Intervention de Alain Loehr

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 5 octobre 2016 à 9h01
Projet d'instauration du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu — Audition de Mme Bénédicte Caron vice-présidente de la confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises cgpme chargée des affaires économiques juridiques et fiscales et Mm. Alain Loehr directeur associé au sein du cabinet d'avocats fidal geoffroy roux de bézieux vice-président délégué du mouvement des entreprises de france medef président de la commission en charge de la fiscalité et pierre-emmanuel thiard ancien rapporteur général pour le conseil des prélèvements obligatoires

Alain Loehr, directeur associé au sein du cabinet d'avocats Fidal :

Fidal est le premier cabinet d'avocats d'affaires en Europe et compte 90 bureaux en France, avec un fort maillage territorial. Nous préparons plusieurs milliers de déclarations de revenus pour nos clients, français ou étrangers. Je suis un praticien, spécialiste de l'impôt sur le revenu et de la mobilité internationale.

Le prélèvement à la source est en place dans la quasi-totalité des pays de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), depuis fort longtemps. En 1944, le Royaume-Uni a instauré le système pay as you earn. Les avantages de ce système sont réels et assez largement reconnus : un meilleur rendement et une meilleure acceptation de l'impôt sur le revenu, ainsi qu'une simplification du système fiscal. Si, eu égard à l'actuel projet de prélèvement à la source, la trésorerie résultant de la collecte de l'impôt devrait s'améliorer en 2018, les obstacles sont nombreux et de deux ordres : certains sont structurels, liés à l'inadéquation du système fiscal français ; d'autres sont conjoncturels, liés à la mise en oeuvre du projet et à sa nécessaire anticipation.

Le prélèvement à la source n'est pas adéquat au système fiscal français. En l'état actuel du projet, il est une complexité supplémentaire qui n'augmentera pas le rendement de l'impôt sur le revenu et qui suscite déjà des inquiétudes juridiques. Démarche de plus pour les contribuables et les entreprises, il suscitera une charge de travail supplémentaire pour l'administration fiscale. Dans tous les cas, l'obligation de déposer une déclaration annuelle des revenus sera maintenue. Le prélèvement à la source n'est pas l'impôt définitif.

L'un de ses intérêts, dans les pays qui l'ont adopté, est la simplification du système fiscal : la possibilité pour les salariés, en deçà d'un certain niveau de salaire, et qui n'ont pas d'autre revenu, d'être dispensés du dépôt de la déclaration annuelle des revenus. C'est le cas dans certains pays de l'OCDE et des contribuables français non-résidents. Didier Migaud, alors président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, faisait état dans un rapport relatif au prélèvement à la source, de 40 % de contribuables qui ne percevaient que des salaires ou des revenus de remplacement en 2010. Une meilleure réforme aurait dispensé autant de contribuables de souscrire une déclaration annuelle de revenus, soit autant de travail en moins pour l'administration.

Le prélèvement à la source n'améliorera pas le rendement de l'impôt sur le revenu. Certes, les recettes de l'impôt sur le revenu augmenteront en 2018, mais c'est uniquement dû à l'absence de prise en compte de l'abattement sur les salaires et des réductions ou crédits d'impôt. Ce surplus temporaire sera remboursé en 2019, après le dépôt de la déclaration au titre de l'année 2018. Avec l'augmentation de la charge de travail de l'administration fiscale, les coûts de recouvrement augmenteront nécessairement.

Juridiquement, le projet de loi conduit à s'interroger sur deux sujets. Au regard de l'égalité de traitement des contribuables devant l'impôt, comment justifier la coexistence de deux systèmes de prélèvement à la source, l'un pour les non-résidents fiscaux de France bénéficiant d'un abattement de 10 % de la base imposable et payant une retenue à la source au taux de 20 % au plus, l'autre pour les résidents, dont certains se verront appliquer un taux de prélèvement supérieur à 20 %, sur une assiette sans abattement de 10 % ? Le Conseil constitutionnel devra juger si la finalité poursuivie justifie cette différence de traitement...

Dans son avis consultatif, le Conseil d'État s'inquiétait de la confidentialité des données communiquées aux entreprises. Le projet prévoit que le contribuable puisse opter pour un taux forfaitaire, qui lui est le plus souvent défavorable. Il n'y recourra donc probablement pas : un contribuable ayant contracté un pacte civil de solidarité, avec des enfants à charge, ne choisira pas le taux par défaut calculé sur la base d'un célibataire ! Comment justifier de faire peser sur le contribuable, sous prétexte de confidentialité, une formalité administrative supplémentaire ?

La mise en oeuvre d'un projet d'une telle ampleur est précipitée. Le prélèvement à la source s'appuierait sur la déclaration sociale nominative (DSN) et, pour les débiteurs n'étant pas dans son champ, sur une déclaration « trois en un ». Aujourd'hui, la DSN est toujours en cours de déploiement. L'intégration des données relatives aux retraites devrait être effective en juillet 2017 ; viendront ensuite les données concernant la prévoyance, puis les données fiscales. Cela demande un travail considérable ; il n'est pas certain que la DSN soit prête d'ici à 2018. Les employeurs collecteurs seront en première ligne pour faire face à de nombreuses situations : en tant que redevables, les entreprises auront de nouvelles obligations déclaratives de collecte et de versement du produit du prélèvement, dans un contexte où leur charge administrative est effectivement perçue comme un frein au développement de l'économie. Les entreprises seront aussi les principaux interlocuteurs des salariés contribuables. Le premier réflexe du salarié, voyant sur sa feuille de paie son prélèvement mensuel, sera de se rapprocher des services chargés de la paie ou des ressources humaines. L'employeur sera interpelé sur certains sujets fiscaux alors même que la situation fiscale est actuellement l'affaire du contribuable, sous sa seule responsabilité, à travers le dépôt de sa déclaration annuelle de revenus. Certaines entreprises devront revoir leur politique de rémunération pour ventiler différemment la part de rémunération garantie et la part de rémunération variable, en vue d'assurer à leurs salariés un revenu mensuel net suffisant, eu égard au taux de prélèvement à la source. Les entreprises devront aussi traiter le cas des salariés en situation de mobilité internationale, comme par exemple celui du salarié étranger venant s'installer pour la première fois en France, qui ne pourra pas bénéficier du taux de droit commun. Elles devront traiter la situation des salariés bénéficiant d'une politique d'égalisation fiscale, eu égard à l'année de transition, source de discussions, voire de conflits avec les salariés.

Nous regrettons que les entreprises n'aient pas été suffisamment associées à la mise en place du prélèvement à la source, notamment pour mieux anticiper leurs contraintes. Solliciter un panel d'entreprises serait une solution pertinente avant une généralisation.

En France, le prélèvement à la source est populaire ; vu de l'étranger, il améliorerait l'attractivité de la France. Cela suppose qu'il contribue à rendre l'impôt sur le revenu plus simple et plus rentable. Pour y parvenir, une préparation associant les différents acteurs au projet et une réforme plus globale de l'impôt sur le revenu sont souhaitables, sinon nécessaires.

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