publique. Certains dispositifs sont intéressants, même s'ils doivent être retravaillés.
Le projet de loi revoit également l'équilibre de la loi de 1881 sur la liberté de la presse afin de punir plus sévèrement les actes ou discours discriminatoires. Je vous proposerai d'approuver le principe de ces articles mais également de les renforcer en s'appuyant sur le récent rapport d'information de nos collègues François Pillet et Thani Mohamed Soilihi.
Enfin, le droit applicable aux discriminations, particulièrement complexe, doit être modifié avec prudence. C'est pour cela que je vous proposerai de ne pas multiplier outre mesure les critères de discrimination pour ne pas compliquer le travail de qualification du juge.
Dans sa version initiale, le projet de loi témoignait déjà d'un certain impressionnisme, sans toutefois le talent d'un Monet ; le travail de l'Assemblée nationale l'a transformé en véritable cabinet de curiosités. En tant que rapporteur, je m'efforcerai de faire du Sénat un législateur rigoureux sans être grincheux.