Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 5 octobre 2016 à 14h30
Égalité et citoyenneté — Article 14 decies

Patrick Kanner, ministre :

Je rejoins Mme la rapporteur sur un fait : nous en arrivons à un point fort de notre débat de ce jour.

Sur la forme, madame la rapporteur, je souhaite vous rappeler que le droit d’amendement existe aussi pour le Gouvernement, selon la Constitution de 1958, et que nous pouvons nous dispenser d’un avis préalable du Conseil d’État. Ce sont là les fondamentaux de la règle générale qui nous anime toutes et tous ici.

Afin de vous rassurer, je répondrai à un point de votre intervention en vous confirmant que les contrôles a posteriori seront renforcés par l’éducation nationale, au travers d’un vade-mecum d’inspection qui m’a été remis par les collaborateurs de la ministre de l’éducation nationale. Ce document indique bien que, si nous voulons changer de régime sur l’ouverture des écoles privées hors contrat, nous renforcerons en même temps les contrôles a posteriori une fois que ces écoles existent.

Sur le fond, madame la présidente, je serai un peu long, et je m’en excuse, mais le sujet mérite l’exhaustivité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cet amendement a pour objet de rétablir l’article 14 decies dans sa rédaction initiale et d’autoriser le Gouvernement à modifier le code de l’éducation en matière d’ouverture des établissements hors contrat. Votre rapporteur a réécrit le dispositif en prolongeant le régime actuel de déclaration. Le Gouvernement propose de revenir à l’habilitation initiale.

Permettez-moi de rappeler le contexte et les raisons qui justifient de modifier les dispositions relatives à l’enseignement privé hors contrat. Aujourd’hui, ces écoles peuvent être ouvertes très facilement, chacun le sait, sur simple déclaration. Il suffit de remplir certaines conditions : avoir plus de dix-huit ans, être titulaire du baccalauréat, être de nationalité française et ne pas avoir été condamné par la justice.

Le droit n’offre donc qu’un régime d’opposition, que l’on peut qualifier d’inopérant dans ces conditions, dans un délai de huit jours pour le maire et d’un mois pour l’État.

Ce régime est inadapté à la réalité dans laquelle nous vivons, votre commission l’a constaté, comme en témoignent les évolutions du texte qu'elle a acceptées.

Ce sujet n’est pas anodin, la scolarisation hors contrat concernant 56 000 jeunes dans notre pays. On dénombre à ce jour environ 1 000 établissements scolaires hors contrat, dont plus de 300 à caractère confessionnel. À titre de comparaison, 7 900 établissements privés sont sous contrat, dont 7 500 à caractère confessionnel. Le rythme d’ouverture des établissements hors contrat atteint quelques dizaines par an, mais l’on observe une concentration dans le premier degré ainsi qu’une accélération du nombre de demandes.

Le Gouvernement est saisi de signalements de plus en plus nombreux au sujet d’enseignements dont l’indigence est attentatoire aux droits à l’éducation des enfants ; ils encouragent des embrigadements idéologiques ou confessionnels hostiles aux valeurs républicaines et sont la manifestation d’une volonté de soustraire l’éducation d’enfant au regard de la société. Il faut faire face à ce phénomène avec lucidité.

C’est donc pour nous permettre d’agir rapidement et efficacement que nous proposons un régime d’autorisation préalable d’ouverture dans le cadre de ce projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté.

Cette procédure d’autorisation ne servira naturellement pas à refuser par principe l’ouverture d’une école hors contrat, mais simplement à vérifier que ses enseignements ne portent pas atteinte aux valeurs de la République et sont de nature à faire progresser les élèves en leur permettant d’acquérir les fondamentaux nécessaires pour évoluer dans la vie.

Nous conservons, bien entendu, la possibilité de renforcer a posteriori les contrôles, ainsi que je l’ai dit au début de mon propos.

Une telle modification mesdames, messieurs les sénateurs, permettra d’unifier le régime d’ouverture de tous les établissements d’enseignement privé du premier degré, du second degré général et du second degré technologique et professionnel, en fixant des règles de procédures et de contrôle identiques et des conditions identiques d’exercice des fonctions de direction et d’enseignement.

Cette modification permettra également de renforcer le contrôle de l’État – et je le revendique ! – sur l’ouverture d’établissements d’enseignement privés, en substituant au régime de déclaration un régime d’autorisation, sans pour autant interdire qu’une décision implicite d’acceptation naisse au terme d’un délai adapté, que nous avons fixé à quatre mois. Une telle disposition ne porte pas atteinte à la liberté constitutionnelle de l’enseignement.

L’ordonnance qui prévoira ces quatre mois est absolument nécessaire non seulement pour procéder à l’examen approfondi des pièces du dossier, mais aussi pour se rendre sur place. Il faudra tout simplement quatre mois pour faire notre travail de contrôle a priori, ce qui ne constitue pas une remise en cause de la liberté de l’enseignement.

Le régime d’autorisation que nous appelons de nos vœux renforcera également la sécurité juridique pour les familles et pour les enfants, ainsi aussi que pour les établissements. Plus précisément, il permettra, notamment, d’accompagner les créateurs de l’établissement, en les invitant à réfléchir en amont, par exemple, à la compatibilité de leurs projets pédagogiques avec les exigences du socle commun de connaissances, de compétences et de culture.

De surcroît, l’approfondissement de l’instruction des dossiers que permettra ce régime d’autorisation préalable souhaité par le Gouvernement ne dispensera évidemment pas de vérifier la qualité de l’enseignement après l’ouverture de l’établissement.

Enfin, si le Gouvernement demande au législateur de l’habiliter à recourir à une ordonnance, madame la rapporteur, c’est parce qu’il estime nécessaire de recueillir l’avis du Conseil d’État sur une refonte du régime qui devrait tout à la fois fusionner les trois régimes existants et unifier les motifs d’opposition, mais qui impose également des modifications fastidieuses, essentiellement techniques, d’autres dispositions du code de l’éducation, qui sont celles qu’a retenues la commission.

Nous faisons donc œuvre de simplification en demandant à réaliser ces modifications par voie d’ordonnance.

La préparation de l’ordonnance permettra également de prendre le temps de la concertation avec l’ensemble des acteurs intéressés de l’enseignement privé.

Telle est la philosophie de cet amendement de rétablissement.

Madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement n’est animé que par une seule motivation : la protection de l’intérêt des enfants par un dispositif qui nous apparaît plus compatible avec la réalité du fait scolaire, notamment avec l’augmentation du nombre des demandes d’ouverture d’écoles hors contrat.

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