Intervention de Jean-Marc Ayrault

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 septembre 2016 à 14h35
Audition de M. Jean-Marc Ayrault ministre des affaires étrangères et du développement international

Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Je reviens de l'Assemblée générale des Nations unies et ces questions, en particulier celle de la Syrie, étaient au coeur de nos échanges et ont fait l'objet de multiples réunions. La France a pris l'initiative de commencer par une réunion avec les pays dits « affinitaires », puis il y a eu deux réunions du groupe international de soutien à la Syrie, le GISS, et la réunion du Conseil de sécurité au niveau ministériel. En outre, de nombreuses rencontres bilatérales ont été organisées.

Vous connaissez la situation. Nous étions tous dans l'attente de la mise en oeuvre de l'accord russo-américain, négocié depuis des semaines et qui a abouti le 9 septembre dernier. Cet accord est très fragile, il y a eu beaucoup d'accrocs dans sa mise en oeuvre. Une frappe américaine contre Daech a provoqué, parmi des soldats syriens, 60 tués et 150 blessés, ce qui a fourni un prétexte à des ripostes, un convoi humanitaire étant attaqué par des tirs d'aviation a priori russes, bien que la Russie le nie, ce qui a entraîné de nombreux morts parmi des travailleurs humanitaires (Croissant rouge et ONU). Cet enchaînement a fait voler l'accord en éclat.

Le régime a alors accentué ses attaques, prétendument sur des groupes terroristes, en réalité sur Alep. Cette ville est ainsi privée de toute aide humanitaire depuis des mois et cette situation ne peut rester sans réponse. Or j'ai assisté, je vous le dis franchement, avec beaucoup de consternation aux réunions du GISS, durant lesquelles se manifestaient des tensions fortes et des échanges verbaux très durs entre Sergueï Lavrov et John Kerry.

Dans ce contexte, que faire ? Nous nous battons pour l'instauration d'un nouveau cessez-le-feu, mais il faut changer de méthode. On le voit, on a atteint les limites de la négociation russo-américaine, qui n'est pas efficace. C'est pourquoi la France a pris l'initiative de demander un cessez-le-feu, en priorité à Alep, afin de permettre aux organisations humanitaires d'y accéder. Elle a aussi proposé au GISS et au Conseil de sécurité de mettre en place un mécanisme, ouvert à tout pays volontaire, en vue d'un suivi collectif de ce cessez-le-feu. Après une discussion très franche, cette idée a fait sont chemin et recueilli un large soutien des membres du GISS ou du Quint, qui s'est réuni à Boston à l'issue de la semaine ministérielle de l'Assemblée générale des Nations Unies.

Cette réunion du Quint (Etats-Unis, Royaume Uni, Italie, Allemagne, France et Union européenne) a abouti à une déclaration qui met en cause le soutien russe aux bombardements du régime à Alep, appelle à une action du Conseil de Sécurité, appelle un une condamnation de l'usage d'armes chimiques par le régime de Damas par l'ONU et inclut une référence au mécanisme de suivi que j'évoquais.

Il faut maintenir notre position sur la Syrie, d'autant qu'il existe un débat de fond avec la Russie en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme. Nos positions sont claires vis-à-vis de Daech et la coalition, à laquelle nous participons activement, lutte contre cette organisation. La Russie met l'accent sur la lutte contre l'ex-Front Al-Nosra - il a récemment changé de nom -, affilié à Al-Qaïda. Nous sommes d'accord sur le principe - l'accord russo-américain portait d'ailleurs principalement sur la séparation des groupes de l'opposition modérée d'Al Nosra et sur une coordination des opérations contre cette organisation, ce qui supposait une localisation précise des différents acteurs présents sur le terrain.

Au cours des derniers mois, Al-Nosra s'est renforcé. Plus le régime frappe les opposants modérés, plus il encourage leur radicalisation et renforce leur proximité d'Al Nosra. Nous avons donc demandé à Riad Hijab, le président du haut comité des négociations, d'encourager toutes les forces de l'opposition modérée à se distinguer d'Al-Nosra. Il en est d'accord, mais il a du mal à être entendu du fait d'une radicalisation des combattants sur le terrain qui luttent pour leur survie. Les Russes en déduisent qu'il existe une ambiguïté au sein de l'opposition syrienne et qu'il faut donc soutenir le régime, qui frappe tant Al-Nosra que les autres groupes de l'opposition, alors que ces frappes poussent ces groupes sans cesse davantage dans les bras d'Al Nosra.

Les objectifs du régime, qui bénéficie de l'appui russe - 5 000 hommes - et iranien - 2 000 à 3 000 hommes -, sont de prendre Alep pour obtenir une victoire militaire avant toute négociation et de créer une « Syrie utile » incluant, entre autres, Damas, Homs, Alep et Lattaquié. Cette approche va à l'encontre des objectifs de la France qui estime qu'il ne peut y avoir qu'une solution politique au conflit en Syrie, résultant de négociations de paix à Genève.

Notre but demeure en effet une Syrie unitaire, non confessionnelle, qui respecte les minorités et qui prépare une transition ayant pour finalités des élections libres et le départ de Bachar Al-Assad, avec qui la perspective d'une Syrie en paix est devenue impossible. Comment en serait-il autrement alors que sa stratégie consiste à perpétrer des massacres ? Ce que disait d'ailleurs le ministre syrien des affaires étrangères au Conseil de sécurité était épouvantable. À part le Venezuela, qui comparait la situation de la Syrie à celle du Mali - un pays indépendant qui a été attaqué par des groupes terroristes et s'est défendu -, personne ne le soutenait.

Je conclus sur la Syrie en répondant à une remarque que j'entends régulièrement. On demande parfois si une nouvelle résolution de l'ONU ou une condamnation de l'usage d'armes chimiques suffisent et s'il ne faudrait pas plutôt une intervention militaire visant à clouer l'aviation syrienne au sol. Je vais être franc : en 2013, alors que la ligne rouge de l'utilisation des armes chimiques a été franchie, la France s'est retrouvée seule, du fait de la défection des États-Unis et du Royaume-Uni, et l'intervention n'a pas eu lieu. Une telle hypothèse n'est donc pas crédible, alors que la complexité de la situation s'est encore accrue. Il faut garder le fil avec la Russie, même si c'est difficile, et la convaincre que son intérêt est d'avoir la paix, car le risque encouru est l'installation durable de forces terroristes dans cette région. On peut certes faire reculer Daech, mais, si la radicalisation se poursuit, cela représente une menace pour tout le monde : la France, l'Europe, les États-Unis et la Russie.

J'en arrive à la situation en Irak. Je ne retracerai pas l'histoire de l'intervention américaine dans ce pays ni la façon dont les suites ont été gérées. Ce pays a également fait l'objet de discussions au sein de l'Assemblée générale de l'ONU. Il faut continuer de permettre à l'armée irakienne de reprendre les territoires conquis par Daech, en particulier Mossoul.

Cela dit, il faut aussi pousser en faveur d'une gouvernance en Irak plus inclusive. En effet, si les conditions militaires sont réunies pour reconquérir Mossoul, la France y prenant d'ailleurs sa part, deux problèmes subsistent : le départ, auquel nous nous préparons, de nombreux réfugiés de Mossoul et la gouvernance à venir de cette ville une fois libérée de Daech. Il faut en effet définir un schéma politique incluant notamment, après les opérations militaires, les Kurdes et les sunnites. Le Président de la République et moi-même avons rencontré le président irakien et avons abordé ce sujet.

En ce qui concerne la Libye, le Président de la République et moi-même allons recevoir cet après-midi le Premier ministre El-Sarraj, qui verra aussi M. Jean-Yves Le Drian. Lors de l'Assemblée générale de l'ONU, nous avons largement abordé ce sujet. La communauté internationale a renouvelé sa confiance au gouvernement libyen, mais les forces du général Haftar ont pris le contrôle des puits de pétrole à l'est du pays. Si rien n'est fait, si la ressource nationale est dans les mains d'un concurrent, le risque de guerre civile que vous évoquiez est réel ; la situation s'est d'ailleurs considérablement dégradée.

Nous allons donc rappeler que seule la société nationale d'exploitation pétrolière peut contrôler le pétrole et que le Gouvernement doit décider de l'utilisation de cette ressource dans l'intérêt de la population, qui en a besoin. Mais M. El-Sarraj doit aussi avoir une attitude ouverte vis-à-vis des forces politiques de l'est et rechercher avec elles un compromis. C'est le message que nous allons faire passer.

On voit toutefois les limites de cette méthode. Aussi allons-nous réunir à Paris dans les prochains jours tous les pays qui ont quelque chose à dire ou à faire pour faciliter l'émergence d'une Libye rassemblée. Cela concernera notamment l'Égypte, les Émirats arabes unis, le Qatar et la Turquie. Il est compliqué de mettre tous ces États autour de la table, mais c'est notre objectif et nous allons y parvenir.

Je voudrais aborder, pour terminer, deux derniers points.

Le premier concerne l'initiative française de paix au Proche-Orient. Je ne dis pas qu'elle est facile à mettre en oeuvre, mais elle a fait bouger les lignes. Nous en avons beaucoup discuté lors de l'Assemblée générale de l'ONU. La France a été reçue par le Quartet et j'ai organisé une rencontre de tous les participants à la réunion du 3 juin dernier au niveau des hauts fonctionnaires ; j'ai aussi participé à la réunion du groupe ad hoc de soutien aux Palestiniens. De nombreuses initiatives se font jour de l'Égypte, de la Russie ou des États-Unis qui peuvent peut-être avancer sur ce sujet, notamment si le président Obama en prend l'initiative avant la fin de son mandat. En tout cas, nous avons pu remettre la question du Proche-Orient à l'ordre du jour, bien que ce soit compliqué, compte tenu de la persistance de fortes divergences entre Mahmoud Abbas et Benyamin Netanyahou qui se sont clairement exprimées à l'occasion de l'Assemblée générale.

Le second point concerne le Gabon. La politique française a toujours été claire : pas d'ingérence, rappel de certains principes et utilisation des voies juridictionnelles en cas de recours. Nous avons d'ailleurs calé notre position avec nos voisins européens, d'autant que l'Union européenne avait envoyé des observateurs, lesquels ont relevé des insuffisances dans le déroulement du scrutin, la cour constitutionnelle gabonaise ayant elle-même souligné quelques zones d'ombre. Il ne faut pas déstabiliser le Gabon - ce pays et cette région n'en ont pas besoin -, mais il faut encourager l'Union africaine à définir les conditions dans lesquelles le président élu pourrait inclure l'ensemble des forces politiques gabonaises dans leur diversité. L'objectif est que le Gabon ne s'éloigne pas des standards démocratiques internationaux.

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