Rien, c'est-à-dire l'essentiel... Notre message était clair et net.
Nous pouvons soulever les mêmes objections qu'en première lecture. Sans m'étendre sur celle d'ordre conceptuel, l'insécurité juridique, je veux souligner l'imprécision des obligations à respecter et pouvant donner lieu à une sanction, notamment une amende civile, et la portée incertaine du régime de la responsabilité qui serait instauré. L'adoption de ce texte accroîtrait le risque de contentieux, des associations pourraient saisir une juridiction française pour lui demander la réparation d'un préjudice causé à l'étranger par un sous-traitant étranger d'une société française.
L'amende civile, qui pourrait atteindre jusqu'à 10 millions d'euros, constitue un point d'achoppement majeur avec le rapporteur de l'Assemblée nationale, puisque notre collègue député promeut un régime que je considère punitif - lui parle d'un régime de sanction.
Les objections d'ordre économique demeurent. L'adoption de cette proposition de loi engendrerait une inégalité de traitement entre les entreprises françaises et les autres entreprises européennes et perturberait les relations économiques et contractuelles tout au long de la chaîne de sous-traitance.
Surtout, je ne vois pas en quoi l'adoption de ce texte changerait quoi que ce soit au droit social des pays où se trouvent les sous-traitants ; je pense en particulier au Bangladesh, où s'est déroulé le drame du Rana Plaza qui a inspiré les auteurs de la proposition de loi.
Enfin, ces mesures porteraient atteinte à l'image et à l'attractivité de la France. Dans le système concurrentiel qui est le nôtre, les sous-traitants iront voir ailleurs. Nous ne vivons pas au « pays des Bisounours »...
Mieux vaut, comme je le suggère pour cette deuxième lecture, transposer la directive européenne 2014/95/UE du 22 octobre 2014, qui doit de toute façon l'être avant le 6 décembre 2016. Elle porte sur la publication d'informations non financières et relatives à la diversité par les grandes entreprises. Il s'agit, notamment, d'amener les grandes entreprises à diffuser des « informations sur les procédures de diligence raisonnée mises en oeuvre par l'entreprise, ainsi que, lorsque cela s'avère pertinent et proportionné, en ce qui concerne sa chaîne d'approvisionnement et de sous-traitance, afin d'identifier, de prévenir et d'atténuer les incidences négatives existantes et potentielles » et à publier des données relatives « aux questions environnementales, aux questions sociales et de personnel, de respect des droits de l'homme et de lutte contre la corruption ». En cela, elle rejoint pleinement l'objectif de cette proposition de loi en matière de vigilance.
La directive couvre l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement et des sous-traitants. L'obligation qu'elle introduit, celle de publier les informations sur les procédures de diligence raisonnable destinées à prévenir les risques dans certains domaines, s'apparente à l'obligation qu'instaure la proposition de loi, celle d'établir, de publier et de mettre en oeuvre un plan de vigilance pour prévenir des risques comparables. En revanche, la directive retient une approche reposant sur l'incitation alors que la proposition de loi opte pour une approche coercitive et punitive.
Les auteurs de la proposition de loi souhaitent faire de la France un pionnier européen en la matière. À mon sens, ce n'est pas en adoptant un texte allant plus loin que la directive que l'on initiera une nouvelle négociation dans l'Union européenne pour développer cette réglementation. Au contraire, la France se retrouvera seule avec une législation plus rigoureuse, alors qu'elle dispose déjà d'une législation avancée en matière de publication d'informations non financières.
Saisissons-nous de ce texte pour transposer la directive, alors que les députés, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, ont confié au Gouvernement le soin de le faire en l'habilitant à légiférer par ordonnance. J'ai déposé un amendement de suppression de cette habilitation, le débat parlementaire doit avoir lieu.
Nous éviterons ainsi les incohérences. De fait, le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique instaure, en son article 8, une obligation de prévention et de détection des faits de corruption, qui correspond largement aux obligations de la directive en matière de lutte contre la corruption. La proposition de loi inclut, quant à elle, la lutte contre la corruption dans le champ du plan de vigilance, sans mentionner les sous-traitants. Je m'étonne d'ailleurs que le Gouvernement ait accepté de poursuivre la navette de cette proposition de loi, alors que celle-ci contredit aussi bien ce projet de loi que la directive.
Mon amendement COM-1 introduit un nouvel article L. 225-102-1-1 dans le code de commerce, parmi les dispositions définissant le contenu du rapport du conseil d'administration aux actionnaires. Il précise que, dans les sociétés cotées qui remplissent les critères fixés par la directive, ce rapport rendra compte des mesures de diligence raisonnable prises pour prévenir les principaux risques sociaux et environnementaux. Ainsi, il fera état des mesures de prévention de la corruption que la société aura été tenue de prendre en application de l'article 8 du projet de loi relatif à la transparence. Il exposera également les mesures de vigilance raisonnable prises par la société pour prévenir les risques d'atteintes aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, les risques de dommages corporels ou environnementaux graves et les risques sanitaires, en France et à l'étranger, du fait de son activité et de celle de ses filiales et sous-traitants. L'appréciation de ces risques devra se faire en fonction de la législation en vigueur localement : on ne peut pas imposer l'application de normes françaises sur le territoire d'États étrangers. Des informations concernant les sous-traitants ne devront être publiées que lorsque cela s'avère pertinent et proportionné compte tenu de la nature des relations contractuelles existant entre la société et ses différents sous-traitants.
On conservera ainsi l'objectif de vigilance des grandes entreprises, tout en l'intégrant mieux dans le droit actuel des sociétés et en respectant les exigences de la directive. Remarquez que nous visons, comme la directive, les grandes sociétés cotées employant plus de 500 salariés. Le champ d'application est donc plus large que celui de la proposition de loi, qui concerne les seules entreprises employant, avec leurs filiales, plus de 5 000 salariés en France ou de 10 000 salariés dans le monde.
Je relève toutefois un hiatus concernant le périmètre d'application de l'obligation de prévention de la corruption entre, d'une part, le projet de loi relatif à la transparence, qui vise les sociétés employant à la clôture de deux exercices consécutifs au moins 500 salariés et réalisant au moins 100 millions d'euros de chiffre d'affaires net, et, d'autre part, la directive, qui vise les sociétés employant plus de 500 salariés et présentant un bilan de plus de 20 millions d'euros ou un montant net de chiffre d'affaires de plus 40 millions d'euros. Pour résoudre cette difficulté, je propose que le rapport rendant compte des mesures de vigilance mises en oeuvre en matière de lutte contre la corruption concerne les sociétés qui n'entrent pas dans le champ du projet de loi.
En outre, comme l'autorise la directive européenne, certains risques pourraient ne pas être pris en compte à condition que le rapport en donne la justification et les filiales seraient exonérées de cette obligation de publication dès lors que les informations seraient publiées par la société mère de façon consolidée.
Par analogie avec la vérification des informations sociales et environnementales publiées par les grandes entreprises, par un organisme tiers indépendant, les mesures dont il serait ainsi rendu compte devraient faire l'objet d'une vérification selon les mêmes modalités, dans le cadre d'une démarche globale et homogène.
En cas de méconnaissance de ses obligations par une société, nous proposons de conserver le mécanisme d'injonction avec astreinte de l'article 1er, tout en clarifiant, par l'adoption de mon amendement COM-2, la rédaction du dispositif. Il s'agit de s'inspirer plus directement des mécanismes prévus par le droit des sociétés en cas de manquement d'une société à ses obligations de publicité. Ainsi, si le rapport ne comprend pas toutes les informations prévues, toute personne intéressée pourra demander au président du tribunal statuant en référé d'enjoindre sous astreinte la société de communiquer ces informations. Ce mécanisme, non punitif, s'inscrit dans la logique de la directive.
En revanche, je recommande de supprimer l'amende civile de 10 millions d'euros en adoptant mon amendement COM-3. En effet, son caractère disproportionné soulève un problème de constitutionnalité.
Je vous propose, avec l'amendement COM-4, de supprimer l'article 2, en raison de la portée juridique incertaine et ambiguë du régime de responsabilité prévu en cas de non-respect par une société de ses obligations en matière de plan de vigilance. Selon certains, il ne s'écarte pas du droit commun ; si tel est le cas, il est inutile et sa suppression se justifie d'autant plus. À mon sens, le texte instaure implicitement un régime de responsabilité pour la faute d'autrui, qui rendrait responsable une société française, au titre d'une défaillance de son plan de vigilance, pour une faute commise par un sous-traitant étranger ayant causé un dommage à l'étranger à des personnes étrangères.
Mon amendement COM-5 à l'article 3 est de coordination pour l'application du texte dans les îles Wallis et Futuna.
Enfin, mon amendement COM-6 prévoit une entrée en vigueur différée. Dans le cas où la loi serait adoptée avant le 31 décembre 2016, cette nouvelle obligation d'information s'appliquerait en 2018, c'est-à-dire que les informations devraient figurer dans les rapports présentés aux assemblées générales statuant sur les comptes de l'exercice 2017.