Intervention de Jacques Bigot

Réunion du 27 septembre 2016 à 14h30
Justice du xxie siècle — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jacques BigotJacques Bigot :

En matière de réforme, vous avez souhaité faire figurer dans ce texte, pour lequel la procédure accélérée a été engagée, un certain nombre de dispositions de nature à soulager le fonctionnement de la justice.

Votre objectif, monsieur le garde des sceaux, est d’abord de repenser le rôle du juge, en vue de le décharger d’un certain nombre de missions. Le champ de ses tâches s’est considérablement étendu au cours des trente dernières années.

Repenser le rôle du juge implique en fait d’oser, comme l’a fait l’Assemblée nationale, revoir des textes qui ont été voulus par l’ensemble des parlementaires mais qui sont inapplicables. Je pense notamment à la collégialité de l’instruction. Lorsque l’on réalise qu’il n’est pas possible de mettre un dispositif en œuvre, il faut le dire et agir en conséquence !

Repenser le rôle du juge suppose aussi de renvoyer, autant que faire se peut, les parties vers la médiation. On le sait depuis toujours : un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès !

En matière de divorce par consentement mutuel, on ne peut pas ignorer le fait que le rôle du juge est largement minoré. En effet, les parties en présence sont des personnes capables, majeures qui, conseillées par deux avocats, vont convenir des modalités de leur séparation. Si celles-ci sont bien négociées entre elles et si les avocats font correctement leur travail, il n’y a pas de raison que le juge intervienne. D'ailleurs, on constate déjà, dans la pratique, que de plus en plus souvent les juges n’entendent plus séparément les époux, mais les accueillent ensemble dans leur cabinet pour accélérer la procédure et pouvoir consacrer du temps aux divorces contentieux ou aux contentieux de l’après-divorce, qui se développent.

Concernant le recours à des juristes assistants, j’espère que vous allez changer d’avis sur ce sujet, monsieur le rapporteur. Un magistrat doit pouvoir être aidé par des gens bien payés, bien formés : cela fonctionne fort bien dans d’autres pays.

Repenser le rôle du juge, c’est également soulager la justice du traitement d’un certain nombre de délits routiers qui peuvent même être mieux réprimés par d’autres voies. C’était l’objet de l’article 15 du texte initial, que la précédente garde des sceaux avait retiré sous la pression d’associations, alors que même le Sénat y était plutôt favorable.

Repenser le rôle du juge, c’est enfin lui redonner, tout en le déchargeant de certaines tâches, la place qu’il doit avoir dans la société, notamment pour le traitement de certains contentieux. Ainsi, l’article 8 du projet de loi donne compétence à un juge du tribunal de grande instance pour les affaires de sécurité sociale, le contentieux de l’incapacité et même certains contentieux de l’aide sociale.

Il importe en outre de repenser l’accès à la justice.

Le pari de la mise en place du service d’accueil unifié du justiciable sera extrêmement difficile à gagner : cela suppose que la justice travaille encore davantage sur l’utilisation du numérique pour permettre aux justiciables d’accéder plus facilement à la justice.

L’action de groupe, sujet sur lequel le Sénat me paraît encore un peu frileux, se développe enfin. Grâce à ce gouvernement, l’action de groupe a déjà été prévue en matière de protection des consommateurs : les associations le réclamaient depuis plus de vingt ans. Il est peu à peu apparu que c’est une façon de créer des solidarités entre des personnes ayant subi un même préjudice, par exemple en matière de discrimination au travail, d’environnement, de santé ou, demain, de protection des données à caractère personnel. Dans de tels cas, il est tout de même plus simple qu’un juge unique –ou plusieurs s’il y a collégialité de l’instruction – soit saisi de manquements affectant une multitude de personnes.

Les class actions existent depuis des années aux États-Unis. Elles ont porté leurs fruits. Ici, on est extrêmement prudent, et cela est bien. L’idée est de confier à des associations disposant d’une expérience dans le domaine considéré, à l’objet social reconnu, le soin d’engager les actions de groupe et d’assurer la représentation des individus concernés. C’est une façon nouvelle, moderne et viable d’accéder à la justice.

L’ambition de la réforme devra également trouver sa traduction, monsieur le garde des sceaux, dans le projet de budget que nous examinerons dans quelques semaines. Dans cet esprit, je me félicite par avance, monsieur le président de la commission des lois, de participer à la réflexion que nous mènerons en février prochain sur l’état de la justice. Elle devra avoir pour perspective l’avenir de la justice, et non pas simplement celui de quelques candidats à l’élection présidentielle…

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