Monsieur le président, mes chers collègues, rapporteur pour avis depuis un certain nombre d’années des crédits des services judiciaires, je ne peux qu’apprécier les orientations annoncées par M. le garde des sceaux. Je souhaite que nous arrivions, ensemble – car le Sénat, fort logiquement, entend être associé à la réflexion sur des questions d’une telle importance –, à moderniser notre justice.
Si ce n’est pas la première fois qu’un projet de loi revient en nouvelle lecture devant le Sénat après échec de la commission mixte paritaire et avant que l’Assemblée nationale ne statue définitivement, on peut toutefois se demander si nous ne nous trouvons pas dans une situation inédite.
Comme vous le savez, la commission mixte paritaire réunie sur le présent projet de loi n’a pas abouti à un accord en raison du refus absolu de nos collègues de l’Assemblée nationale d’accepter la moindre modification au texte qu’ils avaient adopté, en procédure accélérée, après la première lecture au Sénat en octobre 2015.
Or l’Assemblée nationale avait ajouté cinquante-cinq articles au texte issu de nos travaux, qui en comptait cinquante-quatre. Ces nouveaux articles contenaient de nombreuses dispositions lourdes de conséquences, que nous ne pouvions évidemment pas approuver sans avoir pu les examiner, fût-ce a minima, avant la réunion de la commission mixte paritaire : je pense à l’abandon de la collégialité de l’instruction, à la suppression des tribunaux correctionnels des mineurs, à une nouvelle procédure de changement de sexe à l’état civil, à l’élargissement du champ de l’action de groupe, etc.
La commission mixte paritaire, réunie le 22 juin, ne pouvait donc qu’échouer, sauf acceptation sans débat, par les représentants du Sénat, de toutes les modifications introduites par l’Assemblée nationale. Cela n’était pas acceptable pour notre assemblée et aurait été, me semble-t-il, contraire à l’esprit de nos institutions, sinon à leur lettre.
Cet échec de la commission mixte paritaire n’a pas pour autant empêché votre commission des lois de poursuivre son travail et d’organiser, sur l’initiative de son président Philippe Bas, de nouvelles auditions sur des sujets introduits dans le champ du texte par l’Assemblée nationale et que nous n’avions évidemment pas traités en première lecture.
Aujourd’hui, nous en sommes parvenus à une nouvelle et dernière lecture au Sénat. L’Assemblée nationale sera ensuite amenée à statuer définitivement. Celle-ci pourra alors revenir à son texte, ou le modifier en retenant un ou plusieurs des amendements que notre assemblée aura adoptés à l’occasion de cette dernière lecture – mais elle n’est pas tenue de le faire.
Sur le fond, notre commission a adopté, en vue de cette nouvelle lecture, quatre-vingt-six amendements. Je n’évoquerai évidemment pas ici l’ensemble des dispositions concernées : nous les examinerons tout au long de cette séance ; je n’en évoquerai que quelques-unes.
S’agissant de la collégialité de l’instruction, notre commission a considéré que la situation budgétaire de la justice ne permettait pas sa mise en œuvre prochaine. Elle a toutefois souhaité en garder le principe dans la loi et vous proposera de la réserver aux affaires pénales les plus complexes, à la demande des magistrats ou des parties.
Concernant la procédure de changement d’état civil pour les personnes transsexuelles, sur laquelle j’ai été interpellé à plusieurs reprises ces derniers jours, notre commission a maintenu une procédure plus encadrée que celle qu’a prévue l’Assemblée nationale, de telle sorte que le juge puisse se prononcer en fonction de critères que je qualifierai d’objectifs.
Sur la réforme du divorce par consentement mutuel, qui a déjà été proposée il y a plusieurs années, la commission a repris les dispositions que notre assemblée avait déjà votées, voilà quelques années, à la suite du rapport Guinchard. Je vous proposerai donc de maintenir la possibilité d’un passage des époux devant le juge à l’occasion d’un divorce par consentement mutuel dès lors qu’il y a des enfants mineurs, autrement dit de ne pas généraliser totalement le divorce par consentement mutuel sans passage devant le juge.
Voilà quelques-unes, parmi d’autres, des modifications que je vous proposerai d’apporter à ce texte. Je pense que nous pourrons convenir ensemble qu’elles portent sur des sujets suffisamment sensibles pour que le Sénat soit entendu par l’Assemblée nationale en dernière lecture. Du moins est-ce le vœu que je forme ici en notre nom à tous.
Je n’énumérerai pas plus avant les points qui paraissent sensibles à la commission des lois du Sénat et sur lesquels nous pensons que notre assemblée, pas plus qu’en première lecture, ne peut accepter d’être purement et simplement mise devant le fait accompli !