Intervention de Pierre-Emmanuel Thiard

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 5 octobre 2016 à 9h01
Projet d'instauration du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu — Audition de Mme Bénédicte Caron vice-présidente de la confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises cgpme chargée des affaires économiques juridiques et fiscales et Mm. Alain Loehr directeur associé au sein du cabinet d'avocats fidal geoffroy roux de bézieux vice-président délégué du mouvement des entreprises de france medef président de la commission en charge de la fiscalité et pierre-emmanuel thiard ancien rapporteur général pour le conseil des prélèvements obligatoires

Pierre-Emmanuel Thiard, ancien rapporteur général pour le Conseil des prélèvements obligatoires :

Tout d'abord, il convient de rappeler que la retenue à la source n'est qu'une modalité de recouvrement de l'impôt, totalement dissociée de l'assiette et de la liquidation. Le changement de mode de recouvrement ne simplifiera pas l'impôt sur le revenu, en raison de la complexité de son mode de calcul. Sans jugement de valeur, la France a choisi un impôt le plus universel possible, couvrant un large spectre de revenus, prenant en compte un très grand nombre de paramètres, comme la situation familiale et prévoyant un grand nombre de crédits et réductions d'impôt.

On ne peut courir tous les lièvres à la fois : il faut choisir entre les différents objectifs, en particulier entre l'universalité et l'immédiateté du prélèvement. Dans certains pays de l'OCDE, on privilégie un impôt se synchronisant immédiatement à l'évolution de la situation du contribuable au prix d'un prélèvement à la source limité à une petite partie de l'impôt - par exemple, uniquement aux revenus salariaux ; dans d'autres, le spectre est large, au prix de lourds ajustements en année n +1 en cas de revenus annexes ou de réductions d'impôt.

Le projet de loi présenté par le Gouvernement maximise l'intérêt de la retenue à la source, à savoir un ajustement en temps réel, compte tenu de l'architecture complexe de l'impôt français. Il prévoit un périmètre large, au-delà des revenus salariaux et des pensions de retraite. Il prend en compte les bénéfices industriels et commerciaux (BIC), les bénéfices non commerciaux (BNC) et les revenus fonciers. Le taux prendra en compte, si le contribuable le souhaite, la situation familiale. Ce texte prévoit donc de larges possibilités d'ajustement du montant d'impôt en temps réel lorsque le contribuable subit une baisse de revenus, dans une architecture globale plutôt cohérente.

Cependant, n'attendons pas de cette réforme plus que ce principal avantage. Comme nous l'avions indiqué dans notre rapport de 2012, certains arguments en faveur du prélèvement à la source, pertinents par le passé, ne le sont plus dans le contexte français actuel. La sécurisation du recouvrement pour l'État était la raison pour laquelle la retenue à la source a été adoptée aux États-Unis durant la guerre de Sécession, en Allemagne durant la Première Guerre mondiale, au Royaume-Uni durant la Seconde Guerre mondiale, et en France à l'initiative de Paul Reynaud en 1939 et durant une dizaine d'années. Cet argument est désormais vide de sens, grâce aux améliorations techniques et à la déclaration pré-remplie.

Si l'impôt est difficilement compréhensible, c'est en raison de la complexité de son assiette. Le changement du mode de recouvrement ne simplifiera pas la vie du contribuable, sauf marginalement.

Quant à réaliser des économies substantielles au sein de l'administration fiscale, cela semble peu probable dans la mesure où l'essentiel des effectifs de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) est mobilisé sur le calcul et la liquidation de l'assiette et où 90 % du recouvrement est réalisé électroniquement et automatiquement.

En matière de réactivité, le système actuel permet déjà de moduler les acomptes ou de demander des délais de paiement à l'administration, notamment sur internet, même si cette faculté est peu utilisée. La plus-value de la retenue à la source sera donc plus faible qu'elle ne l'aurait été il y a trente ou quarante ans.

Pour atteindre ce même objectif à moindre coût, on pourrait instaurer l'imposition contemporaine des revenus, qui éviterait de transférer la collecte vers l'employeur.

L'absence de prise en compte des crédits et des réductions d'impôt dans le taux appliqué mensuellement par l'employeur est une vraie limite et une contradiction par rapport à l'objectif d'une retenue à la source la plus universelle possible. Si les crédits et réductions d'impôt sont reportés à la régularisation en n+1, la situation fiscale n'est plus véritablement prise en compte en temps réel. Je ne reviendrai pas sur la sécurisation du tiers collecteur, sur le coût notamment pour les petites entreprises - plus elles sont petites, moins le coût du dispositif peut être amorti - et sur les inquiétudes quant au risque de contentieux en cas d'erreur du montant prélevé par l'entreprise sur la paie du salarié et de la mise en cause pour discrimination au moment des augmentations individuelles annuelles. Un salarié pourrait considérer ne pas avoir été augmenté en raison de son taux d'imposition.

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